Une histoire comptée

J'ai un nom de vieille, des goûts de vieille: les chats, les vieux livres poussiéreux, le thé, les châles... Mais je suis aussi singulière: j'aime les octopodes, j'aime me compliquer la vie (et ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part. Je suis longtemps restée dubitative devant ça. Qu'attendre d'autre de la part de ce sujet ? Rien. Seulement des évidences. J'ai soupiré. J'ai soufflé. J'ai eu envie d'abandonner avant même d'avoir commencé, car à ne pas donner de limites, on fait crever l'imagination. C'est comme les concours de nouvelles sans thème, ça n'a pas de sens. On est tenté de recycler une vieille histoire qui a plu, sans fournir d'autre effort qu'un copier-coller. Je me suis levée de ma chaise et j'ai cherché une idée. J'ai fini par en trouver la moitié d'une: un dé.
En laçant le dé sont sortis sept lettres, un âge et avec tout ça la perspective d'une vie. Patrick, 43 ans, venait de naître. J'étais dubitative, Patrick n'est pas le genre d'homme avec qui je rêve d'une histoire. On a commencé à parler. Il m'a dit qu'il était ouvrier en sidérurgie mais que si il avait eu les capacités (et surtout, d'après moi, si il s'était donné les moyens d'y arriver) Patrick aurait voulu être informaticien. D'abord pour être tranquille derrière un bureau et entretenir son obésité morbide, mais aussi parce que les Intelligences Artificielles l'obsèdent. Patrick est persuadé qu'un jour elles essaieront de renverser la domination humaine, et ce jour-là, Patrick sauvera le monde avec ses petits doigts en forme de boudins. Oui, Patrick est un héros. Moi aussi ça m'a surpris. Au premier abord Patrick a l'air d'un gars sans intérêt, quelqu'un qui s'est laissé bercer par les hasards de la vie sans forcément prendre les devants. Mais Patrick est une bonne personne. Plus jeune, il a tenté le concours de pompier et déjà sa bedaine pendante l'avait empêché de réussir. Patrick est un être frustré, mais bienveillant.
Mais Patrick ne faisait pas avancer mon entreprise. Même avec ses bonnes intentions, il ne me servait à rien. Patrick était seul en train de flotter dans le néant de mon imagination, sans lieu ni jour. Ah, sacré Patrick, lui qui sait à peine nager la brasse ! Je le voyais se débattre dans l'affreuse piscine infinie de mon doute. Il me suppliait de lancer le dé pour lui trouver un endroit où aller. N'importe où, sauf ici. Parce qu'ici il n'y avait rien, faute de contrainte. Ici, c'était quelque part et nulle part ailleurs. Alors j'ai lancé le dé, encore et encore, jusqu'à trouver un endroit précis pour Patrick.
Vous connaissez le Pérou ? Une ville en trois lettres, Ica. Charmant. Là-bas, Patrick sue un peu trop à son goût. Ce n'est pas qu'il ait un système sudorifique plus abondant que la moyenne, mais c'est qu'à Ica, il fait chaud. Surtout quand on emporte des vêtements pas du tout adaptés, hein Patrick! Le poncho, ça fait local, mais au-dessus d'une polaire, ça fait des auréoles. Notre bon Patrick se persuade qu'avec cette technique, il perdra un peu de poids.
Patrick aimait se promener sous la lune D'Ica, arborant fièrement son autocollant "Qosqo Maki", une association qui vient en aide aux enfants et adolescents sans domicile.
Patrick avait 7 millions d'enfants à sauver.
Finalement, le hasard avait donné un début à la vie de Patrick.