« Moi je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. »
Ma mère accordait une attention des plus particulières à cette question. Pendant longtemps, je ne savais pas pourquoi. Elle en parlait avec régularité comme pour s'assurer d'une évidence. A chaque fois, elle laissait déborder sa joie en constatant que ma réponse demeura la même et m'encourageait du coup à garder cette ligne de conduite qui pourrait se révéler plus tard une véritable porte de sortie pour moi. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Elle, non plus, ne voulait pas que je comprenais de trop tôt. Il fallait de toute façon attendre le bon moment.
Depuis la mort de mon père, ma mère et moi avions perdu contact. Elle avait gagné les côtes de la Floride je ne sais par quelle magie. A l'aide de la technologie, nous nous parlions longuement, discutant de tout et de rien. J'avais éprouvé toutes les joies du monde le jour où j'avais remarqué dans mon fil de discussion WhatsApp le message d'un numéro des Etats-Unis. Chez nous, compter un proche dans la diaspora étasunienne signifie vraiment quelque chose. Ce n'était pas permis à tout le monde. C'était un luxe même si on n'en bénéficiait absolument rien. L'idée seulement procurait de l'espoir.
J'étais angoissé. Je voulais savoir qui c'était. Une vive angoisse m'avait étreint, ce jour-là.
C'était ma mère. Plus de cinq ans s'étaient écoulés sans nouvelles. La dernière fois qu'on s'était vus, elle était de passage dans ma ville natale dans le cadre de son travail et daignait me gratifier d'une visite.
Pour dire vrai, je n'aime pas trop m'exprimer. J'ai peur de laisser sortir des bêtises ou encore laisser filer une de ces vérités qui m'habite. On me reproche si souvent d'être trop fidèle à mon mutisme.
Cela n'a pas pris longtemps pour que le courant passe à nouveau entre nous. Tous les jours, malgré la distance des mers qui nous sépare, elle me fait sentir le poids de tout l'amour qu'elle me porte. Un amour que seule la mort de mon père a pu dévoiler. Me sentant peut-être vulnérable, ma mère craignant que son dernier fils sombre dans la tristesse, s'est approchée de moi. Grande maman, comme je me plais à l'appeler, aime beaucoup parler. Elle est diserte. Elle aurait pu être écrivain tant elle me narre avec une passion empreinte d'un style qui lui est propre des histoires de la famille.
Grace à elle, j'ai dégoté certaines informations sur la vie que menait mon père. Je me demandais jusqu'à présent si je le connaissais bien. On se voyait tous les jours, m'apportant toujours un petit quelque chose. Il partait toujours à la tombée de la nuit pour regagner son domicile où il coulait des jours tranquilles avec sa deuxième épouse. Ma mère, quant à elle, me parlait de lui avec respect. Et l'inflexion de sa voix dans certains cas traduisait l'amour incontestable qu'il lui vouait. C'était un homme responsable et soucieux de son dernier fils. Tout mon entourage s'entendait unanimement pour me dire qu'il m'aimait beaucoup et que je lui ressemblais trait pour trait, contrairement à son premier fils. J'ai grandi pauvre, mais je n'ai jamais manqué de rien. Ce n'est que plus tard en me perdant dans l'univers des livres que j'ai compris que le bonheur ne se mesurait pas uniquement à l'aune des possessions matérielles. Adolescent, les gens ne voyaient en moi que le portrait tout craché de mon père. Son épouse qui n'en démordait pas fut tellement frappée par notre ressemblance qu'elle a fini par admettre que je suis bien le fils de mon père. Depuis lors, je n'existais plus. J'étais seulement le fils de mon père.
J'imaginais tous les soirs comment serait mon enfance si mon père ne jouissait pas d'une bonne renommée ou s'il avait les doigts trempés dans quelque louche affaire. J'étais comme une vedette en herbe, en proie à la célébrité. Je jouissais d'une aura qui me guidait dans les pas de celui qui m'avait engendré. Je me sentais capable de tout accomplir. La vie me souriait. Je réussissais chacune des entreprises entamées. Le filtre de mon enfance m'a permis de grandir avec un certain idéal, m'a servi de barrière et de rempart à la fois. Il m'a élevé pour me placer sur un piédestal à partir duquel je fais toujours un tour d'horizon sur ma vie et de mieux tisser les liens qui m'unissaient aux autres.
Aujourd'hui encore, ma mère ne voit qu'en moi le reflet de mon père, l'homme différent , imprévisible qu'elle a aimé et haï à la fois, qu'elle n'a pas pu cerner mais qui est parti trop tôt. L'image de cet homme renaît avec moi. Voilà pourquoi à ses yeux je suis différent.
Ma mère accordait une attention des plus particulières à cette question. Pendant longtemps, je ne savais pas pourquoi. Elle en parlait avec régularité comme pour s'assurer d'une évidence. A chaque fois, elle laissait déborder sa joie en constatant que ma réponse demeura la même et m'encourageait du coup à garder cette ligne de conduite qui pourrait se révéler plus tard une véritable porte de sortie pour moi. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Elle, non plus, ne voulait pas que je comprenais de trop tôt. Il fallait de toute façon attendre le bon moment.
Depuis la mort de mon père, ma mère et moi avions perdu contact. Elle avait gagné les côtes de la Floride je ne sais par quelle magie. A l'aide de la technologie, nous nous parlions longuement, discutant de tout et de rien. J'avais éprouvé toutes les joies du monde le jour où j'avais remarqué dans mon fil de discussion WhatsApp le message d'un numéro des Etats-Unis. Chez nous, compter un proche dans la diaspora étasunienne signifie vraiment quelque chose. Ce n'était pas permis à tout le monde. C'était un luxe même si on n'en bénéficiait absolument rien. L'idée seulement procurait de l'espoir.
J'étais angoissé. Je voulais savoir qui c'était. Une vive angoisse m'avait étreint, ce jour-là.
C'était ma mère. Plus de cinq ans s'étaient écoulés sans nouvelles. La dernière fois qu'on s'était vus, elle était de passage dans ma ville natale dans le cadre de son travail et daignait me gratifier d'une visite.
Pour dire vrai, je n'aime pas trop m'exprimer. J'ai peur de laisser sortir des bêtises ou encore laisser filer une de ces vérités qui m'habite. On me reproche si souvent d'être trop fidèle à mon mutisme.
Cela n'a pas pris longtemps pour que le courant passe à nouveau entre nous. Tous les jours, malgré la distance des mers qui nous sépare, elle me fait sentir le poids de tout l'amour qu'elle me porte. Un amour que seule la mort de mon père a pu dévoiler. Me sentant peut-être vulnérable, ma mère craignant que son dernier fils sombre dans la tristesse, s'est approchée de moi. Grande maman, comme je me plais à l'appeler, aime beaucoup parler. Elle est diserte. Elle aurait pu être écrivain tant elle me narre avec une passion empreinte d'un style qui lui est propre des histoires de la famille.
Grace à elle, j'ai dégoté certaines informations sur la vie que menait mon père. Je me demandais jusqu'à présent si je le connaissais bien. On se voyait tous les jours, m'apportant toujours un petit quelque chose. Il partait toujours à la tombée de la nuit pour regagner son domicile où il coulait des jours tranquilles avec sa deuxième épouse. Ma mère, quant à elle, me parlait de lui avec respect. Et l'inflexion de sa voix dans certains cas traduisait l'amour incontestable qu'il lui vouait. C'était un homme responsable et soucieux de son dernier fils. Tout mon entourage s'entendait unanimement pour me dire qu'il m'aimait beaucoup et que je lui ressemblais trait pour trait, contrairement à son premier fils. J'ai grandi pauvre, mais je n'ai jamais manqué de rien. Ce n'est que plus tard en me perdant dans l'univers des livres que j'ai compris que le bonheur ne se mesurait pas uniquement à l'aune des possessions matérielles. Adolescent, les gens ne voyaient en moi que le portrait tout craché de mon père. Son épouse qui n'en démordait pas fut tellement frappée par notre ressemblance qu'elle a fini par admettre que je suis bien le fils de mon père. Depuis lors, je n'existais plus. J'étais seulement le fils de mon père.
J'imaginais tous les soirs comment serait mon enfance si mon père ne jouissait pas d'une bonne renommée ou s'il avait les doigts trempés dans quelque louche affaire. J'étais comme une vedette en herbe, en proie à la célébrité. Je jouissais d'une aura qui me guidait dans les pas de celui qui m'avait engendré. Je me sentais capable de tout accomplir. La vie me souriait. Je réussissais chacune des entreprises entamées. Le filtre de mon enfance m'a permis de grandir avec un certain idéal, m'a servi de barrière et de rempart à la fois. Il m'a élevé pour me placer sur un piédestal à partir duquel je fais toujours un tour d'horizon sur ma vie et de mieux tisser les liens qui m'unissaient aux autres.
Aujourd'hui encore, ma mère ne voit qu'en moi le reflet de mon père, l'homme différent , imprévisible qu'elle a aimé et haï à la fois, qu'elle n'a pas pu cerner mais qui est parti trop tôt. L'image de cet homme renaît avec moi. Voilà pourquoi à ses yeux je suis différent.