Ma fille. Elle est si belle, avec ses joues rosies par l’effort et ses crolles frisées par la pluie. Ah ma petiote, déjà adolescente, sur le point de devenir adulte à son tour. Elle vient de faire une passe à sa partenaire, comme ça, pouf, comme si elle était née pour ce sport. Un frisson me parcourt l’échine, je referme la tirette de mon manteau jusqu’à mon cou. Ma fille, elle est si jolie, dans cet équipement, même s’il doit faire bien caillant sans bas-collants en dessous de son short, je lui avais pourtant dit de les mettre... C’est bien une Vandenberghe, têtue comme son papa la mule.
Oh et puis, les couleurs de son tee-shirt lui vont tellement bien. Le noir contraste parfaitement avec sa peau claire, le jaune se marie bien avec ses cheveux châtains et le rouge fait ressortir ses lèvres de jeune femme. Les filles de l’autre équipe, elles ont l’air un peu baraki, je dois bien l’avouer... Elles se trainent sur le terrain comme des loques.
Depuis les gradins, j’observe ma Clara qui court sans s’arrêter sur cette pelouse glissante, accompagnée de ses coéquipières presque aussi motivées qu’elle. Rien ne semble les arrêter, pas même le froid et la drache, pas même la boue qui devient de plus en plus de la michepape. Je sais que ses chaussures lui donnent des cloches, mais elle continue, elle veut faire gagner son équipe, son pays. Elle est venue jusqu’ici pour cette unique raison, malgré la période de blocus que lui impose son université. Elle a choisi ses priorités. Oui, il n’existe qu’une seule opportunité de jouer ce match, tandis que ses examens, elle pourra les étudier plus tard. Et moi, il fallait que j’assiste à cet évènement, ma fille en pleine action, concentrée vers un but qui lui correspond, qui lui plait, qui la motive pour avancer dans la vie.
Cette détermination, je pense pouvoir dire qu’elle la tient de sa mère. Oui, j’ai tout fait pour donner à ma Clara une vie digne de ce nom. Après la mort de mon père, j’ai rangé tout son brol et me suis débrouillée avec le peu qu’il m’avait laissé. J’ai travaillé dur pour payer moi-même mon kot et pour réussir mes études de logopède. J’ai fini par l’obtenir, ce diplôme qui paraissait pourtant inatteignable aux yeux de mes proches.
Je vois ma fille qui, aucunement déstabilisée d’avoir perdu la balle, s’élance pour tenter de la récupérer. Je ne comprends pas grand-chose à ce sport, je dois bien l’admettre, mais ça se voit qu’elle a la niaque, elle sait ce dont elle est capable. Le peye à côté de moi hurle pour soutenir l’équipe adverse. Mais va-t-il un jour fermer son grand clapet ? Laissez-moi admirer ma fille tranquille, bon sang !
Ça n’a pas été simple lorsque j’ai perdu mon premier enfant, après seulement six petits mois de vie dans ce monde. Le lâche qui l’avait conçu avec moi n’a fait que participer au choix du prénom. Victor... Je sais pertinemment que je m’en serais sortie comme une reine pour l’élever, malgré la situation bancale dans laquelle je me trouvais en cette période-là. Enfin bon, le sort en a décidé autrement... Privée de cette raison de vivre, j’ai tenté de surmonter ma peine du mieux que j’en étais capable, j’ai vaincu toute cette solitude qui me submergeait.
Pour me prêter au jeu, je tente de dépasser le volume sonore de mon voisin, me retenant de le traiter de couillon au passage.
— Allez les noir-jaune-rouge !
Clara ne m’entend sûrement pas, elle poursuit son chemin, sprintant d’un bout à l’autre du terrain comme une guerrière à l’assaut de l’ennemi.
Ma vie n’a pas toujours été rose mais je me suis reconstruite et j’ai pu, après un temps, tomber amoureuse du père de Clara. David. Avec lui, je me suis battue pour quitter le taudis, trouver un lieu de vie plus décent, payer les dettes et enfin pouvoir accueillir Clara dans un monde confortable. Cette magnifique fille aux yeux pétillants et aux mouvements assurés, c’est la mienne. Elle vit grâce à mon combat quotidien, et je suis fière. Fière d’elle, et je l’avoue, fière de moi.
L’équipe de Clara a perdu. Tandis que ses amies rejoignent le vestiaire, elle s’avance à ma rencontre à la sortie du terrain, son sac de sport à l’épaule. La mine défaite.
— A tantôt, crie-t-elle aux filles avec un signe de la main, se forçant à sourire un petit peu.
Je lui tends l’essuie pour qu’elle se sèche le visage et les cheveux.
— Papa n’est pas venu ? Il t’a sonné ?
— J’ai laissé mon GSM dans la voiture... Mais c’est rien, tu sais bien qu’il a du boulot... Tu connais les horaires de l’Horeca, c’est compliqué...
— Mouais, de toute façon tant mieux, comme ça il aura pas vu comme on s’est faites ramassées ! Septante à dix... Non mais t’as vu ce massacre ? C’est fichu pour le reste du tournoi, il suffit qu’on loupe un seul autre match et on n’ira jamais en finale.
Je pose mes mains sur ses épaules pour la forcer à me regarder dans les yeux :
— Clara, ne fais pas la biesse comme ça, tu vaux mieux que ces bêtises. J’ai suivi tout le match, tu sais. Je suis si fière de toi, à mes yeux tu as tout gagné.
— A tes yeux, mais je m’en fiche de tes yeux, je veux remporter la victoire, moi !
— Perdre, c’est une excellente leçon à retenir. Perdre, c’est aussi un pas vers la victoire. Il faut y passer, c’est comme ça la vie. Ça donne la rage de se battre encore plus fort. Et après, quand on voit tous les obstacles qu’on a traversés, on est encore plus fier de brandir la coupe.
Tout en grimaçant, elle attrape la couque que je lui tends et me laisse pour rejoindre son équipe. Pas sûre de l’avoir convaincue, ce coup-ci, mais elle le comprendra plus tard. Ma fille est une battante dans l’âme. Dans la famille, on se relève toujours, et on finit par remporter la victoire.
Oh et puis, les couleurs de son tee-shirt lui vont tellement bien. Le noir contraste parfaitement avec sa peau claire, le jaune se marie bien avec ses cheveux châtains et le rouge fait ressortir ses lèvres de jeune femme. Les filles de l’autre équipe, elles ont l’air un peu baraki, je dois bien l’avouer... Elles se trainent sur le terrain comme des loques.
Depuis les gradins, j’observe ma Clara qui court sans s’arrêter sur cette pelouse glissante, accompagnée de ses coéquipières presque aussi motivées qu’elle. Rien ne semble les arrêter, pas même le froid et la drache, pas même la boue qui devient de plus en plus de la michepape. Je sais que ses chaussures lui donnent des cloches, mais elle continue, elle veut faire gagner son équipe, son pays. Elle est venue jusqu’ici pour cette unique raison, malgré la période de blocus que lui impose son université. Elle a choisi ses priorités. Oui, il n’existe qu’une seule opportunité de jouer ce match, tandis que ses examens, elle pourra les étudier plus tard. Et moi, il fallait que j’assiste à cet évènement, ma fille en pleine action, concentrée vers un but qui lui correspond, qui lui plait, qui la motive pour avancer dans la vie.
Cette détermination, je pense pouvoir dire qu’elle la tient de sa mère. Oui, j’ai tout fait pour donner à ma Clara une vie digne de ce nom. Après la mort de mon père, j’ai rangé tout son brol et me suis débrouillée avec le peu qu’il m’avait laissé. J’ai travaillé dur pour payer moi-même mon kot et pour réussir mes études de logopède. J’ai fini par l’obtenir, ce diplôme qui paraissait pourtant inatteignable aux yeux de mes proches.
Je vois ma fille qui, aucunement déstabilisée d’avoir perdu la balle, s’élance pour tenter de la récupérer. Je ne comprends pas grand-chose à ce sport, je dois bien l’admettre, mais ça se voit qu’elle a la niaque, elle sait ce dont elle est capable. Le peye à côté de moi hurle pour soutenir l’équipe adverse. Mais va-t-il un jour fermer son grand clapet ? Laissez-moi admirer ma fille tranquille, bon sang !
Ça n’a pas été simple lorsque j’ai perdu mon premier enfant, après seulement six petits mois de vie dans ce monde. Le lâche qui l’avait conçu avec moi n’a fait que participer au choix du prénom. Victor... Je sais pertinemment que je m’en serais sortie comme une reine pour l’élever, malgré la situation bancale dans laquelle je me trouvais en cette période-là. Enfin bon, le sort en a décidé autrement... Privée de cette raison de vivre, j’ai tenté de surmonter ma peine du mieux que j’en étais capable, j’ai vaincu toute cette solitude qui me submergeait.
Pour me prêter au jeu, je tente de dépasser le volume sonore de mon voisin, me retenant de le traiter de couillon au passage.
— Allez les noir-jaune-rouge !
Clara ne m’entend sûrement pas, elle poursuit son chemin, sprintant d’un bout à l’autre du terrain comme une guerrière à l’assaut de l’ennemi.
Ma vie n’a pas toujours été rose mais je me suis reconstruite et j’ai pu, après un temps, tomber amoureuse du père de Clara. David. Avec lui, je me suis battue pour quitter le taudis, trouver un lieu de vie plus décent, payer les dettes et enfin pouvoir accueillir Clara dans un monde confortable. Cette magnifique fille aux yeux pétillants et aux mouvements assurés, c’est la mienne. Elle vit grâce à mon combat quotidien, et je suis fière. Fière d’elle, et je l’avoue, fière de moi.
L’équipe de Clara a perdu. Tandis que ses amies rejoignent le vestiaire, elle s’avance à ma rencontre à la sortie du terrain, son sac de sport à l’épaule. La mine défaite.
— A tantôt, crie-t-elle aux filles avec un signe de la main, se forçant à sourire un petit peu.
Je lui tends l’essuie pour qu’elle se sèche le visage et les cheveux.
— Papa n’est pas venu ? Il t’a sonné ?
— J’ai laissé mon GSM dans la voiture... Mais c’est rien, tu sais bien qu’il a du boulot... Tu connais les horaires de l’Horeca, c’est compliqué...
— Mouais, de toute façon tant mieux, comme ça il aura pas vu comme on s’est faites ramassées ! Septante à dix... Non mais t’as vu ce massacre ? C’est fichu pour le reste du tournoi, il suffit qu’on loupe un seul autre match et on n’ira jamais en finale.
Je pose mes mains sur ses épaules pour la forcer à me regarder dans les yeux :
— Clara, ne fais pas la biesse comme ça, tu vaux mieux que ces bêtises. J’ai suivi tout le match, tu sais. Je suis si fière de toi, à mes yeux tu as tout gagné.
— A tes yeux, mais je m’en fiche de tes yeux, je veux remporter la victoire, moi !
— Perdre, c’est une excellente leçon à retenir. Perdre, c’est aussi un pas vers la victoire. Il faut y passer, c’est comme ça la vie. Ça donne la rage de se battre encore plus fort. Et après, quand on voit tous les obstacles qu’on a traversés, on est encore plus fier de brandir la coupe.
Tout en grimaçant, elle attrape la couque que je lui tends et me laisse pour rejoindre son équipe. Pas sûre de l’avoir convaincue, ce coup-ci, mais elle le comprendra plus tard. Ma fille est une battante dans l’âme. Dans la famille, on se relève toujours, et on finit par remporter la victoire.