Une trace dans le coeur

J'ouvre un œil, je vois des chemises blanches qui me demandent si je vais bien. Petit à petit je reprends mes esprits. On m'explique que ça fait trois semaines et quatre jours que je suis dans le coma.
 
Ça me revient.
Je me préparais à entrer sur scène pour mon concours. On m'appelle derrière le rideau rouge, « veuillez applaudir bien fort Mélusine. » Je rentre sur scène, éblouie par les lumières, je ne me sens pas très bien. Je m'assoie et prends une grande inspiration. Je commence à jouer la valse de Chopin. En plein milieu du morceau, ma tête tourne, mes mains tremblent, la partition devient floue, les touches se déplacement, je finis par m'accrocher au piano et m'effondre par terre soudainement.
 
Mes parents sont très inquiets, ce rythme de travail et le stress du concours serait la cause de mon malaise. Me voilà partie pour 3 mois en maison de repos.
 
Pendant ma convalescence, je réfléchis beaucoup. A quoi ça sert la vie ? A quoi ça sert d'être concertiste ?   A quoi ça sert de travailler dur pour offrir de la musique à des gens qui ont déjà accès à la musique ? qui peuvent aller à des concerts ? Quelle est ma mission sur cette planète ? jouer du piano égoïstement ? juste pour moi ?
 
Depuis toute petite, je souhaite être concertiste, jouer dans les plus grandes salles du monde entier. J'ai travaillé des heures, sous le regard attentif de Vincent, mon professeur, pour un jour lui ressembler. J'ai pu entrer au conservatoire, puis poursuivre mes études au collège puis au lycée en classe musique avec 10 heures de cours de musique par semaine. Cette année, j'ai travaillé des heures sous la pression, je ne voyais plus mes amis, même Andréa ma meilleure amie qui m'appelait tous les jours pour me proposer une sortie, une activité pour me détendre. Mais je m'enfermais dans ma bulle chaque jour un peu plus.  Du matin au soir, je travaillais mes gammes.
 
Depuis que je suis au centre de rééducation, tous les matins, je joue au petit salon et en échange, je reçois des sourires merveilleux des autres patients et infirmières qui valent tout l'or du monde. J'aime leur apporter de la douceur, de la beauté.
Je me dis aujourd'hui que la vie passe vite, et qu'il faut que je laisse une trace, ma trace dans ce monde pour le rendre meilleur. Cet accident n'est peut-être pas arrivé pour rien .
 
Demain est mon dernier jour au centre. Le mois prochain, on m'offre l'occasion de repasser mon audition. Mais ma décision est prise. Je me suis fixée un meilleur objectif, plus grand, plus beau et qui me remplit le cœur de joie. Je vais jouer du piano mais pour des personnes qui n'ont pas accès à la musique.
Le plus dur va être d'annoncer la nouvelle à mes parents, la nouvelle de mon nouveau départ, je décide de leur écrire une lettre, ce serait trop dur de leur dire de vive voix.
                                             
4 mois plus tard...
Cela fait quelques mois déjà que je joue bénévolement à l'hôpital, à la maison de retraite et  à la gare. Cela me remplit de joie. Aujourd'hui, j'ai choisi le jardin public d'un quartier difficile de ma ville. Je suis partie en vélo avec ma remorque chargée de mon piano et d'un parasol. Arrivée au jardin public, je me pose près de la fontaine.
Comme d'habitude, j'ai le trac alors que personne ne fait attention à moi et que seuls des oiseaux semblent vouloir m'écouter. 
Ca y est, je me lance, je joue Debussy.  Petit à petit des gens se rassemblent autour de moi. À la fin du morceau tout le monde m'applaudit. Je souris face à tous ces gens qui me sourient et qui me disent bravo. Tout le monde retourne à ses occupations, sauf un petit garçon qui vient me voir et me dit que j'ai laissé une trace dans son cœur et qu'il aimerait apprendre le piano.  Alors, je lui propose quelques cours gratuits le dimanche. Mais un problème arrive rapidement. Milo n'a pas de piano chez lui pour s'entrainer la semaine. « Mes parents n'ont pas les moyens de m'acheter un piano » me répond-il un jour.
 
C'est le déclic, je ne peux pas laisser ce petit garçon sans piano. Et il y a certainement d'autres enfants dans ce cas.  Alors je décide de créer une association qui s'appellera MILO et qui récoltera de l'argent pour acheter des instruments et les prêter à tous les enfants qui souhaitent apprendre le piano mais qui n'ont pas les moyens d'acheter ou de louer un instrument.
 
Mon rêve commence à se réaliser et mon cœur va exploser. Je consacre mes semaines à l'enseignement du piano, je créer une école de musique dans ce quartier avec l'aide et les encouragements de mon professeur. Je réalise alors que je marche sur ses pas. Lui aussi a laissé une trace dans mon cœur d'enfant il y a 15 ans.  Je souris. C'est à mon tour aujourd'hui de partager ma passion.
 
Et pendant les vacances, depuis que j'ai eu mon permis, je prends la route avec mon camion et mon piano et j'ai beaucoup de plaisir à jouer dans les rues, les jardins, la nature..
 
Et si un jour j'allais plus loin.... ?  Jouer en Afrique... ?
 
Et si tout était possible ?  
 
Et toi, quelle trace souhaites-tu laisser dans ce monde ?
30