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- Histoires De Noël - Pour Les Grands
Pendant longtemps nous eûmes chez nous, durant les longs mois d'hiver, un gros et verruqueux crapaud vert qui, la nuit, s'infiltrait dans notre buanderie.
Souvent mon père se munissait alors d'un balai et d'une pelle et envoyait le crapaud, sous l'influence d'une magnifique balistique, voler chez les voisins. Nous pouvions alors contempler toute la grâce et la superbe d'un crapaud lancé à même les airs et comprendre que le pauvre animal n'était fait, finalement, que pour évoluer sur terre.
Un soir, cependant, où mes parents étaient absents – au cinéma, je crois – je me trouvais seule dans la maison. Revenant de la salle de télévision, je tombai nez à nez avec l'animal.
Il me regarda de ses grands yeux écarquillés.
— Que viens-tu faire ici, étrange animal ?
Pas de réponse.
— Si je t'embrasse sur la bouche, te transformeras-tu en beau prince charmant ?
— Non, mais je porterai peut-être plainte pour agression.
J'en restai bouche bée. Le crapaud, lui, continua son chemin.
— Tu parles ? réussis-je à prononcer tout en le suivant.
— Ou alors tu es victime d'hallucination. Ce qui est plutôt inquiétant, si tu veux mon point de vue de batracien...
Il se dirigeait vers la cave de Maman.
— Que viens-tu faire ici ?
— Voler des cigares à ta mère. Et du whisky. J'ai de la chance, on dirait que ce soir elle n'est pas là, je ne tombe que sur la fille qui parle aux crapauds. Au fait, tu devrais dire à ton père... Je déteste voler ! Ah, c'est là ! Veux-tu me filer un coup de main ?
— Comment ça ?
— Pour prendre les cigares et le whisky ! Je n'ai pas de mains ! Les pouces opposables, c'est vachement pratique !
— Mais, c'est à ma mère !
— Fumer tue, picoler aussi. Crois-moi, je lui rends service ! Allez, dépêche-toi donc ! C'est oui ou c'est non ? En même temps, le choix est tout vu : tu as déjà commencé à parler à un crapaud...
Quelques instants plus tard, nous étions dehors. Moi, pieds nus dans l'herbe, lui, enserrant entre chaque patte un cigare et une bouteille de whisky.
— Parfait, gamine, tu m'as bien aidé ! Au fait, mon nom est Stanislas, et toi ?
— Jessica.
— Jessica, c'est un joli nom... J'ai eu une tante comme ça, Jessica... Je t'ai à la bonne ! Que dirais-tu de venir avec moi, sur le toit, fumer ce cigare et boire ce whisky ? Enfin, me regarder, hein, parce qu'après tout, tu n'es qu'une enfant... Alors, qu'en dis-tu ?
Le personnage était étonnant, et je n'avais plus du tout envie de dormir. J'acceptai avec joie. Quelques instants plus tard, nous étions sur le toit. À nos pieds s'étendait mon quartier tranquille, plus loin la campagne, et encore plus loin les rumeurs et trémolos de la ville.
— Tu vois, Jessica, t'es la première pote gamine, pote-mine, ga-pote... non, pas ga-pote, c'est ridicule... que je me fais...
— Tu as connu beaucoup d'humains ?
— Oui. Tous des cons. Sauf les enfants. Tu sais pourquoi ?
— Non ?
— Vous croyez à vos rêves !
— Pas vraiment ! La maîtresse me gronde souvent, et je sais très bien que je ne pourrai jamais devenir cosmonaute !
Sans que je parvienne à comprendre comment, le crapaud me donna une tape derrière la tête.
— Hé, imbécile ! Tu parles à un crapaud ! Qu'est-ce qu'il y a de plus rêveur que ça ?
— Aïe ! Je sais pas, un paquet de trucs... Tu pourrais être une licorne !
Le crapaud se tut et replongea dans son whisky. Je compris que je l'avais vexé...
— Désolé, crapaud... Stanislas !
— Non, non, ça va, je comprends. Tu dis ça parce que je suis moche, c'est ça ?
— Non, mais...
— Non, c'est bon, ne t'excuse pas, il n'y a pas de mal. C'est moi, aussi, je suis un peu bourru...
Il y eut un nouveau silence. Je me raclais la gorge. Stanislas buvait son whisky.
— De toute façon, elles sont complètement connes, finis-je par dire.
— Qui ça ?
— Les licornes ! J'en vois souvent une, au centre aéré. Je lui ai plusieurs fois adressé la parole, mais elle, elle ne m'a jamais répondu !
— Parce qu'elle est en plastique !
— Parce qu'elle n'existe pas !
— Ha ! Je t'aime bien petite... Hé ! tu sais quoi ?
— Quoi ?
— Attends, passe-moi ce cigare, tu vas voir.
— Tiens.
— Achlume-lech-moich !
— Tu es sûr ? Tu sais que les crapauds qui fument, ça risque de...
— Achlume, che te dich !
— O.K., O.K....
Je lui allumai son cigare. Et comme prévu, le crapaud se mit à gonfler, gonfler... Mais il n'explosa pas. Il fut bientôt gros, gros comme un ballon de foot, gros comme une mappemonde, gros comme une montgolfière...
À ce moment-là, flottant et s'élevant de plus en plus haut, il me tendit la main et me fit un clin d'œil.
— Hé, princesse ! me dit-il, les lèvres toutes pincées. Ça te dirait de faire un tour dans les étoiles, ma belle cosmonaute ?
Je le regardai, les yeux écarquillés. Le crapaud me fit un plus large sourire.
— Alors ? On y va ?
Ravie, les larmes aux yeux, je pris le crapaud par la main et, tous deux, alors qu'il tirait encore un peu sur son cigare, nous partîmes vers les étoiles, tandis qu'en dessous de nous dormaient la ville, les crapauds alcooliques et les licornes en plastique.
Souvent mon père se munissait alors d'un balai et d'une pelle et envoyait le crapaud, sous l'influence d'une magnifique balistique, voler chez les voisins. Nous pouvions alors contempler toute la grâce et la superbe d'un crapaud lancé à même les airs et comprendre que le pauvre animal n'était fait, finalement, que pour évoluer sur terre.
Un soir, cependant, où mes parents étaient absents – au cinéma, je crois – je me trouvais seule dans la maison. Revenant de la salle de télévision, je tombai nez à nez avec l'animal.
Il me regarda de ses grands yeux écarquillés.
— Que viens-tu faire ici, étrange animal ?
Pas de réponse.
— Si je t'embrasse sur la bouche, te transformeras-tu en beau prince charmant ?
— Non, mais je porterai peut-être plainte pour agression.
J'en restai bouche bée. Le crapaud, lui, continua son chemin.
— Tu parles ? réussis-je à prononcer tout en le suivant.
— Ou alors tu es victime d'hallucination. Ce qui est plutôt inquiétant, si tu veux mon point de vue de batracien...
Il se dirigeait vers la cave de Maman.
— Que viens-tu faire ici ?
— Voler des cigares à ta mère. Et du whisky. J'ai de la chance, on dirait que ce soir elle n'est pas là, je ne tombe que sur la fille qui parle aux crapauds. Au fait, tu devrais dire à ton père... Je déteste voler ! Ah, c'est là ! Veux-tu me filer un coup de main ?
— Comment ça ?
— Pour prendre les cigares et le whisky ! Je n'ai pas de mains ! Les pouces opposables, c'est vachement pratique !
— Mais, c'est à ma mère !
— Fumer tue, picoler aussi. Crois-moi, je lui rends service ! Allez, dépêche-toi donc ! C'est oui ou c'est non ? En même temps, le choix est tout vu : tu as déjà commencé à parler à un crapaud...
Quelques instants plus tard, nous étions dehors. Moi, pieds nus dans l'herbe, lui, enserrant entre chaque patte un cigare et une bouteille de whisky.
— Parfait, gamine, tu m'as bien aidé ! Au fait, mon nom est Stanislas, et toi ?
— Jessica.
— Jessica, c'est un joli nom... J'ai eu une tante comme ça, Jessica... Je t'ai à la bonne ! Que dirais-tu de venir avec moi, sur le toit, fumer ce cigare et boire ce whisky ? Enfin, me regarder, hein, parce qu'après tout, tu n'es qu'une enfant... Alors, qu'en dis-tu ?
Le personnage était étonnant, et je n'avais plus du tout envie de dormir. J'acceptai avec joie. Quelques instants plus tard, nous étions sur le toit. À nos pieds s'étendait mon quartier tranquille, plus loin la campagne, et encore plus loin les rumeurs et trémolos de la ville.
— Tu vois, Jessica, t'es la première pote gamine, pote-mine, ga-pote... non, pas ga-pote, c'est ridicule... que je me fais...
— Tu as connu beaucoup d'humains ?
— Oui. Tous des cons. Sauf les enfants. Tu sais pourquoi ?
— Non ?
— Vous croyez à vos rêves !
— Pas vraiment ! La maîtresse me gronde souvent, et je sais très bien que je ne pourrai jamais devenir cosmonaute !
Sans que je parvienne à comprendre comment, le crapaud me donna une tape derrière la tête.
— Hé, imbécile ! Tu parles à un crapaud ! Qu'est-ce qu'il y a de plus rêveur que ça ?
— Aïe ! Je sais pas, un paquet de trucs... Tu pourrais être une licorne !
Le crapaud se tut et replongea dans son whisky. Je compris que je l'avais vexé...
— Désolé, crapaud... Stanislas !
— Non, non, ça va, je comprends. Tu dis ça parce que je suis moche, c'est ça ?
— Non, mais...
— Non, c'est bon, ne t'excuse pas, il n'y a pas de mal. C'est moi, aussi, je suis un peu bourru...
Il y eut un nouveau silence. Je me raclais la gorge. Stanislas buvait son whisky.
— De toute façon, elles sont complètement connes, finis-je par dire.
— Qui ça ?
— Les licornes ! J'en vois souvent une, au centre aéré. Je lui ai plusieurs fois adressé la parole, mais elle, elle ne m'a jamais répondu !
— Parce qu'elle est en plastique !
— Parce qu'elle n'existe pas !
— Ha ! Je t'aime bien petite... Hé ! tu sais quoi ?
— Quoi ?
— Attends, passe-moi ce cigare, tu vas voir.
— Tiens.
— Achlume-lech-moich !
— Tu es sûr ? Tu sais que les crapauds qui fument, ça risque de...
— Achlume, che te dich !
— O.K., O.K....
Je lui allumai son cigare. Et comme prévu, le crapaud se mit à gonfler, gonfler... Mais il n'explosa pas. Il fut bientôt gros, gros comme un ballon de foot, gros comme une mappemonde, gros comme une montgolfière...
À ce moment-là, flottant et s'élevant de plus en plus haut, il me tendit la main et me fit un clin d'œil.
— Hé, princesse ! me dit-il, les lèvres toutes pincées. Ça te dirait de faire un tour dans les étoiles, ma belle cosmonaute ?
Je le regardai, les yeux écarquillés. Le crapaud me fit un plus large sourire.
— Alors ? On y va ?
Ravie, les larmes aux yeux, je pris le crapaud par la main et, tous deux, alors qu'il tirait encore un peu sur son cigare, nous partîmes vers les étoiles, tandis qu'en dessous de nous dormaient la ville, les crapauds alcooliques et les licornes en plastique.
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