Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Mes paupières se ferment doucement et dans cet infime instant, je suis saisi par les émotions qui tourmentent parfois les êtres vivants. Mon cœur scintille et éclaire le palais de ma mémoire. Les souvenirs s'entremêlent pour donner aux mots leurs couleurs, les pensées se bousculent et libèrent leurs odeurs. C'est ainsi qu'un instant suffit pour fleurir les pages blanches, du bleu-violet des flamboyants qui donneront les prochains printemps.
 
Soudain, un coup de vent emporte une poignée de papiers glissés dans la couverture d'un vieux carnet. Ce sont des milliers de mots encore inconnus, qui se mêlent à la danse frêle des passereaux dans les rues de San Telmo. Intrigué par ce ballet, je me laisse à mon tour porter par les courants d'air de ce joli quartier de Buenos Aires, comme animé par l'espoir de rencontrer ces bouts d'histoire qui me restent encore à entrevoir. De la terrasse d'un café aux étals du marché, je flâne, scrutant chaque recoin à la recherche de ces fragments égarés. Au fil des rencontres avec ceux qui les ont précieusement conservés, je récupère ces papiers avec l'impatience de les lire ! Quelle surprise de découvrir qu'ils sont déjà imprégnés des éclats de rires et des souvenirs de cette envolée à la poursuite de ces trésors de papier. 

 

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Je rouvre mes paupières, le bruit de l'avion me tirant des rêveries d'un instant. Je reprends mes esprits en contemplant par le hublot les lumières quadrillant cette ville érigée sur les vastes pampas. Un doux sourire se dessine sur mes lèvres, car je sais que malgré le temps qui passe, les mots resteront éternels, comme des étoiles brillantes dans l'obscurité.
 
Je me tourne vers ma voisine qui, avec bienveillance, me tend des feuilles gribouillées que j'ai sans doute laissées tomber. Mille mercis, je les recueille délicatement, comme des fragments de vie suspendus dans le temps. Et dans ce mélange d'échos du passé et de rencontres du présent, on se découvre un cœur de voyageur, en quête de trésors de papier qui attendent patiemment qu'un coup de vent s'engouffre pour les réveiller.