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J'aime l'argent. Ça a toujours été mon moteur. Plus jeune, c'était pire. Il me fallait toujours du cash, pour flamber, devant les potes, bien sûr, mais surtout devant les femmes... Qu'est-ce que j'ai pu claquer en sapes et en champagne dans les boîtes... Et faut pas faire l'hypocrite, hein, ça marchait du tonnerre... Je baisais, en ces temps-là, mon ami... Parfois trois dans la même nuit !
C'est pour ça que j'ai choisi ce métier. Enfin, si tant est que l'on puisse appeler cela un métier. T'as beau dire, chasseur d'épaves, c'est toujours une histoire d'amour : pour l'océan, pour l'histoire, ou pour l'aventure, le risque. Moi, y avait un peu de tout ça, mais c'était surtout l'amour du fric. Pourtant, la première expédition a bien failli être la dernière. Ressers-toi un rhum, que je te raconte.
C'était vers la fin des années 50 dans notre Bretagne natale, en plein dans les trente glorieuses. Une autre époque... « un monde d'opportunités », comme disait le frangin. Dockers un jour, pêcheurs le lendemain, on avait réussi à mettre un bon petit pactole de côté. Assez vite, on s'est mis à notre compte. C'était la première étape, on était nos propres patrons. Autant dire les rois du monde.
Un soir, au large, le treuil s'est bloqué en remontant le chalut. Le filet s'était accroché à quelque chose. J'ai plongé pour le déloger. Il s'était pris dans l'hélice, le gouvernail et une partie du carénage de ce qui semblait bien être la propulsion d'un sous-marin, posée sur un banc de sable. Comprends bien : le reste du submersible n'était pas là, mais il fallait pas être grand clerc pour deviner qu'avec ce morceau-là en moins, il n'avait pas pu faire sa vie tout seul. On a sondé les alentours ; à proximité, les fonds déclinaient fortement, formant une fosse. On a tout de suite compris.
On s'est renseignés à la bibliothèque et au musée maritime, et on a réalisé que l'on avait peut-être mis la main sur un trésor. À cette époque, les objets de la guerre se revendaient déjà à prix d'or, surtout les plus rares ; on a même appris que certains sous-marins allemands disposaient à leur bord d'un encodeur pour crypter les transmissions radio : l'Enigma. Une machine secrète, dont les Allemands avaient ordonné la destruction juste avant la fin de la guerre... En clair, ça valait une fortune. C'est là qu'on a investi : on avait le bateau, il nous fallait le scaphandre. Oui, t'as bien entendu. Scaphandre rigide à casque, mon pote, le modèle à l'ancienne, avec le narguilé qui t'apporte l'air depuis la pompe sur le pont, les semelles de plomb... bref, tout l'attirail. On n'était pas outillés comme aujourd'hui, pas de sonar, rien de ce genre. On savait juste qu'il y avait une épave au fond de cette foutue crevasse : on tablait sur 100 mètres maximum. Tu descendais pas en autonomie à des profondeurs pareilles. Les paliers de décompression sont très nombreux et très longs, et le risque de barotraumatisme bien trop élevé. Alors que dans l'armure, la pression est toujours la même.
Donc, une semaine après, nous voilà de retour, ancrés sur place. Je peux te dire que pour ma première fois, je faisais pas le fiérot. Quand on te boulonne le bonnet sur la pèlerine, t'as pas intérêt à être claustro. Ça aurait pas été mon frangin à bord, je plongeais pas. Bon, en vrai, si, j'y serais allé quand même. J'étais flippé, mais en même temps, j'avais la trique. L'appât du gain c'est une sacrée drogue. Je comprends les joueurs...
Est venue l'heure de l'immersion. T'es là, perdu au beau milieu de l'océan, t'as l'air d'un automate détraqué, prêt à couler comme un caillou à la con. Tu disparais de l'univers rassurant de la surface, et tu te laisses sombrer dans les profondeurs le long de la ligne de vie. Je n'avais jamais plongé au-delà de 30 mètres. À 50, tu ne vois presque plus rien. Le froid est saisissant, le silence absolu. Tu sens que tu quittes le monde des hommes. La vie fourmille à tes côtés, comme si tu n'existais pas. D'ailleurs, à cet endroit et ce moment-là, tu n'es rien.
À 100 mètres, l'obscurité est totale. Je m'enfonçais toujours plus dans l'abîme, tétanisé autant qu'émerveillé. Ça va te paraître bizarre, mais là, égaré dans l'infini, tu ressens une certaine forme de sérénité.
Pourtant, à 150 mètres, je me suis dit « Stop ». C'était de la folie. Je priais pour la première fois de ma vie en fixant la lampe sous-marine. « T'éteins pas, par pitié. » Le temps que je me décide, mes pieds touchaient le fond. Je devais être dans les 180 mètres au-dessous du niveau de la mer.
J'ignore combien ça m'a pris pour le trouver. Mes notions de temps et d'espace étaient complètement faussées, comme si elles n'existaient plus. J'étais dans... l'éternité. Toujours est-il qu'à un moment s'est dressée devant moi la masse sombre et glaciale du U-421, sinistre chimère plongée dans un sommeil éternel, ignorée par l'Histoire, gisant dans les abysses léthéens de l'Atlantique. Jamais de ma vie je ne me suis senti autant insignifiant. Il s'agissait d'un sous-marin allemand – les fameux « loups gris » du Führer –, probablement atteint par une mine ou une torpille de la Royal Navy.
Il était éventré à partir du sas arrière. La première chose qui m'a frappé, c'est l'exigüité à l'intérieur du vaisseau. Fallait avoir le cœur bien accroché pour parcourir les fonds marins, en pleine guerre, dans un truc pareil. De l'extérieur, ça a l'air grand, mais à l'intérieur, t'as l'impression d'évoluer dans une boîte de conserve. J'ai trouvé le premier macchabée dans un dortoir minuscule. Enfin, c'était un tas d'os rongés par le sel, néanmoins, on reconnaissait bien le squelette humain. Il avait dû mourir au moment de l'explosion.
J'avançais prudemment, jetant toujours un œil sur l'arrivée d'air. Juste à côté se trouvaient un générateur, puis la salle des machines. J'ai compté 11 personnes. À ce moment-là, entouré de tous ces morts, tu réalises l'horreur que ces gamins ont vécue. Pour sûr, ils se sont vus partir.
J'ai ensuite traversé le mess, pour parvenir au carré, et aux chambres des officiers. C'était là que pouvait se trouver l'Enigma, selon moi. Au moment où j'entrai dans la cabine du commandant, le sous-marin a vacillé. Je t'assure. J'ai perdu l'équilibre et me suis retrouvé au sol. Et là, impossible de me relever. Une putain de tortue sur sa carapace remuant en vain ses petites pattes, voilà ce que j'étais ! Problème, j'avais laissé la ligne de vie au sas d'entrée. Ouais, je pouvais pas la trimbaler dans mon exploration de l'épave, j'avais besoin de mes deux mains. Et de toute façon, qu'aurait pu faire mon frère ? S'il avait activé le treuil, j'aurais pu me coincer dans une porte, arracher le narguilé...
Au bout de quelques secondes, l'inexorable ennemie du plongeur, la panique, s'est insinuée en moi, déployant ses pattes arachnéennes dans ma cage thoracique, m'oppressant le cœur et les poumons. J'ai commencé à suffoquer. Un peu d'air. Vite ! Un voile me recouvrait lentement.
J'ai alors senti que l'on m'aidait à me relever. Le squelette du commandant était debout devant moi, et deux de ses hommes m'avaient redressé. Derrière eux, j'entendais de la musique folklorique ; un violon, une flûte et un tambourin qui entonnaient une sorte de gigue. « Doux Jésus », j'ai pensé. « Alors ça y est, c'en est fini. » J'étouffais. Ils m'ont accompagné jusqu'au mess, où tous les hommes étaient réunis en une funeste haie d'honneur. Le capitaine a fait quelques pas de danse, je l'ai imité. Les matelots applaudissaient. L'ambiance était à la fois chaleureuse et mélancolique. Après, il m'a remis un coffret qui contenait la machine tant convoitée, et une bouteille de ce divin nectar que l'on sirote en ce moment même.
Ensuite, rideau ; je ne me souviens que des derniers mètres de ma remontée, et de l'air frais pénétrant mes poumons arrivé à la surface, tandis que je contemplais le coffret, dans un état second. Mon frère a effectué les descentes qui ont suivi, sans rien me signaler d'anormal. Enfin, si : on était riches. C'était notre premier gros coup.
J'en ai parlé avec lui, et avec un psy, plus tard. Diagnostic identique : ivresse des profondeurs. Mais je vais te dire un truc, fiston : je sais ce que j'ai vécu ce jour-là, chaque atome de mon corps s'en souvient, et c'était pas ça. J'en suis persuadé : ces petits gars m'ont remercié de les avoir sortis de l'oubli.
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Pourquoi on a aimé ?
On sait pas vous, mais nous, on y était dans ce rade crasseux, à écouter ce vieux marin raconter, de son ton désabusé, son expérience de
Pourquoi on a aimé ?
On sait pas vous, mais nous, on y était dans ce rade crasseux, à écouter ce vieux marin raconter, de son ton désabusé, son expérience de