Aujourd'hui, c'est son anniversaire et il regarde tomber la pluie en pensant aux lacs et aux rivières. Et puis il se demande si toute cette eau venue du ciel suffira à remplir les poches de la terre. La pauvre terre que l'on a pillée, dévastée et ruinée. Elle avait pourtant enfoui des merveilles dans les rabats de son manteau : des jolis cailloux, des pierres précieuses et toutes sortes de richesses qu'elle donnait sans compter à qui en voulait. Ou qu'on lui dérobait. 

 

Il a sept ans et des tourments de grands parce que dans la solitude de sa « différence », il sait que la terre souffre. Or elle est son amie. Sa meilleure amie. Il a entendu dire qu'elle va bientôt périr sous d'ardentes flammes. Et que ses futurs enfants s'éteindront avec elle. Et puis elle lui montre tant de belles images, il ne veut plus qu'on la saccage. Il aimerait être un magicien ou mieux encore un ange pour la prendre sous son aile et l'emmener loin de tous les monstres qui la peuplent. Qui ne pensent qu'à tuer. Il la planterait ailleurs, telle une fleur qui n'aurait plus jamais soif puisqu'il la protégerait de tout son cœur.

 

C'est son anniversaire et il n'est qu'un petit garçon sans pouvoir magique. Par contre il est un petit garçon avec un QI énorme. Il ne comprend pas à quoi sert ce soi-disant don qui l'encombre et l'isole. Qui ne lui sert à rien puisqu'il ne peut pas sauver la planète. Bientôt il va souffler sept bougies car sa tante Amandine et son oncle Willy vont apporter un joli gâteau pour le dessert. Il devine qu'il sera décoré de super-héros comme l'année dernière. Des petites effigies de plastique dressées sur une nappe de chocolat : Wonder Woman, Iron man, Aqua man, Superman, lequel de ces personnages pourrait l'aider dans sa mission de sauvetage ? Il faudrait qu'il en crée un autre plus grand et plus fort. Un vrai. Oui il le faudrait. 

 

Sa maman lui offrira certainement un livre de contes. Des contes d'aujourd'hui, ce serait bien. La terre y serait reine et il serait son roi. Demain lundi, après la classe, il ira chez son psychologue auquel il racontera encore et encore toutes les misères que subit son amie. Et comme d'habitude celui-ci lui répondra : « Qu'est-ce que tu as fait de beau ce week-end ? » Ce pauvre homme doit être aussi inquiet que lui parce qu'il évite toujours de parler des maux de la terre. C'est pourquoi il revient toujours à des sujets qui le rassurent : la détente ou les festivités. 

 

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Maintenant, c'est l'heure de fêter ce fameux anniversaire, il est à table. Toute la famille est réunie. Grands parents, oncles et tantes, cousins et cousines, il les aime tous. On lui dit qu'il a atteint l'âge de raison mais qu'avant il était déjà un enfant raisonnable. Trop raisonnable d'ailleurs. Pourquoi regarder les nuages et parler au vent alors qu'il pourrait jouer avec les autres enfants ? Néanmoins il est content et remercie tout le monde pour les cadeaux. Jeux de société, patins à roulettes et livres l'enchantent en ce jour. Son cousin lui a légué son vélo rouge qui n'est plus à sa taille, le repas préparé par sa maman est très bon, le jardin a offert à tous de délicieuses fraises et le gâteau aux héros régale tout le monde. Et puis il y a une surprise inattendue car ses parents ont invité Louise, leur nouvelle voisine. C'est une vieille dame avec un sourire comme on n'en fait plus. Son visage rayonne sous ses cheveux gris. Ses yeux malicieux ne voient que lui. Il se dit que c'est peut-être une bonne fée qui est venue exaucer ses vœux. 

 

Après le déjeuner, alors qu'il est blotti dans un coin du canapé et reparti dans ses tristes rêveries, la fée vient s'asseoir à ses côtés. La douce voix de cette nouvelle amie lui réchauffe le cœur : « Est-ce que tu aimes le miel ? J'en ai apporté un pot à tes parents. C'est Bastien, mon frère, qui le produit. Si tu le souhaites, on ira le voir. » Bien sûr qu'il veut aller rendre visite au frère de Louise. Bien sûr qu'il aime le miel sauf que les abeilles disparaissent peu à peu. Peut-être que ce Bastien va toutes les sauver. Il raconte alors à Louise tous ses tourments d'enfant déjà grand. Et ses espoirs de miracles aussi. Elle l'écoute comme nul ne l'avait jamais écouté. 

 

Elle le comprend tellement. Tellement bien : « Je sais que tu voudrais que la terre soit tout de suite réparée. Il faut être patient. Si mon frère est un magicien, alors toi aussi mon petit bonhomme, tu peux en devenir un. Nous avons d'ailleurs tous le pouvoir d'être les héros du quotidien. Comme toi, nous sommes nombreux à respecter la nature et vouloir la protéger. Tu penses qu'il y a beaucoup de monstres mais il y a surtout des gens ignorants. On peut ouvrir les yeux de certains mais on ne peut pas changer tous les humains. Il faut l'accepter. De grandes actions sont menées mais les petites nous sont réservées. Il s'agit néanmoins de très belles actions. » Et alors elle lui explique tout.

 

Il sait désormais qu'il n'est pas seul. Ça le remplit de bonheur. Tant et tant de grandes personnes aident son amie. Ses parents, par exemple, même s'ils ne le lui ont jamais dit, le croyant trop petit. Chez lui, c'est vrai, on ne gaspille rien : on préserve l'eau, on ne jette pas la nourriture. Chez lui on mange beaucoup de légumes et de fruits de saison parce qu'il y a le jardin et le marché. Et puis son papa s'est remis au vélo. Tout ce qu'il peut faire, lui, du haut de son mètre dix, il le fera. Il ne laissera plus la lumière de sa chambre allumée inutilement. Il va trier ses livres, jeux et jouets pour que sa maman apporte ceux qui ne lui servent plus chez Emmaüs. Elle y donne déjà leurs anciens vêtements. Elle y achète également un tas de choses, pour elle et pour lui. Pour son papa aussi. Il va réfléchir à tout ce qu'il pourrait encore accomplir. Et puis demain il racontera tout ça au psychologue qui a vraiment besoin d'être rassuré.