Une lueur dans la nuit

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.

Allongée sur son lit aux couleurs de l’océan, Théa ne peut s’empêcher de se poser cette question. Tournée vers le plafond, elle soupire. Les vacances s’achèvent et il est temps de retourner sur les bancs de l’école. Dans quelques heures, il faudra à nouveau se faufiler entre les nouveaux qui découvrent l’université et les anciens qui discutent au milieu des couloirs. Rien que cela est un challenge digne des plus grands. Un léger sourire dansant sur ses lèvres, la jeune étudiante en deuxième année tente de se souvenir de la localisation de ses salles de classes. Cependant, elle abandonne rapidement en constatant qu’elle ne s’en souvient plus exactement. Un nouveau soupir s’échappe d’elle. Mais Théa n’a pas la possibilité de réfléchir davantage puisque sa mère toque à la porte de sa chambre au même instant.

« - Chérie, c’est l’heure de se lever. Le petit-déjeuner est prêt. »

La jeune femme la remercie et se lève en suivant. Après s’être étirée et avoir baillé, elle rejoint la cuisine d’un pas lent et peu pressé. Avant de s’asseoir, elle embrasse ses parents puis se place à la gauche de son père. Comme synchronisées, sa mère lui dépose son assiette avec des tartines lorsque qu’elle approche sa chaise de la table.
Quand elle termine son repas, elle dépose l’assiette dans l’évier puis retourne à sa chambre pour s’habiller. Théa va ensuite à la salle de bain pour se brosser les dents et attacher ses cheveux. Alors qu’elle achève sa queue de cheval, son père frappe à la porte pour lui signaler un départ dix minutes plus tard. La jeune femme se précipite donc pour récupérer son sac de cours puis part mettre ses chaussures et son manteau.
Son père la rejoint quelques instants plus tard. Sa mère est déjà partie au travail alors c’est lui qui va l’amener à l’université.

Le trajet vers l’établissement se fait en silence. Théa se crispe de plus en plus sur la lanière de son cartable. La peur de se perdre grandit et une boule se forme dans son ventre. En la voyant au bord des larmes, son père essaye de la rassurer.

« -Théa, ne t’inquiètes pas. Tu connais les couloirs comme ta poche. Tu as très bien réussi à t’orienter l’année dernière. Et puis tu devrais être dans les mêmes salles de cours et de travaux pratiques. N’aies pas peur. On a confiance en toi. »

Seul un hochement de tête lui montre que sa fille a entendu ses paroles. Quelques minutes plus tard, ils arrivent enfin sur le parking de l’établissement. L’homme d’une cinquantaine d’années se gare au plus près des escaliers menant au parvis de l’université. Théa lui dépose un bisou sur la joue puis se saisit de son sac. Alors qu’elle dépose un pied en dehors du véhicule, son père l’interpelle une dernière fois.

« - N’oublie pas. Dix-neuf marches dans cinq mètres cinquante. »

Un sourire se forme sur le visage de la jeune femme puis elle rit en le remerciant. Elle ajuste ses lunettes de soleil sur son nez puis, d’un pas prudent, elle rejoint les escaliers. Dix-neuf marches plus tard, Théa a vaincu les dix-neuf marches la séparant du bâtiment. En rasant les murs, elle rentre dans l’établissement et se dirige vers l’amphithéâtre où a lieu la réunion de rentrée. Alors qu’elle franchit la porte de l’hémicycle, elle se heurte à quelqu’un. L’étudiante s’excuse rapidement puis reprend sa route. Malheureusement, elle ne fait qu’une dizaine de mètres supplémentaires avant de rencontrer un nouveau corps étranger. Cette fois, elle n’a pas le temps de demander pardon qu’une fille s’énerve.

« - Regarde où tu vas ! Je ne suis pas invisible il me semble ! »

Théa murmure une excuse rapide puis se précipite vers le fond de l’amphithéâtre. Quand elle n’entend plus personne parler, l’étudiante se laisse tomber sur un siège libre et soupire. L’année promet...
Concentrée sur le tic-tac de la pendule à quelques mètres derrière elle, elle est surprise quand le directeur entame son habituel discours de rentrée. Il présente une nouvelle fois les différentes classes et les professeurs qui y sont attachés. Ensuite, il aborde les modalités d’évaluation de l’année, précisant vaguement les semaines de partiels. Quand le chef d’établissement annonce le début des cours, Théa patiente. Il est plus prudent de laisser passer la vague d’étudiants avant de s’aventurer dans les couloirs. Mais elle sursaute quand une voix s’adresse à elle.

« - Salut ! Excuse-moi de t’embêter mais je suis nouveau et je ne sais pas où je dois aller. Avant j’étais dans une autre université mais ma famille a déménagé alors je débarque à peine. Bref, est-ce que tu voudrais bien me guider jusqu’à la salle de classe C404 s’il te plait ? Enfin, si c’est pas à l’opposé de ta classe à toi. »

Théa est surprise. C’est bien la première fois qu’on lui demande à elle de faire la guide. Mais après, elle doit reconnaître que le garçon est malin. La jeune femme ne se souvient pas avoir un signe quelconque montrant qu’elle a cours pas loin de la salle du nouveau. Mais heureusement pour lui, il semblerait qu’ils soient dans la même classe pour cette année. Avec un sourire hésitant, elle se tourne vers l’étudiant.

« - Ce sera sûrement à toi de me guider. Mais je veux bien t’indiquer où est la salle puisque j’ai cours là-bas aussi.

- Pourquoi ce serait à moi de te guider ? Je vais me perdre avant d’avoir fait vingt mètres.

- Je suis aveugle. Alors oui je connais les directions à prendre mais comme je dois aussi éviter les gens, il arrive que je perde le compte de mes pas et des mètres à parcourir. Une fois j’ai atterri à l’opposé de ma destination pour la seule raison que j’avais évité le chariot de la femme de ménage. »

Théa rit doucement à ce souvenir. Personne n’avait pu lui en vouloir vu l’état de panique dans lequel ils l’avaient retrouvée deux heures plus tard. Si au début elle n’appréciait pas qu’on le lui rappelle, aujourd’hui c’était un sujet drôle.

Face à elle, le nouveau la regardait avec des yeux grands ouverts. Au bout de quelques minutes il se reprit et s’adressa à nouveau à la jeune femme.

« -Mince, excuse-moi. Pour te rassurer, ça ne se remarque même pas. Mais ça explique pourquoi tu portes des lunettes de soleil à l’intérieur. Je ne suis pas très futé quand je stresse. En tout cas, enchanté, je m’appelle Dominique. Je serais tes yeux pour cette année. Enfin, si tu veux bien de mon amitié ? »

Théa rit devant l’engouement qu’elle ressent dans sa voix. Elle lui tend une main qu’il serre avec force alors qu’elle lui répond.

« - Enchanté Dominique, moi c’est Théa. Et j’accepte ta proposition ! »

C’est en riant que les deux étudiants quittent l’amphithéâtre.
Alors qu’ils progressaient dans les couloirs, Théa ne put s’empêcher de laisse son esprit divaguer. Malgré le fait que pour elle, la nuit était éternelle, elle aurait au moins une personne à ses côtés pour lui faire partager la beauté de ce qui l’entoure.