À Guitaut - À Paris, mardi 12ème septembre 1679.
Mon pauvre Monsieur, je suis dans une douleur qui me fait un mal étrange ; ma fille s’en va demain sans remise. Ils prennent l’eau jusqu’à Auxerre, où ils arriveront samedi, et font leur compte qu’ils seront lundi à dîner à Rouvray, et que c’est là où vous devez les venir voir, et leur pardonner de ne point aller à Epoisses dans l’embarras où ils sont. Il viendra quelque autre année où ils seront plus légers. La santé de ma fille me fait toujours trembler, et cette inquiétude, jointe à l’absence d’une créature que j’aime si parfaitement, me met dans l’état que vous pouvez vous imaginer. Vous avez offert tant de choses pour leur commodité que je suis persuadée que vous voudrez bien mener votre litière à Rouvray, et l’obliger à la prendre pour la mener jusqu’à Chalon. Ce sera une commodité pour elle, qui lui conservera la vie, et je réponds pour vous que vous en serez fort aise. Trouvez-vous donc à Rouvray lundi matin 18ème de ce mois ; ayez cette litière si secourable, et donnez-leur la joie et la consolation de vous voir. Le temps sera un peu court pour causer, mais vous irez achever cette visite à Grignan. Moins on est accoutumé dans la province, et moins on s’y plaît. La pensée d’aller passer l’hiver à Aix donne plus de peine que le séjour de Grignan. D’un autre côté, l’air de Grignan est terrible pour elle. Tout cela fait trembler. Et tout autant que l’on peut faire des projets, M. de Grignan ne doit pas la mettre souvent en chemin quand une fois ils seront revenus dans cette bonne ville. Mais il est question d’aller. Voyez comme mon imagination me flatte par la pensée d’un retour sans lequel je ne puis être heureuse. Adieu, Monsieur. Mandez-moi bien comme vous l’aurez trouvée. Ne m’épargnez point les détails ; je vous en écrivis tant l’autre jour !
Mlle de Méri a la fièvre depuis hier, avec une manière de dysenterie. Je ne crois pas que, tout étant arrêté, on arrête pour cela ; cependant ... Enfin, je vous conseille toujours d’aller à Rouvray avec cette litière, mais je vous dis les choses comme elles sont.
’’A Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut, chevalier des ordres du Roi, à Epoisses, à Semur-en-Auxois.’’
46. À Madame de Grignan - À Paris, ce mercredi au soir 13 septembre 1679.
Le moyen, ma bonne, de vous faire comprendre ce que j’ai souffert ? Et par quelles sortes de paroles vous pourrais-je représenter les douleurs d’une telle séparation ? Je ne sais pas moi-même comme j’ai pu la soutenir. Vous m’en avez paru si touchée aussi que je crains que vous n’en ayez été plus mal qu’à votre ordinaire, qui est trop dire, car vous n’avez pas besoin d’aucune augmentation. Cette inquiétude trop bien fondée pour une santé qui m’est si chère, avec l’absence d’une personne comme vous, dont tout me va droit au cœur et dont rien ne m’est indifférent, vous pourront faire comprendre une partie de l’état où je suis. J’ai donc suivi des yeux cette barque, et je pensais à ce qu’elle m’emmenait, et comme elle s’éloignait, et combien de jours je passerais sans revoir cette personne et toute cette troupe que j’aime et que j’honore, et par elle et par rapport à vous. Enfin, toute cette séparation m’a été infiniment sensible.
Je ne vous conte point mes larmes ; c’est un effet de mon tempérament, mais croyez, ma bonne, qu’elles viennent d’un cœur si parfaitement et si uniquement à vous que, par cette raison, il doit vous être cher. Je crois qu’il vous l’est aussi, et cette pensée autorise tous mes sentiments.
Après donc vous avoir perdue de vue, je suis demeurée avec la philosophie de Corbinelli, qui connaît trop le cœur humain pour n’avoir pas respecté ma douleur ; il l’a laissé faire et, comme un bon ami, il n’a point essayé sottement de me faire taire. J’ai été à la messe à Notre-Dame, et puis dans cet hôtel dont la vue et les chambres, et le jardin, et tout, et L’Epine, et vos pauvres malades, que j’ai été voir, m’ont fait souffrir de certaines sortes de peines que vous ignorez peut-être, parce que vous êtes forte, mais qui sont dures aux faibles comme moi.
Nous avons regardé vos mémoires et commencé quelques paiements ; nous vous rendrons compte de tout. Je n’ai point sorti. Mme de Lavardin et Mme de Moussy ont forcé ma porte. J’essaierai d’aller demain voir Mlle de Méri ; pour aujourd’hui il ne m’était pas possible. J’ai une envie extrême de savoir de vos nouvelles, et comme vous vous trouvez de la tranquillité et de la longueur de votre marche, si vous arrivez bien tard, quelles fatigues, quelles aventures. Mais c’est à Montgobert que je demande ce détail, car à vous, ma bonne, je ne veux point contribuer à votre épuisement ; je suis contente d’une feuille. Vous devez juger par cette discrétion si je prends sur moi et si j’aime votre santé.
J’embrasse tout ce qui est autour de vous. Il me semble que je n’ai rien dit à Mlles de Grignan et à leur père, mais le moyen ? Et n’était-ce pas parler que de ne pouvoir rien dire ? En vérité, ma bonne, je ne comprends pas comme je pourrai m’accoutumer à ne vous plus voir et à la solitude de cette maison. Je suis si pleine de vous, que je ne puis rien souffrir ni rien regarder. Il faut croire que le temps me remettra dans l’état d’une vie commune ; elle ne serait pas supportable comme elle est. Je vous embrasse, ma bonne, avec le même cœur et les mêmes larmes de ce matin.
Le pauvre petit et son rhume ? Je ne cesse de penser à vous tous.
Le Bien Bon vous fait mille amitiés.
Jeudi, à dix heures du matin, 14 septembre 1679.
J’ai vu sur notre carte que la lettre que je vous écrivis hier au soir, à Auxerre, ne partira qu’à midi ; ainsi, ma très chère, j’y joins encore celle-ci : vous en recevrez deux à la fois.
Je veux vous parler de ma soirée d’hier. À neuf heures, j’étais dans ma chambre. Mes pauvres yeux ni mon esprit ne voulurent pas entendre parler de lire, de sorte que je sentis tout le poids de la tristesse que me donne notre séparation, et n’étant pas distraite par les objets, il me semble que j’en goûtai bien toute l’amertume. Je me couchai à onze heures, et j’ai été réveillée par une furieuse pluie. Il n’était que deux heures. J’ai compris que vous étiez dans votre hôtellerie, et que cette eau, qui est mauvaise pour les chemins depuis Auxerre, était bonne pour votre rivière. Ainsi sont mêlées les choses de ce monde. Je pense toujours que vous êtes dans le bateau, et que vous y retournez à trois heures du matin ; cela fait horreur. Vous me direz comme vous vous portez de cette sorte de vie, et vos jambes et vos inquiétudes. Votre santé est un point sur lequel je ne puis jamais avoir de repos. Il me semble que tout ce qui est auprès de vous en est occupé, et que vous êtes l’objet des soins de toute votre barque, j’entends de votre cabane, car ce qui me parut de peuple sur le bateau représentait l’arche. On m’assura que vers Fontainebleau vous n’auriez quasi plus personne. Ce matin L’Epine est entré dans ma chambre. Nous avons fort pleuré. Il est touché comme un honnête homme.
N’ayez aucune inquiétude, ni de vos meubles, ni du carrosse de M. de Grignan. Je ne puis m’occuper qu’à donner des ordres qui ont rapport à vous. Vos dernières gueuses de servantes ont perdu toute votre batterie et votre linge ; c’est pitié. J’embrasse M. de Grignan, et ses aimables filles, et mon cher petit enfant. Ne voulez-vous pas bien que j’y mette Montgobert, et tout ce qui vous sert, et tout ce qui vous aime ? Mlle de Méri est toujours sans fièvre ; je la verrai tantôt. Je crois, ma bonne, que vous me croyez autant à vous que j’y suis.
L’Abbé vous salue très humblement.
’’A Madame, Madame la comtesse de Grignan, à Auxerre.’’
47. À Guitaut - À Livry, 26ème septembre 1679.
Mme de Grignan se porte à merveille ; voilà un très beau commencement de lettre, avec tous les détails de votre entrevue contés d’une manière qui me plaît fort. Car j’aime premièrement votre style, et puis j’aime les détails de ce qui touche les gens que j’aime. Je suis donc bien contente jusque-là. Mais cette colique mon pauvre Monsieur, me donne bien de l’inquiétude. Cela vient d’une âcreté de sang qui cause tous ses maux, et quand je pense combien elle se soucie peu de l’apaiser, de le rafraîchir, et qu’elle va trouver l’air de Grignan, je vous assure qu’il s’en faut bien que je ne sois en repos. Vous me remettez un peu par le compliment du père du précepteur, qui fut reçu dans une position si convenable à sa vocation.
N’admirez-vous point son opiniâtreté à ne vouloir pas se servir de votre litière ? Quelle raison pouvait-elle avoir ? Avait-elle peur de ne pas sentir tous les cruels cahots de cette route ? Puisqu’elle a tant de soin du petit minet, que ne le mettait-elle auprès d’elle ? Quelle façon, quelle fantaisie musquée ! Tout ce que je dis est inutile, mais je ne puis m’empêcher d’être en colère. Dites le vrai, mon cher Monsieur : vous l’avez trouvée bien changée. Sa délicatesse me fait trembler. Je suis toujours persuadée que si elle voulait avoir de l’application à sa santé, elle rafraîchirait ce sang et ce poumon qui fait toutes nos frayeurs. Vous me demandez ce que je fais. Hélas ! je suis courue dans cette forêt cacher mon ennui. Vous devriez bien m’y venir voir. Nous causerions ensemble deux ou trois jours, et puis vous remonteriez sur l’hippogriffe (car je suppose que vous auriez pris cette voiture plutôt que la litière), et vous retourneriez aux sermons du P. Honoré.
Ma fille m’écrit de Chagny, et m’en parle, en passant légèrement sur cette colique, et me parlant presque autant de vous que vous me parlez d’elle. Elle fait mention de Mme de Leuville, de M. de Senets, et s’arrête fort sur l’endroit du cuisinier, qu’elle ne peut digérer. Il faut songer à la consoler sur ce point.
Que faites-vous cet hiver ? Serez-vous encore dans votre château ? On dit que vous êtes grosse, Madame ; quand on accouche aux îles on accouche bien à Epoisses. J’aime toujours à savoir les desseins de ceux que j’aime. Les miens sont de garder le bon Abbé au coin de son feu tout l’hiver. Vous avez su comme il s’est tiré de la fièvre ; il a présentement un gros rhume qui m’inquiète.
Adieu, Monsieur. Je vous remercie de votre grande lettre ; elle marque l’amitié que vous avez, et pour celle de qui vous parlez, et pour celle à qui vous parlez. Ecrivez-moi quand vous aurez vu M. de Caumartin ; ne parlâtes-vous de rien avec ma fille ?
Le bon Abbé vous fait mille et mille compliments tout pleins d’amitié.
’’A Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut, chevalier des ordres du Roi, à Semur. Semur-en-Auxois.’’
Mon pauvre Monsieur, je suis dans une douleur qui me fait un mal étrange ; ma fille s’en va demain sans remise. Ils prennent l’eau jusqu’à Auxerre, où ils arriveront samedi, et font leur compte qu’ils seront lundi à dîner à Rouvray, et que c’est là où vous devez les venir voir, et leur pardonner de ne point aller à Epoisses dans l’embarras où ils sont. Il viendra quelque autre année où ils seront plus légers. La santé de ma fille me fait toujours trembler, et cette inquiétude, jointe à l’absence d’une créature que j’aime si parfaitement, me met dans l’état que vous pouvez vous imaginer. Vous avez offert tant de choses pour leur commodité que je suis persuadée que vous voudrez bien mener votre litière à Rouvray, et l’obliger à la prendre pour la mener jusqu’à Chalon. Ce sera une commodité pour elle, qui lui conservera la vie, et je réponds pour vous que vous en serez fort aise. Trouvez-vous donc à Rouvray lundi matin 18ème de ce mois ; ayez cette litière si secourable, et donnez-leur la joie et la consolation de vous voir. Le temps sera un peu court pour causer, mais vous irez achever cette visite à Grignan. Moins on est accoutumé dans la province, et moins on s’y plaît. La pensée d’aller passer l’hiver à Aix donne plus de peine que le séjour de Grignan. D’un autre côté, l’air de Grignan est terrible pour elle. Tout cela fait trembler. Et tout autant que l’on peut faire des projets, M. de Grignan ne doit pas la mettre souvent en chemin quand une fois ils seront revenus dans cette bonne ville. Mais il est question d’aller. Voyez comme mon imagination me flatte par la pensée d’un retour sans lequel je ne puis être heureuse. Adieu, Monsieur. Mandez-moi bien comme vous l’aurez trouvée. Ne m’épargnez point les détails ; je vous en écrivis tant l’autre jour !
Mlle de Méri a la fièvre depuis hier, avec une manière de dysenterie. Je ne crois pas que, tout étant arrêté, on arrête pour cela ; cependant ... Enfin, je vous conseille toujours d’aller à Rouvray avec cette litière, mais je vous dis les choses comme elles sont.
’’A Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut, chevalier des ordres du Roi, à Epoisses, à Semur-en-Auxois.’’
46. À Madame de Grignan - À Paris, ce mercredi au soir 13 septembre 1679.
Le moyen, ma bonne, de vous faire comprendre ce que j’ai souffert ? Et par quelles sortes de paroles vous pourrais-je représenter les douleurs d’une telle séparation ? Je ne sais pas moi-même comme j’ai pu la soutenir. Vous m’en avez paru si touchée aussi que je crains que vous n’en ayez été plus mal qu’à votre ordinaire, qui est trop dire, car vous n’avez pas besoin d’aucune augmentation. Cette inquiétude trop bien fondée pour une santé qui m’est si chère, avec l’absence d’une personne comme vous, dont tout me va droit au cœur et dont rien ne m’est indifférent, vous pourront faire comprendre une partie de l’état où je suis. J’ai donc suivi des yeux cette barque, et je pensais à ce qu’elle m’emmenait, et comme elle s’éloignait, et combien de jours je passerais sans revoir cette personne et toute cette troupe que j’aime et que j’honore, et par elle et par rapport à vous. Enfin, toute cette séparation m’a été infiniment sensible.
Je ne vous conte point mes larmes ; c’est un effet de mon tempérament, mais croyez, ma bonne, qu’elles viennent d’un cœur si parfaitement et si uniquement à vous que, par cette raison, il doit vous être cher. Je crois qu’il vous l’est aussi, et cette pensée autorise tous mes sentiments.
Après donc vous avoir perdue de vue, je suis demeurée avec la philosophie de Corbinelli, qui connaît trop le cœur humain pour n’avoir pas respecté ma douleur ; il l’a laissé faire et, comme un bon ami, il n’a point essayé sottement de me faire taire. J’ai été à la messe à Notre-Dame, et puis dans cet hôtel dont la vue et les chambres, et le jardin, et tout, et L’Epine, et vos pauvres malades, que j’ai été voir, m’ont fait souffrir de certaines sortes de peines que vous ignorez peut-être, parce que vous êtes forte, mais qui sont dures aux faibles comme moi.
Nous avons regardé vos mémoires et commencé quelques paiements ; nous vous rendrons compte de tout. Je n’ai point sorti. Mme de Lavardin et Mme de Moussy ont forcé ma porte. J’essaierai d’aller demain voir Mlle de Méri ; pour aujourd’hui il ne m’était pas possible. J’ai une envie extrême de savoir de vos nouvelles, et comme vous vous trouvez de la tranquillité et de la longueur de votre marche, si vous arrivez bien tard, quelles fatigues, quelles aventures. Mais c’est à Montgobert que je demande ce détail, car à vous, ma bonne, je ne veux point contribuer à votre épuisement ; je suis contente d’une feuille. Vous devez juger par cette discrétion si je prends sur moi et si j’aime votre santé.
J’embrasse tout ce qui est autour de vous. Il me semble que je n’ai rien dit à Mlles de Grignan et à leur père, mais le moyen ? Et n’était-ce pas parler que de ne pouvoir rien dire ? En vérité, ma bonne, je ne comprends pas comme je pourrai m’accoutumer à ne vous plus voir et à la solitude de cette maison. Je suis si pleine de vous, que je ne puis rien souffrir ni rien regarder. Il faut croire que le temps me remettra dans l’état d’une vie commune ; elle ne serait pas supportable comme elle est. Je vous embrasse, ma bonne, avec le même cœur et les mêmes larmes de ce matin.
Le pauvre petit et son rhume ? Je ne cesse de penser à vous tous.
Le Bien Bon vous fait mille amitiés.
Jeudi, à dix heures du matin, 14 septembre 1679.
J’ai vu sur notre carte que la lettre que je vous écrivis hier au soir, à Auxerre, ne partira qu’à midi ; ainsi, ma très chère, j’y joins encore celle-ci : vous en recevrez deux à la fois.
Je veux vous parler de ma soirée d’hier. À neuf heures, j’étais dans ma chambre. Mes pauvres yeux ni mon esprit ne voulurent pas entendre parler de lire, de sorte que je sentis tout le poids de la tristesse que me donne notre séparation, et n’étant pas distraite par les objets, il me semble que j’en goûtai bien toute l’amertume. Je me couchai à onze heures, et j’ai été réveillée par une furieuse pluie. Il n’était que deux heures. J’ai compris que vous étiez dans votre hôtellerie, et que cette eau, qui est mauvaise pour les chemins depuis Auxerre, était bonne pour votre rivière. Ainsi sont mêlées les choses de ce monde. Je pense toujours que vous êtes dans le bateau, et que vous y retournez à trois heures du matin ; cela fait horreur. Vous me direz comme vous vous portez de cette sorte de vie, et vos jambes et vos inquiétudes. Votre santé est un point sur lequel je ne puis jamais avoir de repos. Il me semble que tout ce qui est auprès de vous en est occupé, et que vous êtes l’objet des soins de toute votre barque, j’entends de votre cabane, car ce qui me parut de peuple sur le bateau représentait l’arche. On m’assura que vers Fontainebleau vous n’auriez quasi plus personne. Ce matin L’Epine est entré dans ma chambre. Nous avons fort pleuré. Il est touché comme un honnête homme.
N’ayez aucune inquiétude, ni de vos meubles, ni du carrosse de M. de Grignan. Je ne puis m’occuper qu’à donner des ordres qui ont rapport à vous. Vos dernières gueuses de servantes ont perdu toute votre batterie et votre linge ; c’est pitié. J’embrasse M. de Grignan, et ses aimables filles, et mon cher petit enfant. Ne voulez-vous pas bien que j’y mette Montgobert, et tout ce qui vous sert, et tout ce qui vous aime ? Mlle de Méri est toujours sans fièvre ; je la verrai tantôt. Je crois, ma bonne, que vous me croyez autant à vous que j’y suis.
L’Abbé vous salue très humblement.
’’A Madame, Madame la comtesse de Grignan, à Auxerre.’’
47. À Guitaut - À Livry, 26ème septembre 1679.
Mme de Grignan se porte à merveille ; voilà un très beau commencement de lettre, avec tous les détails de votre entrevue contés d’une manière qui me plaît fort. Car j’aime premièrement votre style, et puis j’aime les détails de ce qui touche les gens que j’aime. Je suis donc bien contente jusque-là. Mais cette colique mon pauvre Monsieur, me donne bien de l’inquiétude. Cela vient d’une âcreté de sang qui cause tous ses maux, et quand je pense combien elle se soucie peu de l’apaiser, de le rafraîchir, et qu’elle va trouver l’air de Grignan, je vous assure qu’il s’en faut bien que je ne sois en repos. Vous me remettez un peu par le compliment du père du précepteur, qui fut reçu dans une position si convenable à sa vocation.
N’admirez-vous point son opiniâtreté à ne vouloir pas se servir de votre litière ? Quelle raison pouvait-elle avoir ? Avait-elle peur de ne pas sentir tous les cruels cahots de cette route ? Puisqu’elle a tant de soin du petit minet, que ne le mettait-elle auprès d’elle ? Quelle façon, quelle fantaisie musquée ! Tout ce que je dis est inutile, mais je ne puis m’empêcher d’être en colère. Dites le vrai, mon cher Monsieur : vous l’avez trouvée bien changée. Sa délicatesse me fait trembler. Je suis toujours persuadée que si elle voulait avoir de l’application à sa santé, elle rafraîchirait ce sang et ce poumon qui fait toutes nos frayeurs. Vous me demandez ce que je fais. Hélas ! je suis courue dans cette forêt cacher mon ennui. Vous devriez bien m’y venir voir. Nous causerions ensemble deux ou trois jours, et puis vous remonteriez sur l’hippogriffe (car je suppose que vous auriez pris cette voiture plutôt que la litière), et vous retourneriez aux sermons du P. Honoré.
Ma fille m’écrit de Chagny, et m’en parle, en passant légèrement sur cette colique, et me parlant presque autant de vous que vous me parlez d’elle. Elle fait mention de Mme de Leuville, de M. de Senets, et s’arrête fort sur l’endroit du cuisinier, qu’elle ne peut digérer. Il faut songer à la consoler sur ce point.
Que faites-vous cet hiver ? Serez-vous encore dans votre château ? On dit que vous êtes grosse, Madame ; quand on accouche aux îles on accouche bien à Epoisses. J’aime toujours à savoir les desseins de ceux que j’aime. Les miens sont de garder le bon Abbé au coin de son feu tout l’hiver. Vous avez su comme il s’est tiré de la fièvre ; il a présentement un gros rhume qui m’inquiète.
Adieu, Monsieur. Je vous remercie de votre grande lettre ; elle marque l’amitié que vous avez, et pour celle de qui vous parlez, et pour celle à qui vous parlez. Ecrivez-moi quand vous aurez vu M. de Caumartin ; ne parlâtes-vous de rien avec ma fille ?
Le bon Abbé vous fait mille et mille compliments tout pleins d’amitié.
’’A Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut, chevalier des ordres du Roi, à Semur. Semur-en-Auxois.’’