A Madame de Grignan - À Paris, vendredi 8ème décembre 1679.
C’est une chose rude, ma bonne, que d’être fort loin des personnes que l’on aime beaucoup ; il est impossible, quelque résolution que l’on fasse, de n’être pas un peu alarmée des désordres de la poste. Je n’eus point de vos lettres avant-hier ; pour dimanche, je ne m’en étonne pas, car j’avais eu le courrier. J’envoyai chez MM. de Grignan ; ils n’en avaient point non plus. J’y allai le lendemain, qui était hier ; enfin il vint une lettre du 28 novembre, de Monsieur l’Archevêque, qui nous persuada qu’au moins vous n’étiez pas plus malade qu’à l’ordinaire. Je passai à la poste pour savoir des nouvelles d’Aix, car les courriers de ces messieurs vont mieux que les nôtres, mais je sus, par Mme Rouillé, que son mari, du 29, ne lui parlait point de vous, mais bien de la disgrâce de M. de Pomponne, que M. de Grignan lui venait d’apprendre. J’attends donc vos lettres de dimanche ; je crois que j’en aurai deux. Je n’ai jamais mis en doute que vous ne m’ayez écrit, à moins que d’être bien malade. Cette seule pensée, sans aucun fondement, fait un fort grand mal. C’est une suite de votre délicate santé, car quand vous vous portiez bien, je supportais sans horreur les extravagances de la poste. Car voyez quelle folie d’apporter d’Aix le paquet de Madame l’intendante, et laisser le vôtre !
Beaulieu a reçu une lettre de Lyon, d’Autrement, du 30ème ; il y est seul et va s’embarquer. Cette pauvre Mme d’Oppède est demeurée par les chemins, son fils malade à Cosne, et sa fille à Roanne. Tout est semé de son train. Quel embarras ! Je la plains. Elle donnait de l’argent à dépenser à ses gens. Ainsi les dix écus que nous pensions inutiles à ce garçon lui auront été bons. Il est un peu rude sur la dépense. Il ne parlait pas de moins que d’un écu par jour par les chemins ; nous nous moquâmes de lui. Nous croyons que si vous lui donnez vingt-cinq ou trente sols, à cause de sa maladie qui le rend délicat, c’est le bout du monde. Nous vous compterons sa garde, ses bouillons ; mais depuis notre retour de Livry, qu’il était pêle-mêle avec nos gens, assurément vous n’en entendrez pas parler. Vous ne payez que trop bien vos hôtes ; je travaille à voir clair à ce que je vous dois de reste. Nous ferons repartir Saint-Laurens le plus tôt que nous pourrons. Nous saurons demain le jour, au retour de l’abbé de Grignan qui a fait encore un second voyage à Saint-Germain (de ces voyages qui me donnent tant de peine !). En vérité, vous êtes trop heureux de les avoir tous pour résidents à la cour de France. Ils désapprouvent bien votre affaire de Toulon ; ils disent que si on voulait se brouiller à feu et à sang avec le gouverneur, il ne faudrait pas autre chose. Nous espérons que celle des blés sera plus praticable.
Je vous écrivis mercredi une très longue lettre. Si on vous la perd, vous ne comprendrez rien à celle-ci. Par exemple, on verra la jeune princesse de Guéméné aujourd’hui en parade à l’hôtel de Guéméné ; vous ne sauriez ce que je veux dire. Mais supposant que vous savez le mariage de Mlle de Vauvineux, je vous dirai qu’afin qu’il ne manque rien à son triomphe, elle y recevra ses visites quatre jours de suite. J’irai demain avec Mme de Coulanges, car je fais toujours ce qui s’appelle visites avec elle ou sa soeur.
Nous fûmes hier, Monsieur le Comte, chez vos amies Leuville et d’Effiat ; elles reçoivent les compliments de la réconciliation et de la gouvernance. Cette d’Effiat était enrhumée : on ne la voyait point, mais c’était tout de même ; la jeune Leuville faisait les honneurs. Je leur fis vos compliments par avance, et les vôtres aussi, ma très chère. On est bien étonné que Mme d’Effiat soit gouvernante de quelque chose. Tout est fort bien. La maréchale de Clérambault aura son paquet à Poitiers, où elle avait reçu l’ordre de venir au Palais-Royal. Voilà le monde. Ne vous ai-je pas mandé les prospérités de Mme de Grancey, et comme elle revient accablée de présents ? Elle eût embrasé l’Espagne si, comme on disait, elle y avait passé l’hiver. Elle a mandé que l’âme prenante de Mme de Fiennes avait passé heureusement dans son corps, et qu’elle prenait à toutes mains.
On attend, à la cour, le courrier de Bavière avec impatience ; on compte les moments. Cela me fait souvenir de l’autre, qui a comblé la mesure des mauvais offices qu’on rendait à notre pauvre ami. Sans cette dernière chose, il se fût encore remis dans les arçons, mais Dieu ne voulait pas que cela fût autrement. Je vous ai mandé comme j’avais envoyé tous les gros paquets à Pomponne avec celui de Mme de Vins. On renvoya à Saint-Germain ce qu’il fallait y envoyer.
J’ai quelque impatience de savoir comme se porte et comporte la pauvre petite d’Adhémar. Je m’en vais lui écrire tout résolument ; depuis que je me mets à différer, il n’y a plus de fin.
Ma chère bonne, que vous dirai-je encore ? Il me semble qu’il n’y a point de nouvelles. On saura les officiers de Madame la Dauphine quand ce courrier sera revenu. J’ai bien envie de savoir comme vous aurez soutenu ce tourbillon d’Aix. Il est horrible ; je m’en souviens. C’était une de mes raisons de craindre pour votre santé. Toutes ces allées et venues sont des affaires pour vous présentement, qui n’en étaient pas autrefois. Le chevalier de Buous est ici. Il me dit tant que vous vous portez parfaitement bien, que vous êtes plus belle que jamais, que vous êtes si gaie - c’est trop, monsieur le chevalier. Un peu moins d’exagération, plus de vraisemblance, plus de détail, plus d’attention m’aurait fait plus de bien. Il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m’impatientent. J’ai dit mille fois que l’on se porte toujours à merveille pour ceux qui ne s’en soucient guère. Saint-Laurens me parle encore de l’excès de votre santé. Eh, mon Dieu ! une petite lettre de Montgobert, qui regarde et qui connaît, me fait plus de plaisir que toutes ces grandes perfections.
Mme de Coulanges causa l’autre jour une heure avec Fagon chez Mme de Maintenon. Ils parlèrent de vous. Il dit que votre grand régime devait être dans les aliments, que c’était un remède que la nourriture, que c’était le seul qui le soutînt, que cela adoucissait le sang, réparait les dissipations, rafraîchissait la poitrine, redonnait des forces, et que, quand on croit n’avoir pas digéré après huit ou neuf heures, on se trompait, que c’étaient des vents qui prenaient la place, et que si l’on mettait un potage ou quelque chose de chaud sur ce que l’on croit son dîner, on ne le sentirait plus, et l’on s’en porterait bien mieux, que c’était une de vos grandes erreurs. Mme de Coulanges écouta et retint tout ce discours, et voulut vous le mander ; je m’en suis chargée, et vous conjure, ma très bonne, d’y faire quelque réflexion, et d’essayer s’il dit vrai, et de mettre la conduite de votre santé devant tout ce que vous appelez des devoirs. Croyez que c’est votre seule et importante affaire. Si la pauvre Mme de La Fayette n’en usait ainsi, elle serait morte il y a longtemps. Et c’est par ces pensées, que Dieu lui donne, qu’elle soutient sa triste vie, car, en vérité, elle est accablée de mille maux différents. Je reçois dans ce moment, ma très chère, votre paquet du 29 par un chemin détourné ; voilà tout le commencement de ma lettre entièrement ridicule et inutile. Voilà donc ce cher paquet, le voilà. Vous avez très bien fait, ma bonne, de le déguiser et de le dépayser un peu. Je ne suis point du tout surprise de votre surprise ni de votre douleur ; j’en ai senti, et j’en sens encore tous les jours. Vous m’en parlerez longtemps avant que je vous trouve trop pleine de cette nouvelle ; elle ne sera pas sitôt oubliée de beaucoup de gens, car pour le torrent, il va comme votre Durance quand elle est endiablée, mais elle n’entraîne pas tout avec elle. Vos réflexions sont si tendres, si justes, si sages et si bonnes qu’elles mériteraient d’être admirées de quelqu’un qui valût mieux que moi.
Vous avez raison, la dernière faute n’a point fait tout le mal, mais elle a fait résoudre ce qui ne l’était pas encore. Un certain homme avait donné de grands coups depuis un an, espérant tout réunir, mais on bat les buissons et les autres prennent les oiseaux, de sorte que l’affliction n’a pas été médiocre et a troublé entièrement la joie intérieure de la fête. M’entendez-vous bien ? car vous n’aurez votre courrier de dix ans. Il vaut autant mourir. C’est donc un mat qui a été donné, lorsqu’on croyait avoir le plus beau jeu du monde et rassembler toutes ses pièces ensemble. Il est donc vrai que c’est la dernière goutte d’eau qui a fait répandre le verre ; ce qui nous fait chasser notre portier, quand il ne nous donne pas un billet que nous attendons avec impatience, a fait tomber du haut de la tour, et on s’est bien servi de l’occasion. Personne ne croit que le nom y ait eu part ; peut-être aussi qu’il y a entré pour sa vade. Un homme me disait l’autre jour : « C’est un crime que sa signature. » Et je dis : « Oui, c’est un crime pour eux de signer et de ne signer pas. » Je n’ai rien entendu de cet écrit insolent dont vous me parlez. Je crois qu’on ne se défie point de la discrétion de ceux qui savent les secrets ; rien n’est égal à leur sagesse, à leur vertu, à leur résignation, à leur courage. Je crois que, dans la solitude où ils sont encore pour quelques jours, il communiquera toutes ses perfections à toute sa famille. J’y ai fait tenir votre paquet à la belle-soeur en envoyant les paquets, comme je vous l’ai mandé ; je m’en vais encore y envoyer ceux que je viens de recevoir. On me fit de là des réponses si tendres que je ne pus les soutenir sans une extrême tendresse.
Adieu, ma chère bonne. Embrassez la petite d’Adhémar. La pauvre enfant ! ayez-en pitié ; je ne puis encore lui écrire. Je baise et j’embrasse tout ce qui vous entoure. Vous êtes trop bonne de me rassurer sur la douleur que me donne mon inutilité pour votre service ; quelque tour que j’essaie d’y donner, j’en suis humiliée. Mais, ma bonne, vous ne laisserez pas de m’aimer ; vous m’en assurez, et je le crois. Je penserais comme vous, si j’étais à votre place ; cette manière de juger est fort sûre. Je suis tout à vous ; je ne puis vous rien dire de si vrai. Vendredi, à 7 heures du soir, 8ème décembre.
Après avoir envoyé mon paquet à la poste, j’en reçois un de Mme de Vins pour vous. Mais comme elle me prie de ne l’envoyer que par le courrier, je le ferai, et vais le mettre dans mon cabinet ; j’y joindrai encore les réponses qu’elle fera à vos lettres, que j’enverrai demain. Et quoiqu’il soit fâcheux de laisser vieillir des lettres, il le vaut mieux que de hasarder de faire du mal à ses amis. Mandez-moi des nouvelles de la santé de Monsieur le Coadjuteur. Je vous embrasse, ma très chère.
’’Provence, Lambesc. Madame, madame la comtesse de Grignan. À Lambesc.’’
À Madame de Grignan - À Paris, ce vendredi 29ème décembre 1679.
Ma très chère bonne, figurez-vous que je suis à genoux devant vous et qu’avec beaucoup de larmes, je vous demande, par toute l’amitié que vous avez pour moi et par toute celle que j’ai pour vous, de ne me plus écrire que comme vous avez fait la dernière fois. Ma bonne, c’est tellement du cœur que je vous demande cette grâce qu’il est impossible que cette vérité ne se fasse sentir au vôtre. Hélas ! ma chère enfant, tout épuisée, tout accablée, n’en pouvant plus, une douleur et une sécheresse de poitrine épouvantables - et moi, qui vous aime chèrement, j’y puis contribuer ! Je puis me reprocher d’être cause de cet état douloureux et périlleux ! Moi qui donnerais ma vie pour sauver la vôtre, je serai cause de votre perte, et j’aurai si peu de tendresse pour vous que je mettrai en comparaison, le plaisir de lire vos lettres, et les réponses très agréables que vous me faites sur des bagatelles, avec la douleur de vous tuer, de vous faire mourir Ma très chère bonne, cette pensée me fait frissonner. S’accommode qui voudra de cet assassinat ; pour moi, je ne puis l’envisager, et je vous jure et je vous proteste que si vous m’écrivez plus d’une feuille et que, pour les nouvelles, vous ne vous serviez de Montgobert, de Gautier, ou d’Anfossy, je vous jure que je ne vous écrirai plus du tout. Et le commerce rompu de mon côté me donnera autant de chagrin que j’aurai de soulagement si vous en usez comme je vous le dis. Quoi ! je pourrais me reprocher le mal que vous sentez ! Hélas ! il me fait assez de mal sans que j’y ajoute de vous tuer de ma propre main. Ma bonne, voilà qui est fait ; si vous m’aimez, ôtez-moi du nombre de ce que vous croyez vos devoirs. Je me croirai la plus aimée, la mieux traitée, la plus tendrement ménagée, quand vous prendrez sur moi et que vous ôterez du nombre de vos fatigues les volumes que vous m’écrivez. Il y a longtemps que j’en suis blessée et que je me doute de ce qui vous est arrivé, mais enfin cela est trop visible, et j’aimerai toute ma vie Montgobert de vous avoir forcée à lui quitter la plume. Voilà ce qui s’appelle de l’amitié ; je m’en vais l’en remercier. Voilà ce qui s’appelle avoir des yeux, et vous regarder. Je me moque de tout le reste ; ils ont des yeux et ne voient point, et nous avons les mêmes yeux, elle et moi. Aussi je n’écoute qu’elle. Elle n’a osé me dire un mot cette fois ; la sincérité et la crainte de m’affliger lui ont imposé silence. Mlle de Méri se gouverne bien mieux ; elle n’écrit point. Corbinelli se tue quand il veut ; il n’a qu’à écrire. Qu’il soit huit jours sans regarder son écritoire, il ressuscite. Laissez, laissez un peu la vôtre, toute jolie qu’elle est ; ne vous disais-je pas bien que c’était un poignard que je vous donnais ? Vous avez si bien ménagé ce que vous avez écrit dans votre lettre qu’elle m’a paru toute de vous. J’étais fâchée de sa grosseur. Et quoique j’aie compris l’état où vous étiez avec beaucoup de peine, j’ai mieux aimé que cela soit arrivé pour vous corriger, et y mettre un bon ordre une bonne fois pour toutes, que d’être encore trompée et vous achever d’accabler.
Je vis l’autre jour Duchesne chez Mme de Coulanges, qui a gardé plus de quinze jours sa chambre pour des dégoûts et des plénitudes ; il me parla de votre santé, et me dit encore pis que pendre de cette chienne d’écriture. Il est ami de Fagon. Il me conta qu’il ne vivait que par l’éloignement des écritoires, et me dit encore que vous ne vous laissassiez point mourir d’inanition. Quand la digestion est trop longue, il faut manger : cela consomme un reste qui ne fait que se pourrir et fumer si vous ne le réchauffez par des aliments ; Saint-Aubin en a fait cent fois l’expérience. Il pria fort aussi de vous recommander l’eau de Sainte-Reine. C’est une cause de tous vos maux, à quoi vous ne pensez peut-être pas. Ma bonne, Dieu veut que je vous dise tout cela ; je le prie de donner à mes paroles toute la force nécessaire pour vous frapper et vous obliger d’en faire votre profit. Je pris hier une médecine, par l’ordre du bon Duchesne ; elle m’a fait comme celle du Bourbonnais. Je prendrai demain de la petite eau de cerises. Et le tout pour vous plaire ; faites aussi quelque chose pour moi.
Vous avez été à Lambesc, à Salon ; ces voyages, avec votre poitrine, ont dû vous mettre en mauvais état, et vous ne vous en souciez point et personne n’y pense. Vous seriez bien fâchée d’avoir rien dérangé ; il faut que la compagnie de bohèmes soit complète, comme si vous aviez leur santé. Votre lit, votre chambre, un grand repos, un grand régime, voilà ce qu’il vous fallait, ma bonne ; au lieu de cela, du mouvement, des compliments, du dérèglement et de la fatigue. Ma bonne, il ne faut rien espérer de vous, tant que vous mettrez toutes sortes de choses devant votre santé. J’ai tellement rangé d’une autre sorte cette unique affaire qu’il me semble que tout est loin de moi, en comparaison de cette intime attention que j’ai pour vous. Cependant je veux finir pour aujourd’hui ce chapitre.
Je vous mandai avant-hier, par un petit guenillon de billet qui suivait une grosse lettre, que Mme de Soubise était exilée ; cela devient faux. Il nous paraît qu’elle a parlé, un peu murmuré de n’avoir pas été dame d’honneur, comme la Reine le voulait, peut-être méprisé la pension au prix de cette belle place ; et sur cela, la Reine lui aura conseillé de venir passer son chagrin à Paris. Elle y est, et même on dit qu’elle a la rougeole. On ne la voit point, mais on est persuadé qu’elle retournera, comme si de rien n’était. On faisait une grande affaire de rien. L’esprit charitable de souhaiter plaies et bosses à tout le monde est extrêmement répandu.
Il y a de certaines choses, au contraire, sur quoi on se trouve disposé à souffler du bonheur, comme du temps des fées. Le mariage de Mlle de Blois plaît aux yeux. Le Roi lui dit d’écrire à sa mère ce qu’il faisait pour elle. Tout le monde a été lui faire compliment ; je crois que Mme de Coulanges m’y mènera demain. Je veux voir aussi la petite du Janet ; je serai lundi à sa prise d’habit, et je lui fais donner tous ses habits par la Bagnols. Monsieur le Prince, Monsieur le Duc sont courus chez cette sainte fille et mère, qui a parfaitement bien accommodé son style à son voile noir, assaisonnant parfaitement sa tendresse de mère avec celle d’épouse de Jésus-Christ. Les princes ont poussé leurs honnêtetés jusqu’à Mme de Saint-Rémy et sa fille, et une vieille tante obscure qui demeure dans le faubourg ; en vérité, ils ont raison de pardonner au côté maternel en faveur de l’autre.
Le Roi marie sa fille non comme la sienne, mais comme celle de la Reine, qu’il marierait au roi d’Espagne. Il lui donne cinq cent mille écus d’or, comme on fait toujours avec ces couronnes, hormis que ceux-ci seront payés et que les autres, fort souvent, ne font qu’honorer le contrat. Cette jolie noce se fera devant le 15 de janvier. Gautier ne peut plus se plaindre ; il aura touché cette année en noces plus d’un million. On donne d’abord cent mille francs à la maréchale de Rochefort pour commencer les habits de la Dauphine. Monsieur l’Electeur avait mandé les marchands de Paris pour habiller sa soeur ; le Roi l’a prié de ne point se mettre en peine de rien, et qu’avec sa maison, qu’on lui envoyait, elle trouverait tout ce qu’elle pourrait souhaiter. Le mariage se fera avec beaucoup de dignité. On ne partira qu’en février.
J’attendrai Gordes avec impatience, et laisserai bien assurément écumer mon pot à qui voudra, pour lui demander : "Comment se porte-t-elle, et que fait-elle ?" S’il me répond comme le chevalier de Buous, je le laisserai là, en soupirant, car ce n’est pas sans beaucoup de douleur qu’on ne peut pas s’accommoder de ce qu’il dit de vous.
Monsieur l’Intendant est bien heureux d’être si galant, sans craindre de rendre sa femme jalouse. Je voudrais qu’il mît les échecs à la place du hère ; autant de fois qu’il serait mat seraient autant de marques de sa passion. La mienne continue pour ce jeu ; je me fais un honneur de faire mentir M. de La Trousse, et je crains quelquefois de n’y pas réussir.
Je suis fort bien reçue quand je fais vos compliments ; votre souvenir honore. J’ai fait votre devoir à l’abbé Arnauld et à La Troche. Mme de Coulanges veut vous écrire, et vous remercier elle-même, mais ce sera l’année qui vient ; elle est dans l’agitation des étrennes, qui est violente cette année. Il me semble que vous croyez que je mens, quand je parle de la connaissance de Fagon et de Duchesne ; ç’a été, ma belle, pendant la blessure de M. de Louvois, qu’ils furent quarante jours ensemble ; ils se sont liés d’une estime très particulière. Oui, n’en riez point ; c’est à votre montre qu’il faut regarder si vous avez faim, et quand elle vous dira qu’il y a huit ou neuf heures que vous n’avez mangé, avalez un bon potage, sur sa parole, et vous consommerez ce que vous appelez une indigestion. Je voudrais que la montre fût méchante, et que le cuisinier fût bon. Je voudrais vous avoir envoyé le mien, il est cent fois meilleur. Je suis un peu fâchée contre La Forêt d’avoir tant répondu d’un si vilain marmiton. Nous avons été tous aveuglés.
Nous pouvons donc espérer de voir Monsieur le Coadjuteur, et lui voir une princesse dans la multitude de ses poulettes. Sa ruelle était celle de la vieille princesse, où il y avait trois fauteuils tout de suite et des sièges pliants ensuite, et l’on se trouvait à l’aventure sur ces chaises ; et quand il venait plus de duchesses qu’il n’y en avait, elles avaient pour se consoler Mme de Bracciano et Mme d’Orval sur des pliants. Cette confusion était assez bien et assez naturelle ; personne n’a été fâché. Hélas ! que sait-on si cette petite princesse est contente ? la fantaisie présente de son mari est de sonner du cor à la ruelle de son lit ! Ce n’est pas l’ordre de Dieu, qu’autre chose que lui puisse contenter pleinement notre cœur. Ah ! que j’ai une belle histoire à vous conter de l’archevêque ! mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.
M. de Pomponne est retourné sur le bord de sa Marne. Il y avait l’autre jour plus de gens considérables, le soir chez lui, que devant sa disgrâce. C’est le prix de n’avoir point changé pour ses amis ; vous verrez qu’ils ne changeront point pour lui aussi. Rien ne se peut ajouter à l’amitié et à la reconnaissance qu’il a pour vous. Mme de Vins m’en paraît toujours touchée jusqu’aux larmes, dont j’ai vu rougir plusieurs fois ses beaux yeux. Elle ne veut faire de visites qu’avec moi, puisque vous et Mme de Villars lui manquez. Elle peut disposer de ma personne tant qu’elle me trouvera bonne ; j’ai trop de raisons pour me trouver heureuse de ce goût. Elle n’a point été à Saint-Germain. Elle a des affaires qui la retiennent, malgré qu’elle en ait, car son cœur la mène et la fait demeurer à Pomponne ; cet attachement est digne d’être honoré et adoucit les malheurs communs.
Adieu, ma très chère bonne. Faites-moi écrire après avoir commencé, car il me faut quatre lignes. Mademoiselle de Grignan, Montgo, Gautier, Anfossy, ayez tous pitié de ma fille et de moi. Et Montgobert ne peut-elle pas entrer aussi dans le pied de veau de Lambesc ? Enfin, ma bonne, soulagez-vous, ayez soin de vous, fermez votre écritoire ; c’est le vrai temple de Janus. Et songez que vous ne sauriez faire un plus solide et sensible plaisir à ceux qui vous aiment le plus que de vous conserver pour eux, et non pas vous tuer pour leur écrire. J’embrasse toute votre compagnie, et le capitaine bohème, c’est-à-dire Monsieur le Comte. Je suis en peine de Paulinette. Hélas ! comme vous dites, il n’y a qu’un moment que vous étiez comme l’autre !
C’est une chose rude, ma bonne, que d’être fort loin des personnes que l’on aime beaucoup ; il est impossible, quelque résolution que l’on fasse, de n’être pas un peu alarmée des désordres de la poste. Je n’eus point de vos lettres avant-hier ; pour dimanche, je ne m’en étonne pas, car j’avais eu le courrier. J’envoyai chez MM. de Grignan ; ils n’en avaient point non plus. J’y allai le lendemain, qui était hier ; enfin il vint une lettre du 28 novembre, de Monsieur l’Archevêque, qui nous persuada qu’au moins vous n’étiez pas plus malade qu’à l’ordinaire. Je passai à la poste pour savoir des nouvelles d’Aix, car les courriers de ces messieurs vont mieux que les nôtres, mais je sus, par Mme Rouillé, que son mari, du 29, ne lui parlait point de vous, mais bien de la disgrâce de M. de Pomponne, que M. de Grignan lui venait d’apprendre. J’attends donc vos lettres de dimanche ; je crois que j’en aurai deux. Je n’ai jamais mis en doute que vous ne m’ayez écrit, à moins que d’être bien malade. Cette seule pensée, sans aucun fondement, fait un fort grand mal. C’est une suite de votre délicate santé, car quand vous vous portiez bien, je supportais sans horreur les extravagances de la poste. Car voyez quelle folie d’apporter d’Aix le paquet de Madame l’intendante, et laisser le vôtre !
Beaulieu a reçu une lettre de Lyon, d’Autrement, du 30ème ; il y est seul et va s’embarquer. Cette pauvre Mme d’Oppède est demeurée par les chemins, son fils malade à Cosne, et sa fille à Roanne. Tout est semé de son train. Quel embarras ! Je la plains. Elle donnait de l’argent à dépenser à ses gens. Ainsi les dix écus que nous pensions inutiles à ce garçon lui auront été bons. Il est un peu rude sur la dépense. Il ne parlait pas de moins que d’un écu par jour par les chemins ; nous nous moquâmes de lui. Nous croyons que si vous lui donnez vingt-cinq ou trente sols, à cause de sa maladie qui le rend délicat, c’est le bout du monde. Nous vous compterons sa garde, ses bouillons ; mais depuis notre retour de Livry, qu’il était pêle-mêle avec nos gens, assurément vous n’en entendrez pas parler. Vous ne payez que trop bien vos hôtes ; je travaille à voir clair à ce que je vous dois de reste. Nous ferons repartir Saint-Laurens le plus tôt que nous pourrons. Nous saurons demain le jour, au retour de l’abbé de Grignan qui a fait encore un second voyage à Saint-Germain (de ces voyages qui me donnent tant de peine !). En vérité, vous êtes trop heureux de les avoir tous pour résidents à la cour de France. Ils désapprouvent bien votre affaire de Toulon ; ils disent que si on voulait se brouiller à feu et à sang avec le gouverneur, il ne faudrait pas autre chose. Nous espérons que celle des blés sera plus praticable.
Je vous écrivis mercredi une très longue lettre. Si on vous la perd, vous ne comprendrez rien à celle-ci. Par exemple, on verra la jeune princesse de Guéméné aujourd’hui en parade à l’hôtel de Guéméné ; vous ne sauriez ce que je veux dire. Mais supposant que vous savez le mariage de Mlle de Vauvineux, je vous dirai qu’afin qu’il ne manque rien à son triomphe, elle y recevra ses visites quatre jours de suite. J’irai demain avec Mme de Coulanges, car je fais toujours ce qui s’appelle visites avec elle ou sa soeur.
Nous fûmes hier, Monsieur le Comte, chez vos amies Leuville et d’Effiat ; elles reçoivent les compliments de la réconciliation et de la gouvernance. Cette d’Effiat était enrhumée : on ne la voyait point, mais c’était tout de même ; la jeune Leuville faisait les honneurs. Je leur fis vos compliments par avance, et les vôtres aussi, ma très chère. On est bien étonné que Mme d’Effiat soit gouvernante de quelque chose. Tout est fort bien. La maréchale de Clérambault aura son paquet à Poitiers, où elle avait reçu l’ordre de venir au Palais-Royal. Voilà le monde. Ne vous ai-je pas mandé les prospérités de Mme de Grancey, et comme elle revient accablée de présents ? Elle eût embrasé l’Espagne si, comme on disait, elle y avait passé l’hiver. Elle a mandé que l’âme prenante de Mme de Fiennes avait passé heureusement dans son corps, et qu’elle prenait à toutes mains.
On attend, à la cour, le courrier de Bavière avec impatience ; on compte les moments. Cela me fait souvenir de l’autre, qui a comblé la mesure des mauvais offices qu’on rendait à notre pauvre ami. Sans cette dernière chose, il se fût encore remis dans les arçons, mais Dieu ne voulait pas que cela fût autrement. Je vous ai mandé comme j’avais envoyé tous les gros paquets à Pomponne avec celui de Mme de Vins. On renvoya à Saint-Germain ce qu’il fallait y envoyer.
J’ai quelque impatience de savoir comme se porte et comporte la pauvre petite d’Adhémar. Je m’en vais lui écrire tout résolument ; depuis que je me mets à différer, il n’y a plus de fin.
Ma chère bonne, que vous dirai-je encore ? Il me semble qu’il n’y a point de nouvelles. On saura les officiers de Madame la Dauphine quand ce courrier sera revenu. J’ai bien envie de savoir comme vous aurez soutenu ce tourbillon d’Aix. Il est horrible ; je m’en souviens. C’était une de mes raisons de craindre pour votre santé. Toutes ces allées et venues sont des affaires pour vous présentement, qui n’en étaient pas autrefois. Le chevalier de Buous est ici. Il me dit tant que vous vous portez parfaitement bien, que vous êtes plus belle que jamais, que vous êtes si gaie - c’est trop, monsieur le chevalier. Un peu moins d’exagération, plus de vraisemblance, plus de détail, plus d’attention m’aurait fait plus de bien. Il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m’impatientent. J’ai dit mille fois que l’on se porte toujours à merveille pour ceux qui ne s’en soucient guère. Saint-Laurens me parle encore de l’excès de votre santé. Eh, mon Dieu ! une petite lettre de Montgobert, qui regarde et qui connaît, me fait plus de plaisir que toutes ces grandes perfections.
Mme de Coulanges causa l’autre jour une heure avec Fagon chez Mme de Maintenon. Ils parlèrent de vous. Il dit que votre grand régime devait être dans les aliments, que c’était un remède que la nourriture, que c’était le seul qui le soutînt, que cela adoucissait le sang, réparait les dissipations, rafraîchissait la poitrine, redonnait des forces, et que, quand on croit n’avoir pas digéré après huit ou neuf heures, on se trompait, que c’étaient des vents qui prenaient la place, et que si l’on mettait un potage ou quelque chose de chaud sur ce que l’on croit son dîner, on ne le sentirait plus, et l’on s’en porterait bien mieux, que c’était une de vos grandes erreurs. Mme de Coulanges écouta et retint tout ce discours, et voulut vous le mander ; je m’en suis chargée, et vous conjure, ma très bonne, d’y faire quelque réflexion, et d’essayer s’il dit vrai, et de mettre la conduite de votre santé devant tout ce que vous appelez des devoirs. Croyez que c’est votre seule et importante affaire. Si la pauvre Mme de La Fayette n’en usait ainsi, elle serait morte il y a longtemps. Et c’est par ces pensées, que Dieu lui donne, qu’elle soutient sa triste vie, car, en vérité, elle est accablée de mille maux différents. Je reçois dans ce moment, ma très chère, votre paquet du 29 par un chemin détourné ; voilà tout le commencement de ma lettre entièrement ridicule et inutile. Voilà donc ce cher paquet, le voilà. Vous avez très bien fait, ma bonne, de le déguiser et de le dépayser un peu. Je ne suis point du tout surprise de votre surprise ni de votre douleur ; j’en ai senti, et j’en sens encore tous les jours. Vous m’en parlerez longtemps avant que je vous trouve trop pleine de cette nouvelle ; elle ne sera pas sitôt oubliée de beaucoup de gens, car pour le torrent, il va comme votre Durance quand elle est endiablée, mais elle n’entraîne pas tout avec elle. Vos réflexions sont si tendres, si justes, si sages et si bonnes qu’elles mériteraient d’être admirées de quelqu’un qui valût mieux que moi.
Vous avez raison, la dernière faute n’a point fait tout le mal, mais elle a fait résoudre ce qui ne l’était pas encore. Un certain homme avait donné de grands coups depuis un an, espérant tout réunir, mais on bat les buissons et les autres prennent les oiseaux, de sorte que l’affliction n’a pas été médiocre et a troublé entièrement la joie intérieure de la fête. M’entendez-vous bien ? car vous n’aurez votre courrier de dix ans. Il vaut autant mourir. C’est donc un mat qui a été donné, lorsqu’on croyait avoir le plus beau jeu du monde et rassembler toutes ses pièces ensemble. Il est donc vrai que c’est la dernière goutte d’eau qui a fait répandre le verre ; ce qui nous fait chasser notre portier, quand il ne nous donne pas un billet que nous attendons avec impatience, a fait tomber du haut de la tour, et on s’est bien servi de l’occasion. Personne ne croit que le nom y ait eu part ; peut-être aussi qu’il y a entré pour sa vade. Un homme me disait l’autre jour : « C’est un crime que sa signature. » Et je dis : « Oui, c’est un crime pour eux de signer et de ne signer pas. » Je n’ai rien entendu de cet écrit insolent dont vous me parlez. Je crois qu’on ne se défie point de la discrétion de ceux qui savent les secrets ; rien n’est égal à leur sagesse, à leur vertu, à leur résignation, à leur courage. Je crois que, dans la solitude où ils sont encore pour quelques jours, il communiquera toutes ses perfections à toute sa famille. J’y ai fait tenir votre paquet à la belle-soeur en envoyant les paquets, comme je vous l’ai mandé ; je m’en vais encore y envoyer ceux que je viens de recevoir. On me fit de là des réponses si tendres que je ne pus les soutenir sans une extrême tendresse.
Adieu, ma chère bonne. Embrassez la petite d’Adhémar. La pauvre enfant ! ayez-en pitié ; je ne puis encore lui écrire. Je baise et j’embrasse tout ce qui vous entoure. Vous êtes trop bonne de me rassurer sur la douleur que me donne mon inutilité pour votre service ; quelque tour que j’essaie d’y donner, j’en suis humiliée. Mais, ma bonne, vous ne laisserez pas de m’aimer ; vous m’en assurez, et je le crois. Je penserais comme vous, si j’étais à votre place ; cette manière de juger est fort sûre. Je suis tout à vous ; je ne puis vous rien dire de si vrai. Vendredi, à 7 heures du soir, 8ème décembre.
Après avoir envoyé mon paquet à la poste, j’en reçois un de Mme de Vins pour vous. Mais comme elle me prie de ne l’envoyer que par le courrier, je le ferai, et vais le mettre dans mon cabinet ; j’y joindrai encore les réponses qu’elle fera à vos lettres, que j’enverrai demain. Et quoiqu’il soit fâcheux de laisser vieillir des lettres, il le vaut mieux que de hasarder de faire du mal à ses amis. Mandez-moi des nouvelles de la santé de Monsieur le Coadjuteur. Je vous embrasse, ma très chère.
’’Provence, Lambesc. Madame, madame la comtesse de Grignan. À Lambesc.’’
À Madame de Grignan - À Paris, ce vendredi 29ème décembre 1679.
Ma très chère bonne, figurez-vous que je suis à genoux devant vous et qu’avec beaucoup de larmes, je vous demande, par toute l’amitié que vous avez pour moi et par toute celle que j’ai pour vous, de ne me plus écrire que comme vous avez fait la dernière fois. Ma bonne, c’est tellement du cœur que je vous demande cette grâce qu’il est impossible que cette vérité ne se fasse sentir au vôtre. Hélas ! ma chère enfant, tout épuisée, tout accablée, n’en pouvant plus, une douleur et une sécheresse de poitrine épouvantables - et moi, qui vous aime chèrement, j’y puis contribuer ! Je puis me reprocher d’être cause de cet état douloureux et périlleux ! Moi qui donnerais ma vie pour sauver la vôtre, je serai cause de votre perte, et j’aurai si peu de tendresse pour vous que je mettrai en comparaison, le plaisir de lire vos lettres, et les réponses très agréables que vous me faites sur des bagatelles, avec la douleur de vous tuer, de vous faire mourir Ma très chère bonne, cette pensée me fait frissonner. S’accommode qui voudra de cet assassinat ; pour moi, je ne puis l’envisager, et je vous jure et je vous proteste que si vous m’écrivez plus d’une feuille et que, pour les nouvelles, vous ne vous serviez de Montgobert, de Gautier, ou d’Anfossy, je vous jure que je ne vous écrirai plus du tout. Et le commerce rompu de mon côté me donnera autant de chagrin que j’aurai de soulagement si vous en usez comme je vous le dis. Quoi ! je pourrais me reprocher le mal que vous sentez ! Hélas ! il me fait assez de mal sans que j’y ajoute de vous tuer de ma propre main. Ma bonne, voilà qui est fait ; si vous m’aimez, ôtez-moi du nombre de ce que vous croyez vos devoirs. Je me croirai la plus aimée, la mieux traitée, la plus tendrement ménagée, quand vous prendrez sur moi et que vous ôterez du nombre de vos fatigues les volumes que vous m’écrivez. Il y a longtemps que j’en suis blessée et que je me doute de ce qui vous est arrivé, mais enfin cela est trop visible, et j’aimerai toute ma vie Montgobert de vous avoir forcée à lui quitter la plume. Voilà ce qui s’appelle de l’amitié ; je m’en vais l’en remercier. Voilà ce qui s’appelle avoir des yeux, et vous regarder. Je me moque de tout le reste ; ils ont des yeux et ne voient point, et nous avons les mêmes yeux, elle et moi. Aussi je n’écoute qu’elle. Elle n’a osé me dire un mot cette fois ; la sincérité et la crainte de m’affliger lui ont imposé silence. Mlle de Méri se gouverne bien mieux ; elle n’écrit point. Corbinelli se tue quand il veut ; il n’a qu’à écrire. Qu’il soit huit jours sans regarder son écritoire, il ressuscite. Laissez, laissez un peu la vôtre, toute jolie qu’elle est ; ne vous disais-je pas bien que c’était un poignard que je vous donnais ? Vous avez si bien ménagé ce que vous avez écrit dans votre lettre qu’elle m’a paru toute de vous. J’étais fâchée de sa grosseur. Et quoique j’aie compris l’état où vous étiez avec beaucoup de peine, j’ai mieux aimé que cela soit arrivé pour vous corriger, et y mettre un bon ordre une bonne fois pour toutes, que d’être encore trompée et vous achever d’accabler.
Je vis l’autre jour Duchesne chez Mme de Coulanges, qui a gardé plus de quinze jours sa chambre pour des dégoûts et des plénitudes ; il me parla de votre santé, et me dit encore pis que pendre de cette chienne d’écriture. Il est ami de Fagon. Il me conta qu’il ne vivait que par l’éloignement des écritoires, et me dit encore que vous ne vous laissassiez point mourir d’inanition. Quand la digestion est trop longue, il faut manger : cela consomme un reste qui ne fait que se pourrir et fumer si vous ne le réchauffez par des aliments ; Saint-Aubin en a fait cent fois l’expérience. Il pria fort aussi de vous recommander l’eau de Sainte-Reine. C’est une cause de tous vos maux, à quoi vous ne pensez peut-être pas. Ma bonne, Dieu veut que je vous dise tout cela ; je le prie de donner à mes paroles toute la force nécessaire pour vous frapper et vous obliger d’en faire votre profit. Je pris hier une médecine, par l’ordre du bon Duchesne ; elle m’a fait comme celle du Bourbonnais. Je prendrai demain de la petite eau de cerises. Et le tout pour vous plaire ; faites aussi quelque chose pour moi.
Vous avez été à Lambesc, à Salon ; ces voyages, avec votre poitrine, ont dû vous mettre en mauvais état, et vous ne vous en souciez point et personne n’y pense. Vous seriez bien fâchée d’avoir rien dérangé ; il faut que la compagnie de bohèmes soit complète, comme si vous aviez leur santé. Votre lit, votre chambre, un grand repos, un grand régime, voilà ce qu’il vous fallait, ma bonne ; au lieu de cela, du mouvement, des compliments, du dérèglement et de la fatigue. Ma bonne, il ne faut rien espérer de vous, tant que vous mettrez toutes sortes de choses devant votre santé. J’ai tellement rangé d’une autre sorte cette unique affaire qu’il me semble que tout est loin de moi, en comparaison de cette intime attention que j’ai pour vous. Cependant je veux finir pour aujourd’hui ce chapitre.
Je vous mandai avant-hier, par un petit guenillon de billet qui suivait une grosse lettre, que Mme de Soubise était exilée ; cela devient faux. Il nous paraît qu’elle a parlé, un peu murmuré de n’avoir pas été dame d’honneur, comme la Reine le voulait, peut-être méprisé la pension au prix de cette belle place ; et sur cela, la Reine lui aura conseillé de venir passer son chagrin à Paris. Elle y est, et même on dit qu’elle a la rougeole. On ne la voit point, mais on est persuadé qu’elle retournera, comme si de rien n’était. On faisait une grande affaire de rien. L’esprit charitable de souhaiter plaies et bosses à tout le monde est extrêmement répandu.
Il y a de certaines choses, au contraire, sur quoi on se trouve disposé à souffler du bonheur, comme du temps des fées. Le mariage de Mlle de Blois plaît aux yeux. Le Roi lui dit d’écrire à sa mère ce qu’il faisait pour elle. Tout le monde a été lui faire compliment ; je crois que Mme de Coulanges m’y mènera demain. Je veux voir aussi la petite du Janet ; je serai lundi à sa prise d’habit, et je lui fais donner tous ses habits par la Bagnols. Monsieur le Prince, Monsieur le Duc sont courus chez cette sainte fille et mère, qui a parfaitement bien accommodé son style à son voile noir, assaisonnant parfaitement sa tendresse de mère avec celle d’épouse de Jésus-Christ. Les princes ont poussé leurs honnêtetés jusqu’à Mme de Saint-Rémy et sa fille, et une vieille tante obscure qui demeure dans le faubourg ; en vérité, ils ont raison de pardonner au côté maternel en faveur de l’autre.
Le Roi marie sa fille non comme la sienne, mais comme celle de la Reine, qu’il marierait au roi d’Espagne. Il lui donne cinq cent mille écus d’or, comme on fait toujours avec ces couronnes, hormis que ceux-ci seront payés et que les autres, fort souvent, ne font qu’honorer le contrat. Cette jolie noce se fera devant le 15 de janvier. Gautier ne peut plus se plaindre ; il aura touché cette année en noces plus d’un million. On donne d’abord cent mille francs à la maréchale de Rochefort pour commencer les habits de la Dauphine. Monsieur l’Electeur avait mandé les marchands de Paris pour habiller sa soeur ; le Roi l’a prié de ne point se mettre en peine de rien, et qu’avec sa maison, qu’on lui envoyait, elle trouverait tout ce qu’elle pourrait souhaiter. Le mariage se fera avec beaucoup de dignité. On ne partira qu’en février.
J’attendrai Gordes avec impatience, et laisserai bien assurément écumer mon pot à qui voudra, pour lui demander : "Comment se porte-t-elle, et que fait-elle ?" S’il me répond comme le chevalier de Buous, je le laisserai là, en soupirant, car ce n’est pas sans beaucoup de douleur qu’on ne peut pas s’accommoder de ce qu’il dit de vous.
Monsieur l’Intendant est bien heureux d’être si galant, sans craindre de rendre sa femme jalouse. Je voudrais qu’il mît les échecs à la place du hère ; autant de fois qu’il serait mat seraient autant de marques de sa passion. La mienne continue pour ce jeu ; je me fais un honneur de faire mentir M. de La Trousse, et je crains quelquefois de n’y pas réussir.
Je suis fort bien reçue quand je fais vos compliments ; votre souvenir honore. J’ai fait votre devoir à l’abbé Arnauld et à La Troche. Mme de Coulanges veut vous écrire, et vous remercier elle-même, mais ce sera l’année qui vient ; elle est dans l’agitation des étrennes, qui est violente cette année. Il me semble que vous croyez que je mens, quand je parle de la connaissance de Fagon et de Duchesne ; ç’a été, ma belle, pendant la blessure de M. de Louvois, qu’ils furent quarante jours ensemble ; ils se sont liés d’une estime très particulière. Oui, n’en riez point ; c’est à votre montre qu’il faut regarder si vous avez faim, et quand elle vous dira qu’il y a huit ou neuf heures que vous n’avez mangé, avalez un bon potage, sur sa parole, et vous consommerez ce que vous appelez une indigestion. Je voudrais que la montre fût méchante, et que le cuisinier fût bon. Je voudrais vous avoir envoyé le mien, il est cent fois meilleur. Je suis un peu fâchée contre La Forêt d’avoir tant répondu d’un si vilain marmiton. Nous avons été tous aveuglés.
Nous pouvons donc espérer de voir Monsieur le Coadjuteur, et lui voir une princesse dans la multitude de ses poulettes. Sa ruelle était celle de la vieille princesse, où il y avait trois fauteuils tout de suite et des sièges pliants ensuite, et l’on se trouvait à l’aventure sur ces chaises ; et quand il venait plus de duchesses qu’il n’y en avait, elles avaient pour se consoler Mme de Bracciano et Mme d’Orval sur des pliants. Cette confusion était assez bien et assez naturelle ; personne n’a été fâché. Hélas ! que sait-on si cette petite princesse est contente ? la fantaisie présente de son mari est de sonner du cor à la ruelle de son lit ! Ce n’est pas l’ordre de Dieu, qu’autre chose que lui puisse contenter pleinement notre cœur. Ah ! que j’ai une belle histoire à vous conter de l’archevêque ! mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.
M. de Pomponne est retourné sur le bord de sa Marne. Il y avait l’autre jour plus de gens considérables, le soir chez lui, que devant sa disgrâce. C’est le prix de n’avoir point changé pour ses amis ; vous verrez qu’ils ne changeront point pour lui aussi. Rien ne se peut ajouter à l’amitié et à la reconnaissance qu’il a pour vous. Mme de Vins m’en paraît toujours touchée jusqu’aux larmes, dont j’ai vu rougir plusieurs fois ses beaux yeux. Elle ne veut faire de visites qu’avec moi, puisque vous et Mme de Villars lui manquez. Elle peut disposer de ma personne tant qu’elle me trouvera bonne ; j’ai trop de raisons pour me trouver heureuse de ce goût. Elle n’a point été à Saint-Germain. Elle a des affaires qui la retiennent, malgré qu’elle en ait, car son cœur la mène et la fait demeurer à Pomponne ; cet attachement est digne d’être honoré et adoucit les malheurs communs.
Adieu, ma très chère bonne. Faites-moi écrire après avoir commencé, car il me faut quatre lignes. Mademoiselle de Grignan, Montgo, Gautier, Anfossy, ayez tous pitié de ma fille et de moi. Et Montgobert ne peut-elle pas entrer aussi dans le pied de veau de Lambesc ? Enfin, ma bonne, soulagez-vous, ayez soin de vous, fermez votre écritoire ; c’est le vrai temple de Janus. Et songez que vous ne sauriez faire un plus solide et sensible plaisir à ceux qui vous aiment le plus que de vous conserver pour eux, et non pas vous tuer pour leur écrire. J’embrasse toute votre compagnie, et le capitaine bohème, c’est-à-dire Monsieur le Comte. Je suis en peine de Paulinette. Hélas ! comme vous dites, il n’y a qu’un moment que vous étiez comme l’autre !