Vacances Tropicales

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité, ton regard sur son corps mouillé, jamais elle ne l'oublierait, l'empreinte de tes yeux avides dans son dos était scellée comme les traces des rayons de soleil qui la percutaient lorsqu'elle s'occupait à sa besogne ou prenait son bain. 
 
Un jour d'été, alors que la chaleur te suffoquait littéralement, tu t'étais refugié sous l'ombre du cocotier se penchant gracieusement près du ruisseau dont le courant à l'écoulement mélodieux et apaisant créait une image presqu'idyllique, un mirage dans cette canicule sans précédent qui frappait l'île. Toi qui aimais tellement ton aise, l'essence de la vie tropicale mariée à la convivialité et la joie de vivre de ton peuple qui souriait et se contentait de peu, souvent parce qu'il se trouvait trop longtemps opprimé ou tout simplement avait trop longtemps eu soif de liberté. Toi, tu t'étais allongé, les mains sous la tête, sur un gazon, respirant l'air frais de ta terre natale en attendant ton plat du fameux griot d'Amélie, tout en sirotant un cup de ce rhum local.
C'est là qu'elle t'était apparue, une fois encore, comme une révélation, une vision de l'infinité de la création de l'être suprême, cet être à la peau teintée de mélanine qui résistait farouchement au soleil, un fin foulard nouait ses hanches divines avec ses courbes exaltantes et si bien taillées, elle prenait son bain et tu t'étais surpris à envier ces gouttes d'eau s'échouant sur ses épaules et suivant le tracé minutieux de son dos, dos qui te faisait face et t'empêchait de voir les bouts de son corps, deux pommes arrondis se dressant fièrement face aux monts luxuriants de cette campagne, toi tu ne pouvais qu'entrevoir ses mouvements lorsqu'elle se déplaçait dans l'eau, une scène qui rendrait bouche bée n'importe quel être, aussi pieux qu'il pouvait être. 
Tu étais enfin convaincu que la féminité avait quelque chose de magique, l'aura qu'elle dégageait t'avait attiré comme un aimant, cette bonne femme était définitivement attrayante , tu l'avais examiné de ses orteils jusqu'à ses grands yeux, de ses jambes fermes en passant par ses cuisses pleines, la cambrure de ses hanches, ses dents blanches lorsqu'elle souriait discrètement à ses amies, ses cheveux crépus tressés tombant sur sa nuque, tout t'amenait à l'admirer, ignorant qu'elle aussi te lançait des regards, mais plus timides, plus discrets vu ton insistance sur son corps, ta posture détendue, ton corps à toi, svelte, élancé l'intriguait, ce regard de félin, calculateur l'attisait. Elle aussi te voyait à chaque fois qu'il faisait bon sous le cocotier sirotant de l'alcool avec tes amis.
 
Mais elle avait un promis, de plus, il était un peu jaloux et tu ne faisais que passer, Tout ce qu'elle possédait était dans cette campagne, elle n'avait jamais eu la chance de s'aventurer au-delà, elle y avait grandi et y voyait dérouler sa vie, risquer de perdre tout cela se révèlerait idiot. Elle eut donc raison de s'étonner de ton apparition lorsqu'elle s'apprêtait à charger son sceau d'eau pour rentrer, tu l'avais proposé de la raccompagner mais elle avait souri et refusé poliment, prétextant qu'elle ne voulait pas déranger, tu insistas donc pour mettre le sceau sur sa tête et vos regards se croisèrent l'espace d'un instant, elle détourna le sien presqu'immédiatement et s'en alla alors que tu étais resté sur place, tout hébété, tu ne repris ton esprit que lorsqu'Amélie t'avait interpellé pour ton repas qui était enfin prêt.
 
Plus jamais tu ne l'avais revu, elle ne venait ni faire la lessive, ni se baigner dans le ruisseau, peut-être que tu n'aurais pas dû l'approcher te disais-tu, tes après-midis redevenaient monotones, tes journées étaient calmes, presqu'insipides, décidé à la revoir, tu décidas de faire un tour, plus loin dans la rivière, le dernier jour de tes vacances. Effectivement, tu l'aperçus, elle finissait sa lessive et se préparait à rentrer, tu lui fis face et son regard si brillant d'habitude te semblait un peu terne. Elle sourit quand même en te voyant mais se précipitait en même temps car la pluie s'annonçait et puisque tu la retenais, l'averse se déclara.
Rapidement, vous vous abritâtes sous la tonnelle d'Amélie, tu l'avais aidé avec sa cuvette de linge, elle t'en avait remercié et vous vous étiez assis l'un à côté de l'autre, un silence s'était vite installé, la pluie doubla de force et la nuit s'annonçait à son tour, tu l'admirais, elle semblait préoccupée, elle était sans doute pressée. Tu posas une main sur son épaule droite, elle se retourna et tu lui demandas ce qui lui faisait autant réfléchir, elle sourit mais ne te répondit pas, elle se rapprocha et posa sa tête contre ton torse à la place, tu crus défaillir. Vous restâtes comme cela un bon moment, la pluie avait cessé et vous n'aviez même pas remarqué la silhouette se profilant dans l'ombre, perdus dans votre nid fraichement construit.
 
-Rose-Carmelle, c'est toi ? 
La voix vous fît sursauter légèrement.
-A.. Alain, oui, il pleuvait des cordes, j'allais rentrer. Elle bégaya. 
-Oui, la pluie a maintenant cessé, viens on rentre.
Il s'empara de la cuvette de linge et ne te calcula guère, la jeune femme le suivit, sans dire au revoir, dans une marche un peu trop rapide à ton goût mais rien ne dépendait de toi à cet instant, tu la regardas s'en aller et ainsi prirent fin tes belles vacances.
 
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