Une place au Champ de Mars

Ma fille,

Puisque tu me demandes de t’en parler, alors je vais tout te raconter. Je comprends que tu aies besoin de connaître mon expérience, avant de partir vivre ta grande aventure. Avant de décider dans quelle voie tu t’épanouiras, dans quel projet tu te lanceras. Et dans quelle passion tu t’investiras, toi aussi, corps et âme. Je sais qu’il n’est pas facile de trouver sa place dans la vie, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider à faire les choix qui te rendront heureuse.

C’était le 10 septembre 1997. Je m’en souviens bien. C’était la première édition. Il y avait une telle curiosité et tant d’enthousiasme autour de cet évènement. La Parisienne est bien plus qu’une course à mes yeux. Cette année, si Dieu le veut, j’y participerai encore. Et je sais que la passion sera encore au rendez-vous. Tu sais, je suis convaincue que tant qu’elle est là, on se donne à cent pour cent. On n’a pas peur de faire des sacrifices pour y arriver. Ni mon appréhension, ni les difficultés qu’a connues mon corps ne m’ont conduite à renoncer. J’ai surmonté la première pour me lancer, et les secondes pour pouvoir recommencer. L’envie de courir a toujours été plus forte que tout le reste.

Si tu penses que j’ai toujours aimé courir en groupe, détrompe-toi. Parce que j’ai passé mon adolescence à le faire en solo. Je n’ai jamais rêvé d’exercer une quelconque activité collective. Quand j’avais ton âge, j’étais bien plus solitaire et surtout, j’avais beaucoup de craintes. D’abord, j’osais rarement regarder droit devant moi. Courir m’a toujours permis de garder un air assuré et de me tenir droite. Et surtout, de ne pas avoir peur de me frayer une place au milieu des passants. J’ai le sentiment d’avoir trouvé ma place. Et je m’autorise à la prendre. Au fond, je crois que c’est ce que chacun recherche. Mais La Parisienne m’a apporté bien plus. Et c’était complètement inattendu. Parce que ce qui m’a émerveillée la première fois que j’y ai participé, c’est le groupe. L’aspect collectif que j’avais fui pendant toute ma scolarité. En réalité, je crois que je craignais l’esprit compétitif qui anime parfois les individus lorsqu’ils se retrouvent au sein d’un groupe. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas me sentir à ma place. Mais pendant La Parisienne, que nenni. Parce que l’esprit est à la convivialité et à la complicité entre femmes. Nous sommes unies par une même passion, et nous n’aspirons qu’à passer un très beau moment au cœur de notre magnifique ville. Oui, La Parisienne a été pour moi l’occasion de me prouver que j’étais capable de me retrouver dans une foule sans avoir peur et, au contraire, en étant heureuse d’appartenir à un groupe. Parce que finalement, j’y trouve ma place.

L’année dernière, c’était encore plus important pour moi. Parce que cette entorse au genou, un an plus tôt, m’avait fait douter pour la première fois de mon aptitude physique. Je crois que manquer ne serait-ce qu’une édition de La Parisienne était pour moi si impensable que je me suis surpassée. Cela a demandé persévérance et patience. La première ne m’effraie pas, mais j’ai accepté la seconde bien plus difficilement. J’y suis parvenue, malgré tout. Tu vois, parfois, il faut aussi se donner du temps. Pendant l’édition 2019, nous avons pris le départ au pied de la Tour Eiffel et nous avons accompli un parcours exceptionnel. Nous sommes notamment passées par les Champs-Élysées puis par le pont Alexandre III. Comme à chaque fois, je regardais droit devant moi, sans craindre de croiser le regard de qui que ce soit. Je savourais la beauté de Paris. Et j’appréciais toujours la compagnie de ces femmes, me prenant parfois à imaginer ce que pourrait être leur vie à elles. Partager avec chacune d’entre elles une passion commune, vivre ensemble ce moment unique, cela me donnait l’impression de les connaître. En attendant la prochaine fois, je m’entraîne au Champ de Mars autant que je peux. Le samedi matin, quand tu révises chez ton amie, et en semaine, pendant ma pause entre midi et deux.

Tu sais maintenant pourquoi j’aime tant courir. Et pourquoi je participe chaque année à cette course. Tu vois qu’en réalité, je comprends parfaitement que tu craignes la foule et que tu aies peur de ne pas parvenir à trouver ta place. Tu sais maintenant que j’ai moi-même eu peur, pendant longtemps. Puis j’ai osé. Je me suis dis que je ne risquais pas grand chose. Et loin d’en sortir déçue ou contrariée, j’étais heureuse d’avoir trouvé ma place.

Tu es la seule à même de choisir ce que tu veux faire et de savoir quand tu es prête. La seule question que tu as à te poser, c’est : « à quoi serais-je absolument heureuse de consacrer mon temps et mon énergie? ». Tout ce qui compte, c’est que tu puisses t’épanouir dans une voie qui est la tienne. Moi, j’aime courir, mais si tu préfères danser ou nager, alors fais-toi plaisir. Laisse-toi guider par la passion, et continue aussi longtemps qu’elle sera là.