Un tragique-engrenage. Alexandra Ondoua

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Je pense que cette fois-ci, Angel JEFFERSON a vu venir la mort, l'approcher et le saisir.
 Je m'appelle Olivia-Cross
JEFFERSON, ex-expionne de la DGSN ( Direction Générale de la Sûreté Nationale), mariée à un célèbre pilote automobile. J'avais une vie palpitante en tant qu'agent et une rencontre m'a changée à tout jamais.  Mon mari  ce weekend réalisait sa dernière course, celle qui acterait définitivement sa retraite en formule 1. Un weekend qui devait être le début d'une nouvelle ère, avec de nouvelles aventures.  Ça n'a duré qu'une minute. Une seule et très longue minute qui m'a parue une éternité.
Avez-vous déjà eu l'impression d'être prêt à passer d'une vie à une autre alors que vous êtes toujours vivant? Moi, oui et ce sentiment ne me quitte pas depuis quelques jours.
J'ai la sensation que je ne sortirais pas indemne de cette course et sans toutefois me l'expliquer j'en suis 
persuadé. Je me souviens des derniers mots  de mon époux avant son départ pour les stands.
- Sois toujours heureuse ma reine et que ta motivation te guide à jamais.
- Pourquoi tu me dis ça ? T'es tombé sur la tête ? Lui ai-je demandé.
- Non, je veux juste que tu ne changes pas, quoi qu'il arrive.
 Assise dans le paddock du circuit du YAOUNDE INTERNATIONAL AUTODROME pour l'avant- dernière course  de la saison avec mon amie Sumabbé, je ne suis pas du tout concentrée sur ce qui se passe autour de moi; j'ai un sombre pressentiment. Et pour cause, j'ai fait un drôle de rêve que certains qualifieraient de prémonitoire.
-Aïe ? Je crie de douleur : Summabbé vient de me pincer le bras.
-Ça fait une dizaine de minutes que je te parle. Tu as l'air ailleurs, tout va bien ?
Sans lui répondre, je me lève et d'un bond et je me dirige vers la sortie des tribunes.
-Où vas-tu Liv? Regarde, Angel est sur le point de prendre l'avantage sur son adversaire. Scande mon amie.
Malheureusement sa phrase n'obtient pas l'effet voulu. Alors que je prends le trajet pour la sortie, je me fais huer par les autres accros comme moi aux sensations que procurent les courses de formule 1 lorsque je passe devant leurs sièges. Certainement, mon passage les empêche de voir ce pourquoi ils sont là. Malheureusement pour eux, leurs cris ne m'atteignent pas, j'ai plus urgent à faire. Lorsque j'arrive enfin à sortir des tribunes, il se produit une chose inhabituelle dans le paddock : le silence.
Au même moment, le journaliste hurle: Rholalaaaaa! Incroyable, la monoplace de l'octuple champion du monde Angel Jefferson est entrain de faire plusieurs tonneaux. Qu'a-t-il bien pu se passer pour en arriver là ? Il revient pourtant du stand. Hier il affirmait être confiant pour finir leader aujourd'hui.
Après une course sprint à laquelle Jefferson s'était élancé de la deuxième ligne la veille, n'ayant pas pu faire mieux qu'une troisième place lors des qualifications face à son coéquipier le pilote de l'écurie Racing Point, Il déclarait avoir eu un souci avec sa balance de frein dans les deux derniers virages et " j'échoue malheureusement à un dixième de seconde des leaders. Mais je tiens tout de même à féliciter mon coéquipier pour sa pôle position et demain nous essayerons de faire mieux. En gérant bien la dégradation de mes pneus, je pense pouvoir gagner des places et pourquoi pas remporter la course ".
Au vingt-sixième tour du circuit monsieur Jefferson dit à son ingénieur à la radio qu'il perd de la puissance en ligne droite et se fait doubler par son adversaire. Celui-ci répond: << Ton DRS ( drag réduction system: dispositif mobile monté sur l'aileron arrière d'une monoplace lui permettant de réduire la traînée aérodynamique au détriment de l'adhérence au sol) n'est pas ouvert. Tu l'auras au prochain tour et là, tu reprendras ta place à ce moment>>.
Vingt -septième tour de piste Angel Jefferson tente à nouveau un dépassement au même endroit, cette fois avec son DRS ouvert. Il réussit à passer mais celui-ci ne s'est pas fermé, il n'a plus aucune adhérence. La voiture est incontrôlable et va dans tous les sens. Il sort de piste à une vitesse très incontrôlée et termine sa course dans la barrière de sécurité après plusieurs tonneaux.
-Jeff...tu vas bien ? Demande son ingénieur à la radio d'une voix tremblante, pas de réponse, pas de feedback de la part de son pilote, juste un crépitement . Sa monoplace explose soudainement laissant la consternation dans les tribunes. Certains hurlent, d'autres restent sans voix; les parents couvrent les yeux de leurs enfants. Le silence qui règne dans le paddock pourrait faire entendre le bruit d'une aiguille qui tombe.Un commissaire se dirige en courant vers les flammes ardentes avec un extincteur et l'active aussitôt. Mais les flammes semblent bien plus fortes. Le drapeau rouge est agité pendant ce temps, ordonnant ainsi la suspension de la course. La voiture de sécurité entre en scène.
Une quinzaine de minutes plus tard, les flammes sont maîtrisées par les pompiers et le pilote de l'écurie Volkswagen est extrait de la monoplace avant d'être conduit en urgence à l'hôpital. Les nombreux spectateurs venus voir la course restent sur le paddock dans l'attente des informations, aussi insignifiantes soient-elles.
Pendant ce temps, Olivia qui essaie toujours de sortir des tribunes, ne réalise pas ce qui se passe. Elle entend encore comme dans un rêve les hurlements de panique du journaliste dans les hauts parleurs. Sidérée, elle se retourne et la vue des visages apeurés et tristes des spectateurs, puis des membres du staff médical lui font comprendre que quelque chose de grave se passe. Le pilote n'a pas pu être sauvé, entend- elle. L'information se propage telle une traînée de poudre, le pilote vedette de l'écurie Volkswagen n'est plus.Comme dans un état second, elle  sort enfin des gradins . Vite à l'hôpital, se dit-elle. Voulant traverser la route, elle est renversée par une voiture qui venait à vive allure et dont elle n'a pas entendu le vrombissement. Le cri des passants aux alentours furent le dernier son entendu d'elle avant de rendre l'âme à son tour. 
Des tragédies de cet acabit, vous direz certainement qu'elles sortent d'une imagination florissante, seulement, à voir l'accidentée encore étendue sur l'asphalte , la tête presque broyée, je me suis posée la question de savoir à quelle vitesse le chauffard conduisait -il la voiture et pourquoi est-ce qu'il avait pris la fuite. J'avais du mal à mettre en place un cordon de sécurité et lorsque, crépitant de toutes parts les flashs des caméras de téléphone, j'entendis quelqu'un hurler;
-Mais c'est l'épouse du pilote qui vient de faire un accident!
Sortie comme d'un brouillard, j'ai rapidement mis sur pied un cordon de sécurité et appelé du renfort. Incroyable ! Un couple d'accidentés , dans des circonstances différentes et le même jour, cela mérite d'être approfondi. J'attendais des instructions pour ouvrir l'enquête. Je m'appelle Lindsay Oloyisus, enquêtrice de police. Qu'est- ce que j'avais : deux cadavres méconnaissables. L'un brûlé au troisième degré et le second au crâne écrasé. Je restais là, comme figée, sidérée pendant une longue minute.
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