Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Le moment que j'attendais impatiemment, sans vraiment l'attendre. Une minute a suffi pour m'emporter vers ce monde merveilleux. Je n'ose même pas ouvrir les yeux de peur que ce ne soit qu'un rêve. Un rêve qui ne durera pas une éternité mais plutôt une minute. Une dernière. La dernière.
Il me serre la main, très fort. Il me prend de la main et me demande de le suivre, les yeux fermés. J'essaie de lui faire confiance. Les battements de mon cœur résonnent dans mes oreilles, mes yeux commencent à s'habituer à l'obscurité. Je lui fais confiance. Sa main guide mes pensées. Sa main dit des mots que seul mon cœur peut écouter et comprendre. Des mots qui soulagent le cerveau, un cerveau envahi de pensées inquiétantes. Lui et moi, moi et lui, seuls perdus au milieu de nulle part.
A la fin de la route, une lumière. Nous nous précipitons vers elle. Arrivés, nous ne savons plus où jeter le regard. C'est vraiment un univers merveilleux, loin de toute la négativité de la vie. Nous nous allongeons sur le tapis, entourés de gazons, d'arbres et de fleurs colorées. Il me prend dans ses bras fort, très fort, comme si c'était la première, ou la dernière. Il me demande de contempler le ciel, les nuages, d'écouter les oiseaux gazouiller tout en écoutant ce qu'il avait à me dire. Des mots d'amour, des poèmes. Son but est de tomber amoureuse de lui pour une deuxième fois. Mais sa tentative tombe à l'eau. Nous entamons ce beau moment en nous rappelant notre première rencontre, notre premier baiser, notre première aventure, notre première dispute, tous nos premiers. Nous changeons de sujets pour commencer à préparer notre avenir ensemble : tous les détails, qu'ils soient utiles ou pas. Nous imaginons nos enfants avec nous en train de jouer au ballon proche de nous. Nous nous imaginons avec nos familles respectives faire un grand pique-nique célébrant notre dixième anniversaire de mariage. Des imaginations qui suivent d'autres sans jamais vraiment prendre fin. Un avenir qui ne durera pas moins d'une centaine d'années.
De retour à la réalité, nous nous déchaussons pour s'aventurer pieds nus dans la nature. Notre but est de vivre une nouvelle expérience. Pas à pas, nous nous éloignons de notre tapis, voulant se perdre dans les bras de mère nature. Silence, pieds nus, nous deux, nous voici entrés dans un nouveau rêve. L'odeur de la nature nous a permis de nous envoler assez loin pour ne plus entendre de son hors-nature. La bouffée d'air frais nous guidait comme une boussole. Personne ne sait si cette direction était la bonne, si nous allons arriver à la sortie ou être perdus (comme toujours). La tête en l'air, nous n'avons pas le souci de terminer cette aventure. Notre seul objectif est de vivre au mieux le moment présent.
Après plusieurs minutes, l'alarme "Vous êtes perdus !" s'est allumée dans la tête de monsieur. Je continue ma vie, rêveuse, comme si rien ne s'était arrivé. Il panique, je reste calme. Il stresse, je rêve encore plus. Il essaie de trouver la sortie, je m'enfuis, je me perds davantage. Je grimpe sur un arbre, je me positionne et je ferme les yeux. Deux secondes plus tard, une main attrape la mienne brusquement. Je ne l'ai pas senti arrivé ni par sa voix, ni par le son de ses pas. Comme un ange, il arrive ; comme un diable, il m'attrape. On s'envole pour retrouver la terre, la fameuse réalité.
Nous retrouvons notre tapis, nous nous chaussons de nouveau pour aller vers une nouvelle aventure. Nous n'avons pas eu le temps de décider de la nouvelle destination, le tapis nous surprend en la choisissant.
La destination : une petite maison au bord de la plage. De joie, je ne pense même pas à changer mes vêtements, je vais tout de suite à l'eau. Danser au rythme des vagues. Danser pour dégager toute la colère accumulée, comme la mer dégage sa colère grâce aux vagues. Danser pour tout oublier. Il m'est impossible de vivre cette expérience seule. Jamais. Il me suit à l'eau, torse nu. La nature a encore une fois fait son tour de magie. Elle se transforme encore une fois en un rêve. Sans oublier le coucher de soleil qui vient le compléter. Le rêve nous invite à danser entre amoureux. Nous écrivons sur le sable nos noms, notre danse, notre histoire et notre amour. La mer les avalera quelque temps plus tard ne laissant que pour elle tout ce que nous avons partagé avec elle. Elle nous renforce l'idée que tout ce qui est beau doit rester privé. Que pour nous trois, la mer et nous.
Dans la cuisine de la petite maison, nous essayons de préparer notre dîner à la chandelle. Comme si c'est le premier dîner que nous préparons ensemble. Tout a été préparé à deux. Ma main serrée à la sienne. Sa main serrée à la mienne. Deux corps qui deviennent un, pour la première fois. Une sensation que nous n'avons jamais vécue auparavant. Une sensation réfléchie par nos actes, nos mots, notre folie mais surtout par le dîner que nous avons brûlé. Nous avons brûlé, avec nos deux mains gauches, pour la première fois. Tout ce qui a été confectionné par tout l'amour du monde est brûlé.
"Aujourd'hui rien ne nous arrêtera", me chuchote mon amoureux. Rien ne nous arrêtera de rire, d'aimer et de vivre. Et pour me le prouver, il me ferme les yeux encore une fois, me prend fort dans ses bras, me soulève pour m'emporter vers une nouvelle surprise. Il me crie un "je t'aime" qui m'a fait tourner le monde en arrivant à ma nouvelle surprise.
Cet endroit me donne des papillons au ventre. Mais pas qu'au ventre mais aussi sur la tête, les bras, les doigts, les pieds. Partout. Je me suis fait envahir par des papillons de partout. Oubliant les papillons que me causait l'amour auparavant. L'erreur qu'il a faite va lui coûter chère : me surprendre par un jardin de papillons. Ils m'emportent avec eux, le laissant seul sur terre. Il le mérite. Je vole sans savoir voler, vers les nuages, vers un arbre pour se reposer. Je suis entourée par deux magnifiques papillons. Dès le premier regard, le premier toucher, je me sens comme dans un rêve. Les deux papillons se transforment en deux petites filles. Ces filles, mes filles, nos filles. Je les prends dans mes bras, mémorise l'odeur de leur parfum, la forme et la couleur de leurs ailes. J'appelle mon amour pour les voir. Mais trop tard, elles se sont enfuies, transformées de nouveau en papillons. Je lui raconte quand même ce qui s'était passé, sans oublier aucun détail. Je lui raconte à quel point elles étaient belles les papillons, nos filles. Je n'arrive plus à me taire car je n'arrive pas à croire ce qui s'était passé. Il fallait que l'une d'elles me pique pour y croire.
Comme réaction à mon discours, il me dit que nous n'aurons pas que deux filles mais qu'il souhaite au moins une dizaine d'enfants. Il commence à choisir leur nom, filles et garçons. Ceci me rappelle la discussion que nous avons eu il y a peu de temps. Remplie d'émotions, j'ai les larmes aux yeux. Il me reprend dans ses bras, me demande de fermer les yeux et de me confier à lui. Ma tête sur son torse, mes larmes commencent à couler. J'écoute attentivement ses battements de cœur pour oublier ces larmes. La symphonie des battements de nos deux cœurs se synchronise. Nos deux cœurs battent au même rythme, comme si nous n'étions qu'un seul corps, avec un seul cœur.
Le médecin me demande de sortir de la chambre. Il lui fallait essayer de remettre son cœur en marche. Les infirmières me font sortir. Je commence à prendre conscience que ces mondes merveilleux étaient notre dernier rêve ensemble. Je prends conscience que ce rêve n'a duré qu'une seule minute. Sa dernière minute, rêvant. Sa dernière minute avant sa disparition, avant sa mort.
Ça avait duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité.