Une trace...sur l'obus

« - Attention !!!
- Ils canardent, tous aux abris ! »
 

1944, Chaumont-en-Bassigny près de la frontière allemande en temps de guerre.
« - Papa, tu repars déjà ?
- Oui Marie.
- Mais tu n'as même pas passé une semaine avec nous, c'est pas juste !
- Fille, on a besoin de moi au front, c'est comme ça !
- Laisse ton père tranquille et arrête de faire la tête ! Insista Joséphine, la mère de Marie. »
La petite s'en alla bouder.
 

C'est ainsi que reparti Ernest à la guerre en laissant sa femme s'occuper de leur fille et de la grand-mère, Léontine. Josée (le surnom de la mère), travaillait dans une usine d'obus. Cette usine avait pour particularité de frapper ses cartouches avec le sceau de chaque ouvrière. La mère de Marie, elle, gravait ses obus avec ses initiales joliment sculptées et entourées d'une liane de lierre.
 

Pendant que la mère était au travail, Léontine aidait Marie à apprendre ses leçons. La fillette n'allait à l'école que 2 fois par semaine car sa maîtresse s'occupait de plusieurs autres classes des villages alentours.
Même si sa grand-mère approchait des 60 ans, Marie l'appréciait : elle était une de ces personnes que l'on appelait « forces de la nature » ! Toute sa vie, elle avait travaillé durement aux champs, à la maison...et elle était encore debout !
 

Quelques semaines après le départ de son mari, à la fabrique d'obus, Josée dut frapper de son poinçon un obus qu'elle n'avait pas réalisé. D'abord elle refusa puis on lui dit que l'ordre venait de sa supérieure. Elle obéit même si elle se posait des questions : « Pourquoi une personne qui travaille de l'autre côté de la fabrique, me demande ça ? » ou encore « La directive vient-elle vraiment de ma supérieur ? ». Elle l'avait fait et ne pouvait donc plus revenir en arrière.
 

Six mois passèrent avant qu'Ernest puisse avoir un jour de permission. Pendant cette journée, toute la famille s'était réunie et profitait car Joséphine avait aussi eut le droit à une journée de repos. Cette dernière avait donc préparé un bon lapin rôti et Marie l'avait aidé à préparer une généreuse tarte aux pommes.
Ernest leur raconta qu'il n'était pas ménagé sur le front. En effet, les nuits étaient froides, les tranchées boueuses et les bombes explosaient dans un bruit assourdissant à quelques mètres de lui.
En plus des conditions difficiles, il était sous les ordres de l'austère lieutenant Durène. Avec ses compagnons, ils étaient chargés de faire diversion. Grace à eux, les alliés pouvaient mitrailler les Boches tombés dans leurs pièges.
 

Les jours et les mois passèrent, la guerre s'était intensifiée et malheureusement les allemands gagnaient du terrain. Le régiment de Durène réussissait malgré tout à conserver leur position par rapport aux allemands. Mais Ernest fut malencontreusement touché au visage par un débris d'obus. Il fut transféré à l'infirmerie, à l'arrière du front.
 

Au bout d'un mois, il rentra chez lui en convalescence.
Quand il arriva à son domicile, sa femme était encore au travail et la grand-mère au jardin avec Marie. Il n'y avait donc personne à la maison mais Ernest savait qu'il y avait toujours une clé sous le pot de fleur derrière la vielle grange. Quand Joséphine rentra, elle fut surprise et très contente, même si les blessures de son homme l'inquiéta. Comme elle vit qu'il allait bien, elle alla lui préparer un bon verre de vin. En fin d'après midi, lorsque Léontine et Marie arrivèrent au foyer, elles furent ravies et Marie sauta dans les bras de son père.
 

Quelques jours après, alors qu'Ernest préparait ses affaires pour retourner sur le front, la maisonnée entendit une explosion qui fit trembler les murs. Par précaution, Josée fit descendre toute la famille à la cave car elle savait que les allemands étaient proches du village. Elle pressentait que quelque chose allait se passer. C'est la vigilance de Joséphine qui sauva tout le monde d'une mort certaine car quelques minutes plus tard, un sifflement d'obus résonna à nouveau jusque dans la cachette. Une bombe tomba devant l'entrée de la bâtisse et souffla tout sur son passage : les chaises et l'imposante table de la cuisine furent emportées de l'autre côté du foyer. Une fois le calme revenu, les parents de Marie remontèrent de l'abri pour s'assurer que la maison ne brûlait pas. Malheureusement, un troisième obus frappa au toit qui ne résista pas. Il s'abattit sur Joséphine et Ernest qui crièrent en poussant leur dernier râle.
A ce moment là, Marie était heureusement blottie contre sa grand-mère qui lui avait bouchée les oreilles. N'entendant plus sa fille, la vieille dame prit la fillette par la main et l'entraîna dehors en se faufilant parmi les gravats. Dans la panique, elles coururent toutes deux jusqu'au centre du village pour demander de l'aide.
Le maire du bourg se rendit sur place et découvrit, sous une énorme poutre, les cadavres de Joséphine et d'Ernest.
Quand il rentra au village, il avertit la grand-mère et sa petite fille, que le couple était mort et que Marie était désormais orpheline. La jeune fille éclata en sanglot et sa grand-mère versa quelques petites larmes et dit : « Nous avons perdu deux êtres chers et notre cœur est en deuil ». Toutes deux furent recueillies par la sœur de Joséphine habitant le village voisin.
 

Dix ans après, Marie et sa grand-mère, toujours aussi vaillante, décidèrent de retourner voir le lieu de l'impact sur leur ancienne maison. La jeune femme retrouva l'obus qui avait causé la perte de ses parents. Mais quelque chose attira son attention : sur la bombe explosée, restait la trace du sceau de sa mère. Ce qui lui sembla bizarre puisqu'il lui avait toujours été dit que l'obus venait des allemands et que sa mère produisait des bombes pour les français. Elle commença à mener sa petite enquête mais se ravisa assez vite car partir sur les traces de sa mère, voulait dire raviver de terribles souvenirs.
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