Vie violence

« Vie violence ; Ça va de pair ; Les deux se balancent ; Paradis enfer » avant même les premières assonances, le rythme tango la ramène à ce jour d’eau de Cologne qu’il étale en aplats énergiques sur ses joues et son cou. Vestige du passé.
- Je m’en vais Lucien.
- C’est ça, va t’en.
Il vérifie son col, les yeux attachés à la glace de l’armoire à pharmacie, son allure d’homme, sans se trahir. « Vie violence ; Ça va de pair ; Les deux se balancent ; Paradis enfer » Un homme ça se tient. Il garde la main. Elle peut dégager.
- C’est qui ?
La voix de de Solange insiste.
- M’man, tu sais c’est qui le chanteur ?
Elle chasse l’odeur désuète et propre, l’image d’armoire à pharmacie, pour se heurter à la syntaxe insolente.
- Je préfèrerais : Est-ce que tu sais qui est le chanteur ? Franchement Solange !
- C’est bon man... Tu sais ou pas ?
- Claude Nougaro. C’est un grand compositeur Français. Vie violence, c'est sa chanson. Tu aimes ?
Bien sur qu’elle aime. Elle n’a qu’à la regarder dans le rétroviseur de la voiture pour le savoir. Son profil pâle incliné sur la vitre, ce même détachement. Il lui avait promis les merveilles du monde, la protection d’un cœur et l’amour d’un homme quant elle ne voulait qu’une nuit de volupté. Au petit matin, elle avait eu du mal à griffer l’amour propre viril qui attendait sa reconnaissance pantelante. Il la voulait redevable pour des draps froissés, elle se sentait presque coupable de ne pas lui abandonner sa liberté. Mais, elle ne l’aimait pas. Ne l’aimerait jamais. Elle avait simplement voulu voir si ce que racontaient les autres filles était vrai, s’il avait le pouvoir de faire toucher le ciel. Elle n’avait même pas pu s’oublier.
« La terre et l’eau ; L’air et le feu ; Forment un complot ; Ça saute aux yeux ; Sadomasos » C’est ça, c’est un putain de complot. Je vais pas faire les séries, je leur dirai que j’ai mes règles... Pourquoi, je vais là-bas courir pour la France ? Je vais les faire rigoler, les américaines elles vont me pulvériser ! J’aurais pas du remplir le contrôle anti dopage, c’était le bon moyen pour prendre un an sans solde, un an de congés sans athlé ! Ces crevards de la presse y m’auraient pas raté et ma mère, elle se déchire pour moi... Je m’en tape de la presse !
- Chérie, ça va aller. Solange ?
Elle sait bien, elle l’entend s’enfuir sur le siège arrière, malgré le boucan minable et assommant de la vieille Twingo, ce cœur de jeune fille. Solange veut mettre les bouts, sortir de ce jogging estampillé « Equipe de France ». Solange se fout d’honorer sa sélection pour ses premiers championnats du monde junior. Solange veut rester à l’abri de son don, dans l’anonymat d’une jeune fille de 20 ans. « Vie violence ; Lance moi ton feu, Brûle moi d’innocence »
Il n’avait pas eu le pouvoir de lui faire toucher le ciel, ni même de s’oublier, mais celui de faire un don, comme Prométhée avec le feu de l’Olympe. Elle avait accueilli l’idée de l’enfant dans la salle d’attente du médecin de quartier tandis que Nougaro scandait ses pierres « Vie, violence » à la radio, vidé le flacon d’eau de Cologne, tiré un trait sur les fables des filles.
- Solange ?
L’autre connard de Belmont c’est sur, il sera trop content si j'arrive pas en demies... Putain !!!! Je vais t’offrir une bagnole, une vraie maman ! On va sortir de notre mouise, leur montrer qu’on est plus fortes que tous les bonhommes de la terre réunis. Toi et moi. J’ai les jambes pour ça maman. Je vais courir et je lèverai le poing, personne saura, mais ce sera pour toi. Pour tous les mots que tu m’as donnés pour effacer l’odeur de la pisse dans l’ascenseur le matin, pour le chat qui m’a consolé quand tu faisais les fermetures, pour les bijoux vendus qui se sont transformés en baskets neuves, on en a chié toi et moi et on en chie encore mais on tient ! Pas de miracles, m’man, je me suis entrainée, j’ai vomi après mes fractionnés, j'ai tout laissé au stade et maintenant, on rend ! Je suis ton bouclier, c’est fini les coups du destin. Je vais te la faire ta vie de reine, sur un chrono en cent mètres. Avec mes jambes.
- T’inquiètes m’man ! Ca va.
- Tu veux que je t’accompagne jusqu’à l’enregistrement ?
- Non, j’ai eu Muriel. Elle m’attend au dépose minute et on rejoint les autres.
- D’accord. Tu m’appelles quand tu es là-bas ?
- Sur !
- Tu sais ma chérie...
- M’man. Je sais.
- Non, laisse moi parler. Je vais te regarder, à chaque course je serai collée à mon écran télé, mais c’est pas ça le plus important. Le plus important, c’est que je t’aime et que je suis fière de toi. Jamais, jamais tu ne me décevras quoiqu’il arrive.
La portière de la voiture claque. Solange s’éloigne, son gros sac de sport sur l’épaule. Elle la regarde partir, les mains sur le volant, le dos voûté. Les larmes au bord du cœur. Les vieilles odeurs qui reviennent, ça ne lui réussit pas. Son nez fuit jusqu’au rebond de sa lèvre, elle tourne la clé dans le démarreur, le moteur de la Twingo se met à nouveau en fureur. Elle fait descendre la vitre pour l’oublier et le visage de Solange se retourne.
- Je vais gagner maman ! Je te le promets ! J’ai putain de peur, mais je serai la meilleure !