Je me souviendrai toute ma vie de ce jour de pluie. Je m'en souviendrai comme le jour où j'ai réellement découvert les merveilles du monde qui nous entoure. Ce jour-là, je me rendais dans un petit village, dont je serais incapable de retrouver le nom, afin d'acheter mon rêve depuis toujours : un authentique combi T1. Tout s'est passé très vite, le vendeur m'a proposé d'essayer de faire un tour avec. Je lui ai ensuite tendu l'argent que j'avais économisé depuis des années puis je suis parti à bord du van de tous les possibles qui était désormais mien. J'étais euphorique à l'idée de partir où je voulais, libre comme l'air, mais je fus bien vite rattrapé par la réalité quand la première panne fit son apparition au bout d'une petite heure. Je m'arrêtais sur un bas-côté dans l'espoir de trouver ce qui clochait, mais quand une fois le capot relevé, un détail attira mon attention.
C'était une petite enveloppe kraft complètement froissée. Je m'en saisis laissant le moteur refroidir un peu, peut-être qu'il repartira mieux après cette courte pause. Je m'installais à l'arrière sur un des sièges pour commencer à lire. Elle commençait par « Félicitations ! Vous voici l'heureux propriétaire d'un superbe van. Vous pouvez maintenant vous rendre où bon vous semble. Si vous découvrez cette lettre, c'est que le moteur a commencé à faire des siennes. Ne vous en faites pas, ce combi ressemble sûrement à un tas de ferrailles, mais il m'a permis d'accomplir beaucoup de mes rêves. » Le reste parlait de sa vie, des villages qu'il avait traversés, de ceux qu'il avait rencontrés. Quand j'ai fini cette lettre, je ne savais plus quoi penser, d'une part l'histoire était si irréelle que cela ne pouvait être qu'une blague, mais de l'autre, son récit était si plein d'émotions que personne n'aurait pu inventer ça.
Cette nuit-là, je ne cessai de rêver à cet homme et de son histoire, si bien que le lendemain une seule chose était claire dans mon esprit, il fallait que je remonte les temps à la recherche de cet homme. Je pris juste le temps de faire quelques réserves à bord du van, m'acheter une carte assez précise pour trouver les endroits indiqués par la lettre et de prévenir mes proches que je partirai pour plusieurs jours, plusieurs mois peut-être. C'est comme ça, que je me retrouvai à sillonner les routes dans l'espoir fou de trouver des personnes capables de me parler de lui, un parfait inconnu. Kilomètre après kilomètre, je remontais le fil de la vie de cet homme dont j'ignore tout à part son nom : Stephan. Chaque fois que je rencontrai quelqu'un qu'il avait connu, j'étais excité à l'idée de ce que j'allais apprendre de plus. Très vite, j'appris qu'à chaque fois qu'il a quitté une personne, il lui a laissé un objet et une lettre comme celle que j'ai trouvée dans le van. Cela représentait pour lui tout ce qu'il avait vécu avec cette personne.
Quelquefois, j'avais une baisse de moral, je me trouvais pathétique de jouer les détectives pour connaître ce Stephan à travers d'autres. Puis je me remémorais toutes les rencontres riches en émotions qu'il m'a permis de faire, je me souviendrai toujours de ce couple de septuagénaires qui avaient tout vécu, tout eu, mais qui maintenant vivaient avec presque rien : une vieille et petite maison. Quand on leur demande ce qui leur manque, leur seule réponse est « plus d'amour ». Ils m'ont offert un toit et des histoires pendant deux jours. A eux, Stephan leur a laissé un cœur en terre cuite.
Plus j'avançais, plus je me sentais dans un autre de monde, j'étais à la fois éloigné du monde réel, mais j'étais dans un retour aux sources impressionnant. Chaque jour, je cochais une nouvelle destination qui me rapprochait toujours plus de la fin. Mais voilà, toutes les bonnes choses ont une fin et la mienne ne faisait pas exception. Elle se termina quand après plusieurs heures de routes d'affilées et plusieurs indications des habitants locaux, je me retrouvais devant une maison typiquement bretonne au bord de l'eau. Elle était située sur le haut d'une falaise, battue par de forts vents. Je sentis une boule me monter au ventre, j'avais envie d'ouvrir cette porte pour avoir la fin du puzzle, mais sonner cette cloche signifiait mettre fin à cette aventure hors du commun. Après plusieurs minutes, je me décidai à annoncer mon arrivée. Une femme vint m'ouvrir. Quand elle vit le combi, ses yeux pétillèrent. Sans un mot, elle me fit entrer et me servit à boire. Après m'avoir longuement étudié du regard, elle me dit :
« Tu as trouvé sa lettre, pas vrai ?
- Je vois que vous êtes au courant.
-Oh que oui, je suis au courant, je connais ça par cœur. Nombre de fois où il partait sans explication, il me laissait seulement une lettre et un petit bricolage pour me dire qu'il était parti peut-être à jamais. Mais chaque fois le destin le remettait sur ma route. Quand nous l'avons accepté, nous ne nous sommes plus quittés, mais c'était déjà trop tard, la maladie avait bien avancé, il est parti pour toujours quelques mois plus tard. »
Je n'osai plus rien dire, j'avais enfin la fin de l'histoire. Malgré tout, j'espérais encore le voir arriver me dire qu'il était là, heureux que je sois arrivé au bout.
« Je cherchais ce qu'il avait bien pu me laisser avant de partir, voici enfin la réponse. Si tu es là aujourd'hui à bord de ce van, son van. C'est qu'il a réussi sa mission. »
La journée se termina après plusieurs heures de discussion. Je repartis le cœur gros, promettant à cette femme, qui m'était encore inconnue ce matin, de repasser la voir.
J'ai fait quelques kilomètres, je suis maintenant toujours sur le bord de l'océan.
J'écris mes dernières pensées sur cette aventure incroyable. Si jamais un jour, vous retrouvez cette lettre, c'est que j'ai réussi à laisser ma trace dans ce monde immense, de la même manière que Stephan, que j'ai appris à connaître et à apprécier, même si jamais je ne l'ai rencontré. À vous qui lisez cette lettre, vivez la vie que vous voulez, laissez votre trace.