« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? peut-être les deux », ne cessait-il de répéter depuis plus de cinq minutes qu'il est venu s'asseoir auprès de moi. Plongé dans mes papiers, j'essayais de me concentrer pour ne pas prêter attention aux gestes qu'il faisait. Mais non. A maintes reprises, il s'était levé et s'était assis avec le même refrain à la bouche. J'aimerais bien lui demander ce qui n'allait pas, mais c'était un inconnu dont le visage m'effrayait. Après réflexion, je voulus partir quand il bouscula le banc sur lequel nous étions assis pour me pousser à parler. Je n'avais rien dit. J'ai juste regardé son visage et ramassé mes papiers pour partir. Là-dessus, il me retint assis et se mit à me raconter ce qu'il tramait.
« Mon petit, tu sais bien écrire je pense, commença-t-il après une profonde respiration. Ils m'ont eu. Non, ils m'ont volé après m'avoir plongé dans le noir. Alors je voudrais que tu écrives ceci, mon histoire, pour la faire lire partout et dissuader ceux qui sont attirés par le même appât. Mon petit, ce monde fait peur. Je ne peux pas comprendre que ce soit à moi que cela arrive. Le plus lucide des jeunes ? Non, ils sont forts ».
Je ne comprenais plus rien de ce qu'il me disait. Il tournait en rond et répétait les mêmes paroles. Je lui avais alors demandé d'aller tout droit au but pour me permettre de finir ce que je faisais. Il se leva donc et se plaça en face de moi. De forme maigre, comparable à la tige de sorgho, il était bien habillé avec une cravate. Malgré qu'il ne soit que dans la trentaine d'âge, il ressemblait à un vieux avec les pommettes saillantes, les lèvres rougies par l'alcool sans doute, puisque son odeur me soulait déjà après ce peu de temps passé avec lui. Il tenait à peine debout sur place. Ses yeux étaient tous rouges.
« Alors qu'est-ce qu'ils ont fait ? reprit-il. Ils m'ont envoyé un lien via Whatsapp. Je suis allé sur le lien qui m'a conduit à un site d'embauche à l'étranger. Ingénieur génie bâtiment de mon état, je me suis vite laissé emporter par le désir de pouvoir enfin partir de ce pays. Ce qui m'a aussi encouragé c'est la crise de main d'œuvre que traversent les pays occidentaux après être décimé par la maladie virale qui a sévi dans les années passées. Donc après avoir rempli et envoyé les dossiers, ils ont répondu en demandant d'envoyer cinquante milles euros. Très excité, j'ai rapidement envoyé la somme demandée. Dans la seule journée, j'ai envoyé cent milles sans m'en rendre compte.
Après trois jours, j'ai reçu un appel dont le code débute avec +1. Il m'avait bien chatouillé les oreilles par ce que je voulais entendre et demande que je me rende à l'ambassade des USA pour une interview en tenant sur moi au moins trois cent milles pour quelques formalités.
Mon petit, ce que je te dis là est vrai et c'est ce qui m'est arrivé. En ce temps, j'étais sur un chantier de mon frère qui est au Canada. Alors, je n'avais pas hésité avant de mettre six cent milles dans ma mallette. Elégamment vêtu, j'ai pris la direction de l'ambassade. Mes amis ne comprenaient plus rien dans le changement de mes manières d'agir. Mais ils se réservaient de demander. Arrivé devant l'ambassade, j'ai pris un petit temps dans ma bagnole pour remercier Dieu, de me permettre enfin de quitter ce pays. J'étais encore en train de réviser l'anglais que j'allais parler,
durant l'interview quand deux jeunes s'étaient approchés de moi. J'avais rabaissé la vitre. Après salutation, ils avaient facilement donné mon identité et le motif pour lequel j'étais là. Surpris, je ne savais pas quand est-ce que je leur avais ouvert les portières. Une fois à bord de ma voiture, je n'avais plus eu le temps de dire un mot. Une arme était pointée sur ma tête. Suivant leurs ordres, je les avais conduits en un lieu plus caché et là, ils me dépouillèrent de tout.
Petit, je dis bien, de tout. Je suis rentré à la maison en culotte, pieds nus. Lorsque j'approchai la maison, je vis la voiture des gendarmes antigangs devant notre portail. Sans réfléchir mille fois avec ce que je venais de subir, je pris la tangente. Pendant trois ans, j'étais parti mendier dans le pays voisin pour finalement revenir payer les dettes et finir le travail de mon frère. Dieu merci, il fut compréhensif.
Après quelques mois de galère, j'ai retrouvé ma stabilité. Et qu'est-ce que je vois de nouveau ? Une canadienne qui est devenue mon amie sur Facebook pas pour longtemps, me dit qu'elle est propriétaire d'une grande fortune après que toute sa famille soit fauchée par la terrible maladie virale. De contacter son correspondant au Bénin pour faire les formalités et en bénéficier.
Petit, tu me suis ? je ne sais pas si mon âme était toujours plongée dans le noir au point où je me suis encore laissé avoir. Au total, j'ai volé huit cent milles euros à l'entreprise dans laquelle j'étais en train de bosser sur un grand projet de construction. Demande-moi ce qui s'est passé par la suite, mon petit. Je n'ai plus eu de leurs nouvelles jusqu'à ce jour. Donc avant que l'entreprise ne s'en aperçoive, je suis devenu un débile mental, n'ayant plus de nid pour me loger. J'ai ainsi pu échapper aux mailles de la justice.
Petit, voilà les événements qui m'ont poussé dans la rue. Dis-moi, suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ?
Si je te raconte ma vie, c'est pour que tu le publies partout. Tu es surement écrivain, je le sens et je le vois à travers les quelques lignes que j'ai pu lire de ce que tu écrivais. Donc c'est pour ouvrir les yeux des jeunes comme vous qui se laisseraient avoir, après une très grave crise sanitaire comme telle. Travaillez dur pour ne pas vous retrouvez dans la rue comme moi ou derrière les barreaux, conclut-il. Merci et à la prochaine ».
J'ai été absorbé par son histoire. Une douleur m'avait traversé l'esprit pour sa vie. J'avais su qu'il savait que je compatissais à sa douleur. Je m'étais pris la tête dans les mains pour me recueillir un peu et prier pour lui. Jusqu'à ce que je ne revienne en moi, il était déjà loin simple comme il était arrivé. Alors je me suis retourné pour ramasser mes affaires et partir. Et bah ! je ne vis plus rien vu. Et mon sac contenant mon ordinateur, et mon téléphone Android, tous avaient disparus. Pendant un cours instant, le vertige me secoua. Je me rassis pour récupérer.
D'un vif élan, je me mis à poursuivre cet inconnu qui était venu me voler. Pendant plus d'une heure je suis toujours à la recherche de mes affaires. Ce qui m'importait c'était ma carte d'identité. « Si par hasard, vous la retrouviez quelque part, faites-moi signe » lançais-je à tous ceux qui s'arrêtaient pour savoir ce que je cherchais si éperdument.