« Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. Moussa un jeune africain, confronté à la pauvreté endémique de son pays annonça à ces parents sa déchirante décision d'emprunter la route du non-retour. L'âme empli d'espoir et l'esprit tourné vers une vie meilleure en Europe, Moussa au regard déterminé était prêt à traverser le désert. En cette nuit fatidique du 14 février, alors que Moussa s'apprêtait à affronter les embuches d'une mission périlleuse avec ses compagnons d'infortune, sa mère brisée, le suppliait de rester. Mais l'esprit du jeune homme était ailleurs ; nonobstant les larmes de son épouse, tenant leur enfant de deux mois à bout de bras, il la calma d'un regard et lui assura : ‘'Dans ce pays, rien ne va. Je veux construire un avenir meilleur pour nous, je reviendrai, garde ce collier précieusement ‘'.
Le chemin s'ouvrit devant Moussa et ses compagnons. Trois jours après, sous le soleil brulant du désert, la réalité brutale les frappa: la soif et la faim emportaient les premiers d'entre eux. La dignité s'effaçait, laissant place à une lutte acharnée pour la survie, jusqu'à se battre pour quelque gorgées d'urine, tel des charognards. Moussa, traumatisé par la mort de ses amis, s'effondra en larmes, regrettant amèrement son choix.
Malgré son désespoir, il tenta un acte de compassion. Il sortit sa réserve d'eau cachée pour un petit garçon agonisant. Mais dans ca chaos, les adultes l'arrachèrent, renversant le précieux liquide avant que quiconque ne puisse en bénéficier. L'enfant mourut sous ses yeux.
Ils n'étaient plus que 3 lorsque, à l'approche de la frontière tunisienne, des hommes masqués les interceptèrent. La violence éclata : ligotés comme des chiens, ils fuirent conduits vers un lieu inconnu. Un mois s'écroula avant qu'ils ne tentent de s'échapper. La fuite fut de courte durée. Des coups de feu éclatèrent, fauchant ses deux derniers amis. Moussa, touché mais réussit à s'enfuir.
Par chance, il croisa un groupe de personnes qui lui offrirent leur aide, Moussa les rejoignit, s'accrochant à cet infime espoir d'un avenir meilleur.
A bord du bateau, la même horreur que dans le désert se rejoua. Jour après jour, l'eau vint à manquer. Entassés comme des sardines, le navire devint un tombeau flottant, peuplé peu à peu de morts, scellant leur destin. Moussa, déjà affaibli, sentit alors son corps le lâcher. Ses yeux se rivèrent vers le soleil voilé, son esprit commença à s'éteindre. La douleur de sa blessure infectée s'ajoutait aux cris de détresse environnants. Puis le silence et le noir complet.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était entre 4 murs, entouré d'infirmières et de machines ? Il ne se souvenait de rien. Un homme en blouse blanche s'approcha de lui, lui posant des questions sur son identité. Moussa le fixa, incapable de prononcer un mot. Quelques heures plus tard, il aperçut un inconnu débrancher ses machines, lui intimant de fuir : si la police le trouvait, il serait renvoyé. Sans comprendre, Moussa quitta l'hôpital.
Désormais seul dans les rues de la France, il errait, son passé effacé, une page blanche au milieu d'une ville étrangère.
Ses premiers mots en France étaient un français brisé, un cri guttural « Moi faim moi, moi aider moi ! » Il arrêtait les passants, certains paniquaient, le prenant pour un agresseur, et d'autres lui tendaient un peu de nourriture, d'autres encore le traitaient de misérable clochard. La nuit tombait, glaciale, et il la passa recroqueviller sur lui-même, sans couverture. Sa vie de misère commençait.
Il ne savait ni d'où il venait, ni ce qu'il faisait là. Sa vie n'avait aucun sens et ses nuits étaient hantées de cauchemars insaisissables.
Désormais Moussa n'était plus, il était Franc le clochard. Quand les rares âmes curieuses le questionnaient, il les fixait avec son regard vide et, avec une sincérité déchirante, murmurait : « je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. »
Devenu un rat de poubelle, Moussa désormais Franc, était aussi devenu un rat de la police, traqué comme un paria. Les autres sans papiers de la rue lui avaient appris la dure réalité de sa nouvelle vie : il devait se cacher sans cesse pour éviter les Raffles vêtu de son uniforme d'hôpital, personne ne le prenait au sérieux, malgré son besoin désespéré d'aide. Sa barbe et ses cheveux poussaient, son odeur nauséabonde, répugne les passants.
Certains le prenaient pour un imposteur, une mise en scène pour susciter la pitié, comme tant d'autres sans papiers.
Le rêve qu'il avait nourri avant de quitter son pays n'était plus qu'un cauchemar masqué. Les enfants se moquaient de lui. Rongé par la dépression, il développait des troubles psychologiques en plus de son amnésie. Les jours s'écroulaient Franc devenait méconnaissable, sans statut, sans vie sociale. Sa violence, manifestation de son désarroi, l'éloignait des autres.
C'est alors que, un jour, une belle âme s'approcha de lui. C'était le psychologue Charles, un homme déjà plongé dans l'étude des troubles de comportement chez les immigrés, qui s'approcha de lui. Il lui posa la question simple : « qui es-tu ? » Franc le fixa, les yeux dans le vide, et répondit d'une voix brisée : « je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. » Charles, d'un ton serein, le rassura : ce n'est pas grave, il allait l'aider à se retrouver. Étonnement, ce jour-là, franc ne fut pas agressif, car il avait senti une main tendue à une âme désespérée.
Charles l'invita chez lui, il l'aida à prendre un bain, à se débarrasser de ses cheveux emmêlés et de sa barbe hirsute. « Tiens tiens, mais t'es jeune ! » lui dit-il. Franc répondit dans un français hésitant : « un an » sans être sûr de lui. Le docteur lui offrit à manger. Heureux, Moussa prononça : « c'est la première fois que je me sens comme un humain. »
Pendant cinq ans, Charles suivi son patient. Moussa se rétablissait, mais la mémoire restait inaccessible. Pourtant un détail persistait : un collier rouge en forme de coquillage, qui lui revenait sans cesse à l'esprit. Il se disait que s'il retrouvait ce collier, peut être tout s'éclaircirai. Franc, enfin rétabli, trouva un travail et recommença une nouvelle vie, entièrement grâce à Charles.
Pendant ce temps, dans son pays d'origine, Moussa avait été déclaré mort ; la tristesse envahissant les siens puisqu'il n'avait donné aucun signe de vie.
Vingt ans plus tard, il croisa une jeune étudiante. Autour de son cou brillait le même collier que celui qui hantait ses souvenirs. Il s'approcha d'elle, le cœur battant et commença à lui poser des questions. La jeune fille lui expliqua que c'était un souvenir de sa défunte mère. Il lui demanda de lui montrer une photo d'elle. elle lui tendit l'image , et là , tout ce qui semblait flou devint une clarté foudroyante : sa famille , le collier , le désert , la mer , l'hôpital ,sa nouvelle famille . Ce fut un choc électrique. Il s'écroula et demanda à la jeune fille : « es-tu la petite à coté de cette dame ? » elle répondit oui .alors, dans un souffle, il lui dit « je suis ton père ».