Hortense aimait vraiment beaucoup les fleurs. Elle les aimait tant qu’elle leur parlait. Elle leur racontait presque tout, enfin tout ce qui pouvait lui passer par la tête. Hortense vivait seule désormais et parler à ses fleurs lui rappelait les jours heureux qui n’étaient plus, lorsqu’elle conversait avec son époux et lui disait :
- « Henri, s’il-te-plaît, va me chercher le plantoir et le sac de bulbes, y’a un trou dans ma bordure !
- Oui, Ma Chérie, tout de suite, tout de suite... J’arrive », répondait-il tout en s’empressant de ramener le produit de sa quête à sa douce moitié.
La vieille dame avait été très jolie autrefois et malgré ses mèches grises, elle respirait la jeunesse et la fraicheur. Elle avait conservé son sourire et son regard lumineux. Elle avait entretenu, depuis son veuvage, sa passion pour les fleurs et la végétation et élargi ses connaissances horticoles. Elle s’était mise à l’informatique pour accéder à internet et faisait des recherches à chaque nouvelle graine ou chaque nouvelle fleur qu’elle découvrait, vive ou en photos. Bien sûr elle fréquentait les graineteries, les magasins qui vendent des fleurs en promotion, les marchés, les bibliothèques et les librairies. Grâce à sa faible retraite de femme de ménage, à la maison que son défunt mari lui avait construite, et à l’aide de ses enfants et de son entourage, Hortense ne manquait de rien d’essentiel et pouvait œuvrer à sa guise chaque jour que Dieu lui offrait en « supplément » aimait-elle répéter.
Si elle avait pu choisir et si l’occasion s’était présentée, la jolie vieille dame aurait voulu être fleuriste. Elle aurait aimé composer des bouquets minuscules ou gigantesques, pour les vivants comme pour les morts, les amoureux, les incompris, les gentils ou les profiteurs. Elle aurait aimé maitriser le langage officiel des fleurs et découvrir ou comprendre des histoires à chaque bouquet vendu. La vie en avait décidé autrement mais Hortense avait su créer son petit jardin devant et derrière la maison et tous les visiteurs la complimentaient sur son goût et ses nouvelles acquisitions. Elle comblait chaque trou de terre vierge par des bulbes de jacinthes odorantes, de tulipes, de jonquilles, de glaïeuls ou d’iris et parsemait le gazon de petites semences volatiles qui deviendraient pâquerettes, violettes ou boutons d’or au Printemps, myosotis, capucines ou coquelicots en Eté. Elle savourait d’avance le miroir de couleurs qu’elle créait à loisir. Plus tard, on viendrait prendre des photos de son jardin pour le journal local. Elle participerait au concours « Jardins fleuris » organisé par sa commune. Elle proposerait un atelier « composition florale » à la fête annuelle du village. Les voisins sauraient lui soutirer des conseils qu’elle leur donnerait avec plaisir en leur faisant croire qu’ils étaient toujours uniques et personnifiés. Elle contribuerait grandement une fois encore à l’obtention du fameux macaron « Village fleuri » arboré fièrement sur les panneaux indicateurs d’entrée et de sortie de la commune.
Chaque fois qu’elle le pouvait, l’amie des fleurs et des parfums champêtres offrait des petits bouquets ou pots de repiquage de son invention à ceux qui n’avaient pas la chance d’avoir un jardin. Quant aux autres, elle leur donnait des graines. Elle refusait de se faire payer mais acceptait toujours une pâtisserie, un dessin, un petit cadeau ou une invitation. Et pour ceux qui ne pouvaient se déplacer, c’est elle qui se rendait chez eux.
La semaine, Hortense passait rendre visite aux personnes âgées de son entourage et poussait jusqu’à l’EHPAD de la commune voisine. Elle tentait de redonner le sourire à tous les résidents à coups de brins de nature en pots ou en bouquets. Et ils en redemandaient. Quand elle le pouvait, elle en apportait aussi aux aidants. Hortense était attendue comme un rayon de soleil et réveillait les sens de certains résidents aux yeux brillants qui parfois même versaient une larme en respirant le doux parfum d’une rose ou en touchant les pétales d’une fleur de pivoine ou de dahlia. Elle arrivait en général avec un grand panier plat dans lequel elle avait rangé des gerbes de fleurs coupées, des œillets, du lilas, des hortensias ou de la lavande selon les saisons et avec un cageot rempli de petits pots de yaourts dans lesquels avaient germé des graines diverses ou des boutures de kalanchoë. Avec son rouleau de papier d’aluminium dans une main et les fleurs dans l’autre, elle composait de simples bouquets ou donnait juste une fleur à chacun et enrubannait les petits pots d’un film d’argent pour les décorer comme de petits vases. Avec le temps elle connaissait les goûts de chacun ou presque et ceux des accompagnants et se livrait à l’exercice avec toute la bienveillance qu’on lui connaissait. Elle ne prévenait pas de ses visites pour ne pas qu’ils l’attendent en vain mais avait l’accès libre à l’EHPAD comme si elle y travaillait, la Direction et les résidents l’appréciant beaucoup pour ses grandes qualités humaines et sa bonne humeur contagieuse.
Quand elle le pouvait, et que la météo le lui permettait, l’horticultrice en herbe sillonnait les allées du cimetière et nettoyait les tombes des fleurs mortes qui les avaient salies. Quand cela était possible, elle les remplaçait par de nouvelles fleurs fraîches et quand elle voyait des tombes délaissées et sans aucune végétation, elle y déposait une fleur, un bouquet ou un petit pot ; parfois elle plantait quelques graines avec le pouce dans la terre avoisinante et priait pour que quelques pousses sauvages fassent leur apparition. Le gardien la connaissait bien et le Maire du village et ses habitants étaient ravis des bonnes intentions d’Hortense. Quand, peu avant les élections municipales, on avait fait une enquête sur les travaux d’entretien de la commune et les moyens à dispenser pour les assurer, tous avaient répondu que c’était un privilège pour le village d’avoir des bénévoles qui voulaient bien s’acquitter de certaines tâches, notamment le fleurissement des tombes. Et depuis, aucune famille ne s’était plainte de voir la tombe d’un parent fleurie en dehors de la Toussaint.
Le dimanche, Hortense s’activait à l’église. Elle disposait avec soin le grand bouquet dominical que livrait la fleuriste de la commune voisine, une composition gigantesque toujours avec des arums, qui trônait en haut des marches devant l’autel. Quelquefois, quand un mariage ou une autre célébration avait lieu et qu’une décoration florale avait été commandée, elle assistait les personnes désignées à cette tâche, spontanément, avec toute la gentillesse et le naturel qu’on lui connaissait.
Ainsi vivait Hortense. Fidèle à sa région où tout poussait sous les doux rayons du soleil quelles que soient les saisons, elle dépensait toute son énergie à couvrir de fleurs ceux qui l’entouraient. Les seuls compagnons qui partageaient sa maison et son jardin se mettaient debout sur quatre pattes et répondaient aux noms de « Krokus » pour le canidé et « Kamélia » pour la féline, mais avec un « k » ! On disait de la sympathique et agréable vieille dame, qu’elle avait toujours « une petite pensée » pour les autres. Elle disait aux gens qui la questionnaient, que toute fleur était comme un sourire : éphémère mais bienfaisante.