« Moi je suis différente. Je l'ai toujours été. Pour ma mère c'est comme si j'étais une extraterrestre ».
Tels sont les mots qui résonnent en ce moment dans la tête de Daniella et elle compte les mettre en premier sur son papier, ce papier sur lequel elle veut lui écrire une lettre où elle exprime ses pensées. Lui c'est ce monde dans lequel elle vit, ce monde qui ne la comprend pas. Ce monde dans lequel elle se sent si différente et incomprise. Elle veut partir au loin, dans un endroit où nul ne connait son nom, où elle pourra repartir à zéro.
Elle est assise sur le bureau de sa chambre sur lequel elle a posé un verre d'eau et quelques cachets qu'elle hésite à encore à prendre nonobstant son mal de tête grandissant. Elle souffle un coup, prend son verre d'eau dans la main droite et quelques gélules dans la main gauche. C'est décidé elle va les prendre. Une fois qu'elle les prend, elle se mettra à écrire sa lettre, puis partira loin de tous les maux de son entourage, de son monde.
Daniella est une femme dynamique, belle, intelligente, cadette d'une fratrie de trois. Elle se veut indépendante du haut de ses vingt-deux ans.
Sa différence se marque déjà dès l'enfance comme Daniella se distingue, ne faisant pas la poupée, elle joue avec des garçons plus âgés et s'intéresse au football.
Elle participe participe aux concours d'éloquence où elle se distingue par ses idées libéralistes et inclusives. Des idées dans lesquelles elle exclut entre autres, la différence raciale soutenant que l'Homme a été fait d'une seule manière à l'image d'un Être Suprême que nous adorons tous, mais chacun à sa manière.
Après son baccalauréat, Daniella voulait poursuivre une carrière de footballeur mais elle se buta à l'intransigeance de sa mère qui la voulait médecin comme sa sœur. Pour sa mère, le football était un jeu d'hommes. Daniella abandonna son rêve mais ne se plia pas complétement à la volonté de sa mère. Au lieu de la médecine, elle se lança plutôt dans les finances où elle a rencontré un homme qui l'aime, qui a de l'ambition et qui veut partager sa vie. Elle respecte sa mère mais elle est trop différente de ses autres enfants.
Seule leur Foi Catholique réunissait vraiment les idées de Daniella et sa mère. Et c'est grâce à sa foi que Daniella avait facilement surmonté la mort de son père un an plus tôt.
Cet après-midi, son fiancé a rencontré sa mère. C'était un moment agréable en famille jusqu'à ce que la mère de Daniella ne découvre qu'il n'était pas chrétien catholique, qu'il n'est pas chrétien tout court. Il est musulman. Daniella se souvient encore des mots de sa mère après le départ de celui qu'elle considérait, qu'elle considère encore comme le seul homme de sa vie.
« Écoute moi très bien Daniella. Je t'ai éduquée dans la foi Catholique. Comment peux-tu aimer quelqu'un d'une autre religion ? Est-il prêt à changer de religion ? Où va-t-on célébrer ton mariage ? Comment va tu éduquer tes enfants ? Et tu n'iras jamais à l'église avec ton mari ? Ce manque te rongera un jour et tu finiras triste. Triste pour la vie. Et seras-tu accepté dans sa famille comme il faut ? Et d'ailleurs il ne faut pas oublier ce qu'ils ont fait à ton père... Tu as deux heures pour me dire que cette relation est finie. Sinon je me donne aussi la mort Danie...» Sur ces derniers mots Daniella était partie en courant et s'était depuis enfermée dans sa chambre.
Sa mère est contre l'homme de sa vie. Sa mère ne veut pas de son mariage.
En repensant à toutes ces questions, Daniella ne voyait qu'absurdité. Pour elle, bien que Chrétienne, nous avons tous un seul Être Suprême, et nous L'adorons différemment. À toutes ces questions, Daniella ne voyait pas des problèmes mais des questions simples à résoudre avec Amour. L'amour qui est la véritable religion, la seule religion, la recommandation ultime quelle que soit notre façon de prier.
Pendant qu'elle écrivait sa lettre, elle repensa à son père. Sa mère avait relevé les circonstances de son décès. Sans cela, il n y aurait sûrement aucun problème. Ce refus n'était que rancune. Le père de Daniella fut victime d'un attentat un matin en se rendant à son boulot. Aux informations, l'attaque fut revendiquée par une obscure organisation dont les membres étaient facilement identifiables par leurs djellabas. Et depuis lors, la plaie demeure dans le cœur de sa mère.
Mais pour Daniella, rien ne justifie de ramener cela à toute une foi à cause de quelques renégats.
Elle comprenait sa mère mais elle ne pouvait supporter de vivre sans son homme, ni risquer de voir sa mère passer à l'acte. Encore trente minutes avant la fin de l'ultimatum. Son mariage est devenu utopique comme la co-existence d'un État israélien et palestinien, un véritable anathème et ce, face à l'indifférence du monde. Voilà pourquoi elle a décidé de partir au loin, voler de ses propres ailes. Elle ne supporte pas cet environnement incompréhensif qui n'est que division et querelles.
Elle continue de justifier son départ par écrit quand elle ressent les premiers effets des médicaments qu'elle a ingérés. Sa main tremble. Une goutte de larme échappe de ses yeux et vient s'échouer directement sur le papier. Elle dépose son stylo, se lève et s'avance vers son lit où elle prend son portable et fait un message à son homme. Une seule phrase dedans : « je t'aime ».
C'est la phrase qui résume tout selon elle.
L'amour est la réponse à tout, malheureusement son monde ne le comprend pas. Elle a mis toutes ses idées dans sa lettre. Elle espère qu'on la comprendra.
Elle s'affaiblit petit à petit, sa main lâche le téléphone qui s'écrase bruyamment sur le sol.
Elle s'écroule ensuite elle-même sur le lit.
Bientôt elle va voyager, un voyage sans retour, dans un monde sans querelle, dans un monde où elle sera comprise : les anges vont l'accueillir.
Le poison que contenait les gélules vient d'atteindre son corps entier. Et elle n'est plus. Comme Le Christ, elle est morte par Amour : geste ultime de foi qu'elle voulait prouver à sa mère. Un suicide pour faire passer un message, pour épargner sa mère, pour se sauver soi-même. Maintenant qu'elle n'est plus sur terre, elle est vraiment une extraterrestre.