Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Et pour tout dire, c'était pour la première fois de ma vie que j'avais goûté au plaisir de l'extase. J'étais étonnée par ma réaction et en même temps, alors que se tramait en moi un sentiment de satisfaction à nul autre pareil, j'étais envahie de peur. Je ne voulais pas que cet animal sauvage fasse ce que nous aimions tant faire avec ses semblables qui s'avèrent être quelques fois difficiles à dompter, mais ce charme qui a su m'inciter au désir d'un penchant sordide depuis fort longtemps, avait réussi à prendre le dessus et je succombai d'enthousiasme. Alors, ce n'était plus le temps d'une courtoisie ou de la bienséance à laquelle j'aimais bien prétendre en compagnie d'homme et de femme de salon. C'était l'heure de s'abandonner à l'envie et de m'enlever toute idée de rationalité à travers cet acte que je ne cessais de qualifier d'infâme. Nous étions à l'extrême opposé dans la hiérarchie sociale. Hélas! Mais que dis-je? C'est bien une chose, n'est-ce pas? C'est un bien-meuble et cet objet a le devoir de se plier à la volonté de son maître, à la mienne pour mieux dire. Et je n'avais qu'une envie à assouvir de manière à me faire plonger dans des contrées paradisiaques que seuls quelques bordels de France pourraient bien offrir à une femme de la noblesse telle que moi.
Dès lors, je commençai à lui tendre ce regard qu'était le nôtre, condescendant et dominateur en lui ordonnant de me prendre d'une poigne des plus barbares. Il était d'une timidité exagérée à tel point que je ressentais trembler sa rude main qui essayait de me faire un semblant de caresse. Peut-être qu'il n'avait jamais connu une femme de sa vie, mais c'était le savant de son village répétait ce vieux prêtre qui avait accompagné les marins sur le négrier, Terreur-Noire, venant tout droit du Dahomey. Néanmoins, j'étais beaucoup trop avide pour laisser le diable me bercer d'innombrables tendresses. Mais j'avais la sensation d'une répugnance qui se mouvait à petit feu dans mes entrailles car je m'étais adonnée à la prohibition en m'entrelaçant à l'abîme et à l'aisance de son corps monstrueux. J'ai su, dès cet instant, que l'animal était humain et que ce dernier était un homme beaucoup plus que certains de mes semblables car j'avais enfin connu l'idéal de la luxure par l'évidence d'un aller-retour d'une pénétration des plus approfondies. D'autant plus, que j'avais cru atteindre l'éternité au bout de cet instant ou je n'étais plus une femme mais un ruisseau mielleux. C'était comme si mon âme me quittait. Quoiqu'étonnant, je m'étais mise à murmurer des choses et à jouir d'une voix digne d'une catin de bas étage. Par conséquent, j'avais oublié mes préjugés et cet homme n'était plus esclave d'autant plus qu'il n'était humain. Il est devenu un dieu vivant parmi les mortels.
Navrant qu'est cela, ça n'a duré qu'une minute et c'était peut-être la meilleure de ma vie. L'homme était toujours là, dégoulinant de sueur et d'un regard émerveillé. Alors que je ruminais mon plaisir, je remarquai la porte de la chambre qui s'ouvrit d'une brutalité qui me faisait sursauter. C'était l'œuvre de mon mari. Il me tendit un regard soucieux pendant que sa nervosité commençait à lui faire changer de couleur. Je ne savais quoi faire et d'un geste
inconscient, je me suis mise entre lui et l'esclave au moment même où il avait dégainé son arme.
« Monsieur Leplan, c'est madame qui m'en a fait la demande et je me devais de respecter ses désirs pour ne pas être insolent ». Mais, il ne m'écoute guère et essaye de pointer son arme sur moi. Dans une débandade d'opposition, madame trébucha. Voyant cela, je n'avais pas d'autres choix que de m'enfuir. Alors, je brisai de ma main la fenêtre qui se trouvait derrière moi et j'entendais des coups de feu qui s'étaient accompagnés d'un cri fort de Monsieur Leplan : « ASSASSIN, ASSASSIN. AU VOLEUR, ATTRAPEZ-LE ». Enfin, c'était l'heure du marronnage qui avait sonné et l'instinct me poussa vers la forêt. A travers ce périple, tout en franchissant le champ de canne-à-sucre, je remarquai un regard fort déplaisant de mes frères, comme quoi, j'étais ce diable que ce prêtre aimait bien nous parler. Quelques gardes, des chasseurs accompagnés de leurs chiens étaient à ma poursuite. Je commençais par m'épuiser car j'avais un mal qui me dévorait à l'épaule. Et c'est au moment même ou je ralentissait que j'entendis une voix, semble-t-il qui venait juste en face : « Par ici, par ici ». J'avais oublié que Monsieur Jourdain et ses hommes étaient partis à la recherche de Doukounou qui avait eu l'audace de déguster une canne-à-sucre. Je n'avais pas le temps de savoir ce qui c'était passé, je m'étais fait appeler par madame Leplan. Pourtant, me voilà dans cette situation dont j'aurai aimé faire le commérage. Dans cette tragédie, pris entre deux tempêtes dévorantes, j'étais déjà mort, car le marronnage était puni d'une peine capitale afin de nous en dissuader.
Pendant que j'étais plongé dans mes réflexions, j'entendais le grognement d'un chien. L'animal se trouvait derrière moi et je ne pouvais plus bouger sous peine d'ajouter à ma douleur. Alors, je m'étais arrêté histoire de m'abandonner à mon sort fastidieux. L'espace d'une seconde, se passa une corde à mon cou d'une manière très brutale. L'un des chasseurs avait pris l'initiative de me traîner jusqu'à la plantation.
Arrivés sur les lieux, je ne sentais plus mon corps. Je remarquai notamment l'ensemble de mes frères qui s'étaient réunis autour de la potence en attente de mon exécution. Monsieur Leplan quant à lui, se tenait déjà sur le plancher et sa femme était debout sur la balustrade accompagnée d'une de ses esclaves dénommée Madiba. Alors que j'étais nu, je croquais de mes pas cadencés le silence et je laissais de ma peau noire les marques de mon sang sur cette terre inconnue. Malgré ma douleur, je sentais venir en moi le vent de l'espoir. Ce courant fatidique sans fin, vers l'éternité pour mieux dire et ainsi osé avoir comme récompense : " La liberté ". Néanmoins, elle s'était résumée par ce geste qui mettra fin à la nostalgie de devoir laisser ma terre natale et, par ricochet, m'enlèvera de la servitude de cette souffrance que j'endure depuis quelques mois. Et ce fut le moment où Monsieur Leplan appuya sur le levier histoire d'ouvrir cette trappe et de me laisser atteindre la décadence de ma vie de manière concrète par l'évidence de cette pendaison.
« C'était beaucoup trop pour moi que de voir cet homme se vider de son sang de manière aussi lugubre et irrévérencieuse » Mais encore, il ne méritait pas le surplus du châtiment de castration de la part de mon mari. Alors que son agonie s'estompait, le temps s'assombrissait pour laisser place à une pluie. J'étais comme épatée par cet acte et en même temps, j'étais pris entre ce dilemme d'un souvenir heureux et l'infâme image de la castration de cet homme. J'étais alors dans cette désinvolture de devoir regarder cette partie se détacher du corps. Celui-là même qui fut auparavant l'objet de ma transcendance vers le septième ciel. Je disais alors à Madiba de se rendre dans ma chambre afin de prendre dans mon tiroir un flacon de couleur noir. Peut-être que je pourrai avoir l'envie, l'espace d'un instant d'atteindre l'absolu, afin de voir si l'autre monde était tel qu'était celui-là ou encore si la béatitude pourrait bien durer une minute, une bonne minute, une éternité.