À Madame de Grignan (août 1685)

À Madame de Grignan - Aux Rochers, mercredi 1er août 1685. ’’Réponse aux 25 et 28 juillet.’’

Je revins de mon grand voyage hier au soir, ma chère belle. Je dis adieu à nos Gouverneurs le lundi à huit heures du matin, les suppliant de m’excuser si je les quittais devant que de les avoir vus pendus, mais qu’ayant dix lieues à faire et eux cinq, je m’ennuierais trop à Dol le reste du jour. Ils entrèrent dans mes raisons, et me dirent adieu avec des tendresses et des remerciements infinis. Je vous avoue que j’ai été ravie d’avoir fait ce petit voyage en leur honneur ; je leur devais bien cette marque d’amitié pour toutes celles que j’en reçois. Nous vous célébrâmes. Ils m’embrassèrent pour vous. Ils prirent part à la joie que j’aurais de vous revoir dans peu de temps. Enfin, ma bonne, rien ne fut oublié. M. de Ficubet était arrivé la veille, de sorte que nous eûmes toute la joie qu’on a de se rencontrer dans les pays étrangers. Il me semblait que j’étais à Dol dans un palais d’Atlante ; tous les noms que je connais tournaient autour de nous sans que nous les vissions : Monsieur le Premier Président, M. de La Trémouille, M. de Lavardin, M. d’Harouys, M. de Charost. Ils voltigeaient à une lieue ou une heure de nous, mais nous ne pouvions les toucher.

Je partis donc le lundi matin, mais mon cher petit Coulanges voulut absolument venir passer huit jours avec nous ici, et mon fils n’a point perdu cette occasion de revenir avec lui, de sorte que les voilà tous deux joliment pour d’ici au 8ème de ce mois. Ils iront passer les derniers quinze jours des Etats, et puis mon fils me revient embrasser, et me prie à genoux de l’attendre, et je pars dans le moment. Cela va, ma bonne, aux premiers, premiers jours de septembre, et pour être à Bâville le 9ème ou le 10ème sans y manquer. Voilà, ma chère bonne, ce que je compte, s’il plaît à Dieu, et je sens avec une tendresse extrême les approches de cette joie sensible. Il n’est plus question, comme vous dites, ma bonne, des supputations que notre amitié nous faisait faire ; c’est un calendrier tout commun qui nous règle présentement. Nous avons encore trouvé ici le cher abbé Charrier, qui vous a vue, qui vous a trouvée belle, comme tout le monde, et toute pleine de sensibilité pour moi.

Hélas ! ma bonne, voulez-vous toujours être pénétrée de mon misérable naufrage ? Il faut l’oublier, ma chère bonne, et regarder la suite comme une volonté de Dieu toute marquée, car de songer que d’une écorchure où il ne fallait que de l’huile et du vin, ou rien, on y mette un emplâtre dont tout le monde se loue, et qui devient pour moi du poison parce qu’on ne veut pas le lever, et que de cette sottise soient venus de fil en aiguille tous mes maux, toujours dans l’espérance d’être guérie, et qu’enfin ce ne soit que présentement que je sois guérie, il y a si peu de vraisemblance à cette conduite qu’elle ne doit être regardée que comme un aveuglement répandu pour me donner des chagrins trop bien mérités, et soufferts avec trop d’impatience. Je n’ai point eu, ma bonne, les douleurs, la fièvre et les maux que vous imaginez. Vous ne me trouverez point changée, ma chère bonne. Demandez à mon petit Coulanges ; il vous dira que je suis comme j’étais. Ma jambe s’est fort bien trouvée du voyage ; je n’ai point été fatiguée, ni émue. Je me gouverne comme le veut ma pauvre Charlotte, qui m’est venue voir ce matin. Elle est ravie de m’avoir guérie. N’est-ce pas une chose admirable que je ne l’aie connue que depuis quinze jours ? Tout cela était bien réglé. Elle me fait mettre encore des compresses de vin blanc, et bander ma jambe pour ôter toute crainte de retour, et je me promène sans aucune incommodité. Il est vrai que je vous ai mandé toutes ces mêmes choses, mais il faut bien qu’un jour vienne que je dise vrai, et vous savez bien, ma bonne, que je n’ai jamais cru vous tromper. J’ai la peau d’une délicatesse qui me doit faire craindre les moindres blessures aux jambes. Oh ! parlons d’autre chose, mon enfant.

Je suis fâchée que vous n’ayez point été à cette noce puisque vous le pouviez, et pour la fête de Sceaux, je ne sais comme vous pouvez vous en consoler. Nous épuisons Coulanges. Il nous conte mille choses qui nous divertissent. Nous sommes ravis de l’avoir ; il nous a fait rire aux larmes de votre Mme d’Arbouville dont vous êtes l’originale. Je crois que votre dîner de Sceaux aura été moins agréable par la contrebande que vous y rencontrâtes.

Je voudrais bien pouvoir comprendre la délicatesse de conscience qui empêchera la signature de M. de Montausier et de sa fille ; cette opiniâtre aversion est une chose extraordinaire. Il me semble, ma bonne, que vous allez avoir bien des choses à me conter. Si vous voulez m’envoyer une copie de la lettre de M. de Grignan, vous me ferez un grand plaisir ; elle sera pour moi seule. Je suis persuadée qu’elle sera fort bien faite, et qu’elle fera son effet ; j’en conjure le Seigneur.

Voilà donc le charme rompu ; vous avez un ami riche qui vous donne des repas. Ménagez bien cette bonne fortune ! Celle de M. de Monmouth n’est plainte de personne.

Vous me demandez, ma bonne, si ma plaie s’est rouverte. Non, assurément ; il y a trois mois qu’elle est entièrement fermée et guérie. J’ai voulu encore retourner sur ce triste chapitre pour ne vous pas laisser des erreurs.

N’êtes-vous point surprise de la mort de cette grande Raray ? N’était-ce pas la santé même ? Pour moi, je crois que le saisissement d’entendre toujours louer sa soeur et de n’attraper des regards et des douceurs que comme pour l’amour de Dieu l’a mise au tombeau.

Le bon Abbé est fâché que vous le croyiez si barbare. Il dit que sa malice ne va pas si loin ; il a été ravi de me revoir. J’ai repassé par Rennes pour voir un moment cette bonne Marbeuf et, en repassant par Vitré, la princesse, de sorte que je m’en vais posséder mon petit Coulanges sans distraction. Je vous ai dit comme mon habit était joli, je vous le mandai de Dol. Je vous assure, ma très chère bonne, que ce petit voyage ne m’a donné que de la joie sans nulle sorte d’incommodité. Je n’aime point que notre pauvre Grignan fonde et diminue. Ne lui faites-vous plus rien ? Est-il possible qu’en dormant et mangeant il ne se remette point ? Je suis touchée de cet état. Pour celui du pauvre Chevalier, je ne m’y accoutume pas. Quoi ? ce visage de jeunesse et de santé ! Quoi ? cet âge qui ne sort qu’à peine de la première jeunesse est compatible avec l’impossibilité de marcher ! On le porte comme Saint-Pavin ! Ma bonne, je baisse la tête, et je regarde la main qui l’afflige. Il n’y a vraiment que cela à faire ; toute autre pensée n’est pas capable de nous apaiser un moment. J’ai senti cette vérité. Mon fils vous fait mille tendres amitiés. Sa perruque est à Dinan ; il ne doute point qu’elle ne soit fort bien. Je voudrais que vous eussiez tout fait payer à M. du Plessis. Il n’importe d’avoir payé le vacher ou non ; c’est que nous avions peur que le fonds manquât. Nous avons reçu toutes ces sommes et nous ne ferons point attendre Gautier. Voilà un de nos fermiers venu ; j’attends l’autre, et tout sera si bien rangé que je n’abuserai plus, ma bonne, ni de votre patience, ni de la mienne.

J’aime celle du duc de Bourbon, dans ce grand lit, avec sa petite épousée à dix pas de lui. Il est vrai qu’avec de tels enfants, il ne fallait pas douter que le Sablonnier en passant, sur le minuit, ne leur servît de garde ; Monsieur le Prince et Mme de Langeron étaient inutiles. J’ai pensé plusieurs fois à ce rang au-dessus de votre princesse. Quelle noce ! quelle magnificence quel triomphe !

Sangaride, ce jour est un grand four pour vous,
et digne de beaucoup de différentes réflexions.

Je vous remercie de tous les baisers donnés et rendus aux Grignan. Jetez-en toujours quelques-uns pour entretenir commerce. Surtout j’en veux un pour moi toute seule sur la joue de Monsieur de Carcassonne ; il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai eu de familiarité avec elle. Adieu bonne, adieu chère, adieu très aimable. L’abbé Charrier, en me contant comme vous êtes pour moi, m’a fait vous payer comptant votre tendresse, et le moyen de n’être pas sensible à tant de vraie et solide amitié ? Celle de la princesse de Tarente était aveuglée, comme tout le reste. Ce fut un hasard plaisant qui me fit connaître Charlotte. Elle m’aurait guérie. Il ne fallait pas que je le fusse.

Nous causerons un jour de M. de Luynes. Oh ! quelle folie ! Mme de Chaulnes le dit avec nous. Si Mme de La Fayette avait voulu, elle vous aurait dit, ou montré une réponse où je lui disais des raisons solides pour demeurer comme je suis. Elle et Mme de Lavardin m’en ont louée. Elle aurait pu m’en faire honneur auprès de vous, dont j’estime infiniment l’estime.

Ah ! que je vous approuve d’avoir vu Monsieur le Prince avec Mme de Vins ! Que je suis assurée que vous avez été bien reçue, et qu’il a trouvé votre visite trop courte ! Vous êtes quelquefois trop discrète de la moitié.

De Coulanges

J’ai vu le temps que j’écrivais dans vos lettres un mot à madame votre mère, et présentement, c’est dans les siennes que je vous écrirai un mot, un ordinaire encore tout au moins, car je m’en vais être ici huit bons jours à me reposer auprès d’elle de toutes mes fatigues. Elle vous a conté son voyage de Dol, qui a été très heureux, hors qu’elle a versé deux fois dans un étang, et moi avec elle, mais comme je sais parfaitement bien nager, je l’ai tirée d’affaire sans nul accident, et même sans être mouillée ; ainsi de cette chutes ne craignez ni jambe affligée ni rhume quelconque. Il fait parfaitement beau dans les allées des Rochers. Je m’en vais bien les arpenter, mais il sera triste pourtant, après avoir bien fait de l’exercice, de ne pas trouver tout à fait l’ordinaire de M. de Seignelay auquel je suis accoutumé. Vous avez donc été à Sceaux ; vous ne pouvez jamais en être contente avec la compagnie qui y a été faufilée avec vous. Serait-il bien arrivé que vous n’y auriez pas prononcé mon nom ? Adieu, ma belle Comtesse. Permettez-moi de vous embrasser très tendrement et de faire mille compliments à toute la bonne couvée des Grignan.

72.A Madame de Grignan - Aux Rochers, dimanche 12ème août 1685.

Ma bonne, vous m’avez fait suer les grosses gouttes en jetant ces pistoles qui étaient sur le bout de cette table. Mon Dieu, que j’ai parfaitement compris votre embarras, et ce que vous deveniez en voyant de telles gens ramasser ce que vous jetiez ! Il m’a paru dans Monsieur le Duc un chagrin plein de bonté, dans ce qu’il vous disait de ne pas tout renverser. Il me semble que l’intérêt qu’on aurait pris en vous aurait fait dire comme lui ; c’eût été son tour à ramasser si vous eussiez continué. Ma bonne, j’admire par quelle sorte de bagatelle vous avez été troublée dans la plus agréable fête du monde. Rien n’était plus souhaitable que la conduite qu’avait eue Mme d’Arpajon. Vous étiez écrite de la main du Roi ; vous étiez accrochée avec Mme de Louvois. Vous soupâtes en bonne compagnie ; vous vîtes cette divinité dont vous fûtes charmée. Enfin, ma belle, il fallait ce petit rabat-joie, mais en vérité, passé le moment, c’est bien peu de chose, et je ne crois pas que cela puisse aller bien loin. M. de Coulanges est si empressé à voir vos lettres que je n’ai pas cru devoir lui faire un secret de ce qui s’est passé à la face des nations. Il dit qu’il vous aurait bien rapporté, s’il avait été à Versailles, comme on aurait parlé de cette aventure. Et puis il revient à dire qu’il ne croit pas qu’il ait été possible de reparler d’un rien comme celui-là, où il n’y a point de corps. Quoi qu’il en soit, cela ne fera aucun tort à vos affaires, et vous n’en avez pas l’air plus maladroit ni la grâce moins bonne ; vous n’en serez pas moins belle, et je pense que présentement cette vapeur est dissipée. Vous me conterez quelque jour ce que c’est que la gaieté de ces grands repas, et quel conte Mme de Thianges destina à divertir la compagnie, car elle en sait plus d’un. Vous me représentez Mme la princesse de Conti au-dessus de l’humanité. Je ne crois personne plus capable d’en juger que vous, et je fais peut-être plus d’honneur que je ne dois à votre jugement, puisque vous faites passer mon idée au-delà de vous et de feue Madame, mais ce n’est point pour la danse : c’est en faveur de cette taille divine, qui surprend et qui emporte l’admiration,

Et fait voir à la cour
Que du maître des dieux elle a reçu le jour.
Nous apprenons encore que M. et Mme de Bouillon sont à Evreux, et qu’on a demandé au cardinal la clef de son appartement à Versailles. Cela est bien mauvais ; mais il a été si pleinement heureux toute sa vie qu’il fallait bien qu’il sentît un peu le mélange des biens et des maux.

Pour moi, ma chère bonne, si je ne tremblais point toujours sous la main de la Providence, je goûterais à pleines voiles les plaisirs de l’espérance. Ce ne sont plus des mois que nous comptons, ce sont des semaines et bientôt des jours. Croyez, ma chère bonne, que si Dieu le permet, je vous embrasserai avec une joie bien parfaite. J’apprendrai plus de vos nouvelles lundi, car votre dernière est toute renfermée à celles de Versailles. Celle d’ici, c’est que mon pauvre fils a une petite lanternerie d’émotion, comme j’en eus cet hiver, qui l’a empêché d’aller aux Etats. Il prend de ma même tisane des capucins, que vous connaissez, dont je me suis si bien trouvée qu’il compte de pouvoir partir demain avec M. de Coulanges, car enfin il faut bien qu’ils soient au moins à la fin des Etats, et que le joli habit que vous avez si bien choisi paraisse et pare son homme. Coulanges est toujours trop aimable. Il nous manquera à Bâville, si quelque chose nous peut manquer.

Larmechin est marié à une très bonne et jolie héritière de ce pays ; il devient Breton, et je ne fis jamais mieux que de faire revenir Beaulieu.

Ma santé est parfaite, et ma jambe d’une bonté, d’une complaisance dont M. de Coulanges s’aperçoit tous les jours ; nous nous promenons matin et soir. Il me conte mille choses amusantes. Je souhaite que vous n’ayez parlé qu’à moi des petites trotteuses que vous ne daignâtes regarder ; vous aviez beaucoup de raison, mais l’orgueil ne sait point se faire justice. Je suis fort aise que vous ne me disiez rien de la santé de M. de Grignan ; il me semble que c’est bon signe. Je vous baise et vous embrasse très chèrement et très tendrement, ma très aimable bonne.

De Coulanges

Me voici encore ici. Si je suivais mon inclination, il s’en faudrait bien que je partisse demain pour m’en aller dans le sabbat des Etats, mais cependant je partirai, parce que je les crois sur le point de finir, et qu’il faut que je m’en retourne par la voie par laquelle je suis venu. Eh bien ! vous avez bien fait des vôtres à Marly avec toutes ces pistoles jetées par terre ? Je suis assuré que cette aventure me serait revenue si j’avais été à Versailles, et qu’on m’aurait bien dit que vous étiez si transportée de vous voir en si bonne compagnie que vous ne saviez ce que vous faisiez. Ma belle Madame, laissez dire les méchantes langues, et allez toujours votre chemin. Ce n’est que l’envie qui fait parler contre vous ; c’est un grand crime à la cour que d’avoir plus de beauté et plus d’esprit que toutes les femmes qui y sont. Le Roi ne vous estimera pas moins, et n’en donnera pas moins à monsieur votre fils la survivance que vous lui demandez, pour avoir jeté deux pistoles par terre.

Adieu, ma très belle. Vous aurez incessamment votre chère maman mignonne, aussi belle et aussi aimable que jamais. Elle partira sans faute de demain en trois semaines pour vous aller trouver. J’ai passé ici une quinzaine délicieuse. L’on ne peut assez louer toutes les allées des Rochers. Elles auraient leur mérite à Versailles ; c’est tout vous dire.

73.A Madame de Grignan - Aux Rochers, mercredi 15ème août 1685.

Vous voyez bien, ma bonne, que nous ne comptons plus présentement que par les jours ; ce ne sont plus des mois, ni même des semaines. Mais hélas ! ma très aimable bonne, vous dites bien vrai : pouvons-nous craindre un plus grand et un plus cruel rabat-joie que la douleur sensible de songer à se séparer presque aussitôt qu’on a commencé à sentir la joie de se revoir ? Cette pensée est violente, je ne l’ai que trop souvent, et les jours et les nuits, et même l’autre jour, en vous écrivant, elle était présente à mes yeux, et je disais : "Hélas ! cette peine n’est-elle pas assez grande pour nous mettre à couvert des autres ?" Mais je ne voulus pas toucher à cet endroit si douloureux, et présentement je la cherche encore, ma chère bonne, afin d’être en état d’aller à Bâville, et de vous y trouver.

Je ne serai point honteuse de mon équipage. Mes enfants en ont de fort beaux ; j’en ai eu comme eux. Les temps changent ; je n’ai plus que deux chevaux, et quatre du messager du Mans. Je ne serai point embarrassée d’arriver en cet état. Vous trouverez ma jambe d’une perfection à vous faire aimer Charlotte toute votre vie. Elle vous a vue ici plus belle que le jour, et cette idée lui donne une extrême envie de vous renvoyer cette jambe digne de votre approbation et admiration quand vous saurez d’où elle l’a tirée.

Tout cela est passé, et même le temps du séjour du petit Coulanges. Il partit lundi matin avec mon fils. J’allai les reconduire jusqu’à la porte qui va à Vitré. Nous y étions tous, en attendant nos lettres de Paris. Elles vinrent, et nous lûmes la vôtre, le petit Coulanges jurant qu’il y en avait la moitié pour lui. En effet, vous ne l’aviez pas oublié, mais ils crurent, comme moi, que c’était pour rire que vous nommez Belébat pour la princesse. Il fallut repasser sur ces endroits ; et quand nous vîmes que M. Chupin le proposait sérieusement, et que les Montausier et Mme de Béthune l’approuvaient, je ne puis vous représenter notre surprise ; elle ne cessa que pour faire place à l’étonnement que nous donna la tolérance de cette proposition par Mlle d’Alérac. Nous convenons de la douceur de la vie et du voisinage de Paris, mais a-t-elle un nom et une éducation à se contenter de cette médiocrité ? Est-elle bien assurée que sa bonne maison suffise pour lui faire avoir tous les honneurs et tous les agréments qui ne seront pas contestés à Mme de Polignac ? Où a-t-elle pris une si grande modération ? C’est renoncer de bonne heure à toutes les grandeurs. Je ne dis rien contre le nom, il est bon, mais il y a fagots et fagots, et je croyais la figure et le bon sens de Belébat plus propre à être choisi pour arbitre que pour mari, par préférence à ceux qu’elle néglige. Il ne faudrait point se réveiller la nuit, comme dit Coulanges, pour se réjouir comme sa belle-mère Flexelles d’être à côté d’un Hurault. Enfin, ma bonne, je ne puis vous dire comme cela nous parut, et combien notre sang en fut échauffé à l’exemple du vôtre, ma bonne. Il faut voir ce que Dieu voudra, car s’il avait bien résolu que les articles de l’autre fussent inaccommodables, je défierais tous les avocats de Paris d’y trouver des expédients.

Il faut des avocats passer à M. d’Ormesson. Comme vous ne m’avez parlé que de l’agonie de sa femme, je n’ai osé lui écrire ; parlez-moi de son enterrement, et j’entreprendrai de consoler son mari. Coulanges sait une chanson faite tout exprès pour lui chanter cet hiver. En l’état où était cette pauvre personne, peut-on souhaiter autre chose pour elle et pour sa famille ? Ah ! ma bonne, que la lie de l’esprit et du corps sont humiliants à soutenir, et qu’à souhaiter, il serait bien plus agréable de laisser de nous une mémoire digne d’être conservée que de la gâter et la défigurer par toutes les misères que la vieillesse et les infirmités nous apportent ! J’aimerais les pays où, par amitié, on tue ses vieux parents, s’ils pouvaient s’accommoder avec le christianisme.

Je ne doute point, ma bonne, que vous ne demandiez la réponse de votre lettre avec beaucoup de crainte et de tremblement ; j’en tremble d’ici et de mille autres choses qui ont rapport à cet endroit si important. Je rêve beaucoup sur toutes ces affaires, mais comme vous y pensez bien mieux que moi, je vous épargnerai l’ennui d’entendre mes réflexions. Nous sommes ici fort seules. Nos petits hommes soupèrent lundi en gaudeamus chez la Marbeuf. Votre frère n’est pas bien net de sa petite émotion, et va paraître avec son joli habit ; c’eût été dommage qu’il eût été inutile. Et celui de Coulanges qui aurait été trop court ou trop étroit : que vous êtes plaisante quand vous voulez !

Ma chère bonne, je vous embrasse mille et cent mille fois. Dans moins d’un mois, vous serez tous embrassés aussi. Coulanges vous répondra sur Mme de Louvois, et plût à Dieu que je pusse avoir l’honneur de la guérison du Chevalier ! cette cure m’aurait bien donné de la peine. Mais en vérité, ses maux m’en ont beaucoup donné. Je tiens M. de Grignan guéri, et je l’en remercie. Baisez les autres où vous voudrez, et recevez les amitiés du Bien Bon et de la petite belle-soeur. J’ai eu des conversations admirables avec Coulanges sur le sujet qu’il a tant de peine à comprendre ; ce sont des scènes de Molière. Je vous embrasse encore avec une tendresse fort naturelle et fort sensible. Quand viendra sainte Grignan ?