Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Qui s'en soucie ? Cela est sans aucune importance pour celui qui se fait nommer Bad-boy. J'ai déjà vécu dans pire que le noir, les ténèbres... Quelque chose de pareil que l'enfer. J'ai goûté à la pomme d'amertume de l'inéluctable destin et celle-là était si âcre que ça m'a coûté le restant de ma salive. Pour vous dire tout...mon bonheur m'a quitté à jamais, telle une femme désobéissante qui déserte son foyer pour n'y laisser qu'un mari meurtri au regard éperdument tourné vers les souvenirs regrettables du beau temps.
Ah ! Le bonheur, même si l'on te respire au quotidien, on n'oublie pas que le malheur n'est pas loin. Il est là, tout près de nous. Lui aussi nous suit à la semelle, juste au dessus de notre tête, cherchant une occasion, une bien meilleure pour nous tomber dessus, nous assommer terriblement avec ses griffes maléfiques. Ainsi nous réduire à la plus petite expression de notre personne. Les biens qui nous rendaient fiers disparaissent à jamais. L'arrogance qui nous animait, le sourire qui nous rendait éblouissants aussi s'enfouissent dans les mémoires du passé. Le train de la vie va vite, très vite en trébuchant et se redressant, tout dépend de comment nous le conduisons. On parle là « des hauts et des bas ». Mais parfois nous perdons le contrôle totalement, et le train s'écroule pour ne plus jamais se relever.
Quand cela arrive, on réalise que tout est fini. Plus de train , plus de conducteur... tout disparaît, ne restant plus que des épaves. Le temps s'arrête, l'univers s'assombrit et se vide de son contenu. Parfois, ça donne l'impression d'avoir les yeux fermés et d'errer dans les rêvasseries. Tout à coup, on se rend compte que l'on vient de tout perdre à un virage de la vie. C'est là que les interrogations commencent : Putain ! Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ? Qu'ai-je fait pour offenser Dieu, pourqu'il m'assène un coup de cette envergure ? Finalement, on réalise que le déclin est inévitable, que le train a chaviré pour de vrai et pour de bon. Notre situation se résume à cette expression populaire《 Devenir l'ombre de soi-même 》.
C'est celà que je devins après la mort de mon père ; l'ombre de moi-même. Il était fortuné, m'a-t-on raconté. Plein aux as, disaient certains. J'étais enfant, j'avais à peine six ans quand il rendit son dernier soupir. Innocent jusqu'aux os, je ne savais pas qu'il souffrait sur son lit d'hôpital, jour après jour à lutter contre le cancer ; cette vilaine sorcière qui lui mangeait sa chair. Je ne savais pas non plus qu'il était opulent au point qu'on m'en parlait avec exaltation : « Qu'est ce que ton père avait de l'argent en uberté ! » Mais bon ! Tout cela n'est que du gloire passé qui s'est décliné en plein cœur de mon âge d'innocence. Tout ce que je savais, c'était que ma mère - que je ne connaissais que par photo -, avait laissé sa vie en me donnant la mienne. La pauvre ! J'ai de la peine pour elle. Il y avait aussi tonton Oumar, mon oncle, mon meilleur ami et mon petit papa. Il était le plus gentil et le plus jovial des tontons ( au vivant de mon père, ai-je envie de préciser).
Le jour où mon père tira sa révérence, tonton Oumar était à ses côtés...je m'en souviens encore. Il lui chuchota quelques paroles dans les oreilles avant de fermer les yeux à jamais sur le monde des vivants, et celui-là acquiesça d'un hochement de tête. Les pleurs retentirent, les larmes perlèrent sur les visages. Mais comment pouvais-je savoir que la plupart étaient des larmes de crocodile ? Naïf j'étais, donc je suivis le rythme et j'en versai à mon tour. Ainsi s'acheva la légende personnelle de mon paternel. Ce jour, je devins orphelin de père et de mère. Il y'avait tout de même tonton Oumar pour me proteger. Pensais-je. C'était difficile pour l'enfant que j'étais, de comprendre que tout ce qui brille n'est pas de l'or.
Des années passèrent à la vitesse de la lumière. Le temps et sa vague de tourments vinrent balayer les souvenirs de la mort de mon papa. J'avais vite grandi. Mon oncle s'était finalement marié et avait hérité de tout le bien de mon défunt père. Tout avait changé, rien n'était plus comme avant. J'ai mal de vous faire lire ça mais... J'étudiais dans l'une des meilleures écoles de la ville mais je fûs descolarisé, je commençai à dormir par terre. La propreté de la maison, la vaisselle, la lessive et que sais-je encore... me revinrent sous peine de chicote. La femme de mon oncle était une peste. Elle avait endurci le cœur de ce gentilhomme. Elle était la maîtresse de la maison, elle dictait sa loi et quand elle eût marre de ma tête, elle me jeta à la porte à l'âge de 13 ans en complicité avec celui dont l'amour avait fait battre mon cœur innocent pendant mon enfance ; mon oncle ! Qui aurait pensé à un tel scénario, vraiment ?
Mon oncle m'avait jeté dans les entrailles de la souffrance en me déshéritant. Je fus affronté au désespoir et au chagrin, à la merci de la solitude et de la délinquance. L'errance, le vagabondage et le libertinage furent mes compagnons. Je commençai à déambuler de quartiers en quartiers, de marchés en marchés à la quête du pain quotidien. Pour cela je trimai comme un cochon. Je fis des travaux pénibles dignes d'un esclave et impropres à un adolescent de mon âge. Je dormais sur les étalages, je m'y réveillais avant que les dernières lueurs de l'aurore disparussent pour laisser place à la clarté du jour. « Papa, tu m'avais appris de meilleures choses à ma petite enfance : La bonté, la serviabilité, lire, écrire... Tout ça, c'était la facette de la vie qui était peinte en rose. Mais pourquoi ne m'avais-tu pas aussi montré l'autre facette ; celle peinte en noir ? Où le calvaire nous fait voir ses crocs, et où l'amertume de la vie nous accueille avec un sourire narquois ? Tout ça n'est que regret et désolation. » songeais-je.
Je m'habituais à cette vie de merdes avant de rencontrer Kalash, un autre adolescent, victime des atrocités du monde. Il était plus mature que moi. C'était mon mentor, mon aîné de deux ans de plus. C'est lui qui me donna ce « Bad boy ». Il m'offrit un toit, c'était une cabane mais...mieux que les marchés. Il m'apprit à rouler le cannabis et à le fumer avec maîtrise. Je m'entraînai à insulter, à me sentir arrogant et à folâtrer pour dérober les biens d'autrui. Je développai le sentiment de dédain, l'orgueil et l'esprit de vengeance. Il fut celui qui me sauva, jusqu'au jour où il vint me voir avec cette idée satanique. « Bad ! Il faut qu'on le fasse. » Fit-il galvanisé.
- Kalash ! Tu es sûr que c'est une bonne idée ? Demandai-je.
- Bien-sûr m'maadidi (mon gars) ! Cela changera notre vie, crois moi.
- D'accord, alors on y ira cette nuit. Acquiesçai-je en tirant sur une boule de marijuana qu'il venait de filer.
Le plan était de braquer une boutique de téléphones qui paraissait peu surveillée dans le quartier. La nuit venue, nous y allâmes avec nos cagoules. Kalash avait un marteau pour demonter les cadenas. Tout semblait rouler à merveille. Mais soudain, deux monstrueux vigiles surgirent en criant « Euh ! Qui êtes-vous ? ». L'expérimenté Kalash se sauva avec toute sa dextérité. Mais moi Bad boy, le mauvais garçon, l'âme de toutes les déveines, je fus arrêté. Ils me rouèrent de coups, j'en recevais de tous les côtés. Sur la tête, le visage etc. Le sang coula, des côtes se brisèrent. Pour la première fois de ma vie, je goûtai au paroxysme de la douleur physique. Celle d'une chair blessée par des mains sadiques de deux brutes individus. La même nuit, je fûs jeté en prison. Une cellule commune de plus de cinquante de mes semblables, entassés les uns sur les autres.
Plus que la mort des parents, le déshéritement, la déchéance et la solitude. La prison était ce que la vie avait eu de plus dur à m'enseigner. Je pleurais le cœur meurtri et l'âme perdue entre quatre murs. J'avais la haine, le mépris... J'avais l'esprit tout noir. Car oui ! J'étais dans le noir et je méritais bien mon sobriquet.