Autisme et cynisme

Moi, je suis différent. Je l'ai toujours été. Pour ma mère, c'est comme si j'étais un extra-terrestre. Un être aux particularités plus qu'atypiques. J'ai été conçu après un ignoble viol lors de la guerre civile survenue en Centrafrique. Malgré cette grossesse fortuite, ma maman réfugiée au Cameroun, effectuait des petits travaux aux salaires minables pour survivre. Lorsque je suis venu au monde, elle a repris goût à la vie,elle était plus heureuse.Mais hélas,elle ne savait pas qu'elle venait de décupler le poids de la croix qu'elle avait à porter. A deux mois déjà j'étais insupportable, je pleurais sans raison apparente, je ne dormais presque pas. Ma maman prit sur elle et réussit à me supporter sans rechigner jusqu'à mes un an.
A un an, j'étais raide, morbide,je ne fixais jamais ma mère dans les yeux, je ne savais pas ramper encore moins me tenir debout. Quelle horreur pour ma maman lorsqu'un jour après m'avoir fait prendre le bain et s'étant retirée un moment,de me surprendre assis à même le sol,en train de consommer mes selles.Elle s'écria et me rejoignit au sol toute ahurie. De mon côté, je ne cessai pas un seul instant de déguster cet étron.Comment aurait-elle pu me sermoner? Je ne réagissais pas au moindre de ses gestes, j'avais le niveau de reflexion d'un bébé d'un mois. Ayant appris la nouvelle, ma grand-mère lui suggéra de rencontrer un marabout, ce dernier de lui dire  que c'était mon défunt oncle qui s'était réincarné en moi pour lui causer du tort et que pour être en paix elle devait m'ôter la vie.Je devins alors un enfant maudit à ses yeux, mais son instinct maternel prit le dessus sur ses pulsions criminelles.
  Un an, deux ans, puis trois ans passèrent et je n'avais toujours pas fait mes premiers pas. Mais qu'avait bien pu faire ma génitrice pour mériter un fardeau aussi lourd? N'avait-elle pas droit au bonheur elle aussi? Elle, dont la vie n'a cessé de tournoyer dans une succession de souffrances, d'horreurs et d'abominations.Quelle femme forte elle était, malgré tout ce qu'elle endurait, elle était si aimante avec moi, comme quoi Christian Bobin n'a pas mâché ses mots lorsqu'il dit:《l'amour maternel est la plus haute figure de l'amour vrai》. Je fis mes premiers pas âgé de six ans, prononçai mes premiers mots deux ans plutard. Les années s'écoulèrent et c'était de plus en plus difficile pour ma mère de me gérer. Je ne l'avais jamais regardé dans les yeux du haut de mes quinze ans. Je passais mes journées à fixer le mur et quand elle me touchais, je criais tel un nouveau-né. Lorsqu'elle tentait de faire la conversation, elle se retrouvait toujours à parler toute seule.Elle commença à prendre mes agissements pour du mépris; ce fut le début de la fin pour moi. Entre notre indigence,la frustration due aux moqueries incessantes,mon comportement indifférent, les attitudes de ma mère à mon égard virevoltèrent vers l'obscur. A chaque fois que je la 《méprisais》, elle me privait de repas, et si j'osais pleurer pour un rien, elle me faisait passer la nuit dehors.Cette femme qui autrefois m'aimait inconditionnellement était devenue une femme sans coeur et répugnée par sa propre progéniture. Elle se mit à regretter de ne pas avoir écouté le conseil du marabout car elle était de plus en plus persuadée que je n'étais là que pour la faire souffrir.
 Puis, survint le jour où tout a basculé pour moi. Maman venait de toucher la coquette somme de trente mille francs après avoir défriché et cultivé une très grande parcelle de terre. Elle était toute en joie, phénomène qui était d'ailleurs devenu assez rare.Elle rangea l'argent sous la natte qui nous servait de lit. La maison était egayée, ma maman chantonnait, une paix inexplicable régnait dans la maison. Soudainement, un homme à l'allure de brigand se présenta chez nous, tout sale et presque ivre, sortant un canif de son pantalon troué demanda l'argent que ma mère venait de percevoir car il l'avait vu pendant qu'elle se faisait payer. Elle nia tout en bloc mais moi, je fis quelque chose que ma mère n'aurait jamais pu imaginer. Je pointai le coin haut de la natte comme pour répondre à la question posée par ce vilain malfaiteur. Il souleva la natte et un sourire machiavélique rayonna sur son visage .Il s'empara de l'argent et déguerpit immédiatement. Sans réfléchir, ma mère me prit par la main et m'emmena dans un lieu délabré à des dizaines de kilomètres de notre logement. Puis, elle me fixa, les yeux larmoyants pendant quelques minutes et se retournant, elle s'en alla sans plus regarder derrière elle. Je n'avais aucune idée de ce qu'elle venait de faire.《Que vais-je devenir?》,《Qu'est-ce qui se passe?》,《comment vais-je m'en sortir》 sont des questions qui ne m'ont pas une seconde traversées l'esprit. J'étais dans cet endroit sombre et isolé tout seul, inconscient de tout ce qui m'arrivait. Après y avoir passé deux jours, affamé et assoiffé, j'ai fini par m'endormir pour ne plus jamais me réveiller. J'ai perdu la vie, je suis mort de faim, de froid,mort parce que je suis venu au monde en étant différent, personne n'était là pour me venir en aide, ma maman avait finalement suivi le conseil de ce marabout.
   De son côté, elle racontait à tout le monde qu'elle était enfin libérée de moi, que les esprits qui m'avaient envoyés pour la détruire m'avaient repris, apparemment j'étais un vecteur d'aléas dans sa vie. Par contre, elle n'a jamais tenté de se marier de peur de redonner naissance à un enfant comme moi. Quelques temps après mon abandon, elle a trouvé un travail de ménagère chez un médecin du quartier, Mr Zang. De par son ardeur au travail et son enjouement, elle s'est liée d'amitié avec la maîtresse de maison. Cette femme était fascinée par l'histoire de ma mère et ma mère lui relatait toutes les péripéties qui ont constituées sa vie. Elle lui parla de mes comportements inouïs, ce qui abasourdissait sa patronne.C'est alors que lors d'une conversation avec son mari, Mme Zang se mit à parler de moi, à répéter tout ce que ma mère lui avait dit à mon sujet. Son mari eut un air moins choqué et il dit:《 Mais, cet enfant est tout simplement autiste ma chérie》.Il ajouta que l'autisme est une maladie innée se manifestant par un retard de croissance aussi bien physiologique que cérébral ce qui empêche l'individu d'établir un quelconque lien social avec le monde environnant, une maladie incurable mais pas mystique. Il insistait sur le fait qu'il existe des ONG prenant en charge des enfants dans cette situation mais qu'elles restaient pour la plupart inconnues du public. Le lendemain, à l'arrivée de la ménagère chez elle, Mme Zang lui fit part du pronostic de son mari. Ma mère mit les mains sur la tête, elle n'arrivait pas à en croire ses oreilles. La seule éventualité qu'elle ait pu se tromper à mon sujet la scandalisait. Qu'est-ce que j'étais devenu après tout cela? Elle se mit à avoir les idées éparpillées dans tous les sens. Elle ressentit l'effusion d'une sensation amère de culpabilité en elle et se mit à la recherche de son fils. Elle se rendit au lieu de notre séparation irréversible et elle vit un corps en décomposition, celui de son fils, son fils qu'elle a tué par ignorance.Dorénavant elle aura ce poids sur la conscience. Après avoir copieusement pleuré près du cadavre de son fils, elle se mit debout et se dirigea vers sa maison. Une fois chez elle, la culpabilité devenait de plus en plus pesante alors, elle tomba sur un produit tue-souris vulgairement appelé 《arata》.Qu'avait-elle l'intention de faire? Serait-ce la solution? L'autisme est une maladie qui touche trois mille enfants chaque année au Cameroun, la plupart issue de familles sans moyens.Ne mystifions plus ce trouble neuropsychologique. Ils ont eux aussi le droit de vivre et de s'épanouir. Disons non à la mystification de l'autisme et oui à la sensibilisation des populations