Vacuité

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Nouvelles - Littérature Générale

Elle manque d'oxygène. De respirations. De clés dans la serrure. De volets qui s'ouvrent. De courants d'air. De portes qui claquent. De robinets qui crachotent. De bruissements dans l'escalier.

Ma maison se meurt.

Elle a abrité les plus beaux étés de ma vie quand elle était habitée d'êtres aimés, de certitudes, de bruits, de galopades, de chamailleries, de broutilles, de bricoles, de légèretés, de fous rires, de papotages – les garçons, la mode, les tendances, la musique en vogue, les derniers films, les émois livresques –, de discussions – l'école, le collège, le lycée –, de dîners animés, de mots rassurants, et de gestes d'amour.

L'aînée est partie au Québec pour devenir quelqu'un d'autre. Sans prévenir vraiment. Avec trop de bonheur peut-être, ou trop de soulagement, pour apprendre le lien loin des siens. Elle m'a laissée. Il paraît que c'est dans l'ordre des choses. Elle me contraint à m'habituer à son silence. Le Canada l'a engloutie et gelée. Et l'attente s'est installée entre douce résignation et patience forcée.

Puis la benjamine a quitté le cocon. Encore un abandon. Son compagnon remplit sa tête et son cœur ; ses amies, son espace et son temps. Elle s'éloigne par des déménagements successifs. Elle se construit une famille.
Elle grandit plus vite que moi.

Leur père. Lui aussi a déserté. À tout jamais.

Je ne me suis pas promenée avec mes filles depuis longtemps. Je reste dans l'attente d'un signe, d'un mot, d'un peu d'amour... Comme autrefois quand je les prenais dans mes bras... Je leur ventousais de gros baisers sonores sur leurs joues briochées, en respirant leur odeur sucrée. Leurs yeux s'allumaient et me regardaient en souriant, puis nos éclats de rire emplissaient l'espace qui vibrait avec nous...

Ma maison s'éteint.

Me reste un volume vide. Fait de silences, de soupirs, de solitudes, de lourdeurs, de frissons, et de sanglots. Leurs va-et-vient ne sont plus dans le carillon de la porte, un mobile constitué de sept petits cœurs de laiton qui se rencontrent et tintaient à chacun de leur déplacement. Et dans la nuit qui jette son voile couleur demi-deuil, les murs écoutent mes pleurs étouffés près d'une ribambelle de poupées maintenant orphelines.

Aujourd'hui nous réunir semble impossible. Elles m'apprennent le renoncement.
Dans leur absence, je me fissure et me craquelle plus vite.
Cet émiettement de la maternité est un déchirement plus grand que je n'aurais osé le dire. Ne plus entendre « maman » me manque. Viscéralement.

Ma maison est morte.

Mon chat est la seule âme qui me reste de mes enfants, de mon passé. Un survivant d'une de mes morts à moi. Celui qui continue à ronronner dans le nid vide.

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