Avant l'Aube

Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais une extra-terrestre. J'avais à peine une quinzaine d'années d'existence, et elle me voyait comme une criminelle. Je pouvais lire dans ses yeux la haine qu'elle avait pour ma personne. Depuis après ce fameux soir, ma mère m'en voulait. Elle voyait en moi l'incarnation du mal, chrétienne si pure et si conservatrice qu'elle était. Bref! Cessons de parler d'elle. Je vais vous expliquer la raison qui l'a poussé à croire et même certifier que je n'étais pas de cette planète.

Fruit de viol que je suis, ma vie a toujours été un conte de fées lugubre. Je vivais une vie parsemée de belles roses épineuses, sous un ciel gris d'une capitale éternellement endeuillée et qui s'enfonçait chaque jour de plus en plus dans un puits sans fond de misère. Je me suis dit que quelle que soit la manière, je devais m'accrocher à la vie. Agée d'à peine quinze ans, je paraissais deux fois plus âgée; grande de taille, de gros seins, et une belle paire de fesses, tout ce qui constituait le canon de beauté dans cette ville. Les hommes du quartier me harcelaient. Un jour, en rentrant chez moi, une vingtaine d'hommes saoul, à la file indienne, leur queu bien dure, attendait chacun l'éjaculation de son prédécesseur pour me violer. Je demandais grâce; je pleurais, mais ils étaient sans pitié pour ma personne. Après quelques jours, leurs semences ont porté fruit; un fruit maudit dont je voulais me débarrasser au plus vite. J'ai pris la décision de vendre l'âme de cet enfant au diable pour de l'argent. J'ai contacté un sorcier, et nous avons pris rendez-vous pour le lendemain.

C'était la nuit de la fête des morts. Tout de blanc vêtue, j'ai laissé la demeure familiale en direction de la case du sorcier Babgrizon que je connaissais que de nom. La nuit battait son plein; il n'y avait plus personne dans les rues désertes de Port-Au-Prince. Je marchais en direction du cimetière, près d'où se trouvait la maison du sorcier. Je marchai jusqu'à l'entrée d'une vieille maison quasi abandonnée. De l'extérieur, j'aperçus de la poussière qui régnait dans tous les recoins. Au seuil de la maison, il y avait un grand mur où était écrit que seuls les forts sortaient vivant de ce lieu. Sortirais-je d'ici vivante? Suis-je réellement forte, ou bien le contraire? Les tentatives de réponses me donnaient une peur bleue. Je ne savais rien de ce qui m'attendait à l'intérieur, mais j'ai pris mon courage à deux mains, et j'avançais en dépit des craintes. Arrivée dans la cour, j'ai pu voir que c'était un vieux manoir sombre et effrayant. Au milieu de cette cour, il y avait une croix plantée surmontée d'un foulard violet, et un zombie qui faisait les cents pas, la tête baissée. En parlant, un zombie c'est une personne qui avait déjà été enterrée, mais via des formules magiques, des sorciers l'ont ressuscité. C'est un revenant. Ce zombie me laissa passer à condition d'une partie de jambes en l'air avec coitus interruptus. Après sa jouissance, j'ai pu enfin pénétrer dans le manoir. Il était si sombre que je ne voyais rien. J'étais seule avec le monde; mon ombre a fui, et la porte se ferma derrière moi dans un bruit sec comme si quelqu'un l'avait poussée. J'entendis des vaisselles qui se cassaient toutes seules. Des tonnerres grondaient. Les fenêtres s'ouvraient et se fermaient sans que personne ne les toucha. J'entendis un bruit de pas, mais je ne vis personne. Je frissonnais. Des tas de questions me laissaient sans mot jusqu'à ce qu'une main invisible me saisit par le cou avec l'intention de m'étrangler. Était-ce un fantôme? Le manoir était-il hanté ? Je me suis débattue contre cette main invisible; j'essayais d'appeler Babgrizon, mais aucun son ne sortait de ma gorge. Je ne voulais en aucun cas reculer malgré les difficultés. À chaque pas effectué, je sentais que je trainais le poids des péchés humains sous mes pieds. Je ne voyais personne, mais je sentais la présence de plusieurs êtres prêts à me dévorer. Des fantômes ricanaient dans toutes les pièces de la maison. Un brin de lumière me permit de remarquer qu'il y avait sur les murs du couloir un liquide visqueux qui dégoulinait de partout. C'était du sang. Sur les murs, étaient accrochées des photographies violentes et effrayantes, des zombies, des morts, des blessés, des couteaux sanglants, etc.

Il y avait cette odeur de chair fraîche dans toute la maison. J'ouvris une pièce, et je me suis retrouvée face à face à une plante carnivore géante avec des dents de requins qui essayait de me dévorer. J'ai dû courir; elle m'a suivie. Je courus de toutes mes forces jusqu'à ce que j'eus aperçu une autre porte semi ouverte. J'entrai et fermai la porte derrière moi. À peine entrée, j'ai vu que la plante m'avait arraché un doigt. J'ai aussi remarqué la présence d'une femme svelte aux dents pointues et jaunes, aux cheveux désordonnés. Une ficelle tenait ses yeux à leurs orbites. Entre ses mains se trouvait son intestin dégoulinant de sang et de liquide verdâtre qui puait. Elle ricanait sans cesse, et de sa bouche sortaient une multitude de papillons noirs et de chauve-souris. Des vers sortaient partout dans son corps. Soudain, je sentis une main dans mon cou. Était-ce elle? Voulait-elle me faire du mal? Quand j'ai pu enfin voir, c'était un être bizarre, mi poisson avec une tête de porc, qui se tenait sur ses pieds recouverts de poils. Il avait des ailes, des yeux rouges, et des dents de vampires. Il crachait du feu et du venin mortel. Il tenait un bébé qu'il dévorait avec appétit en dépit des pleurs du petit qui essayait de demander grâce et maudissait aussi le bon dieu de son sort. Le loup-garou me plaqua contre le mur et commença à boire mon sang, tandis que les papillons noirs me mordirent dans tout mon corps. J'avais mal, et j'étais effrayée, je me suis débattue corps et âme contre eux mais en vain.

Ce n'est que vers minuit quand les douze coups sonnèrent que j'entendis une voix puissante et perçante qui les faisait trembler. C'était leur chef, on dirait. Elle avait l'allure d'une femme qui ne me paraissait pas inconnue. Était-ce vraiment elle? J'en doutais fort, mais à force de se rapprocher de moi, mes doutes se dissipaient. C'était bien elle qui était leur chef! Je fus surprise; Babgrizon était une femme et non un homme, comme je l'appréhendais. Et le plus étonnant, c'était ma mère, fervente sœur d'église le jour et puissante sorcière la nuit. Tout était devenu noir sous mes yeux. Je pouvais à peine respirer quand elle me servit un verre de sang d'un bébé. Quand ma mère aperçut que c'était moi, celle qui voulait vendre son enfant, elle n'hésita pas à me lancer un projectile en plein cœur, ce qui bienheureusement a causé ma mort et ma délivrance.