Un nouveau souffle

Au cœur du dix-septième arrondissement, Anna et ses filles habitent un appartement au deuxième étage d'une résidence tranquille. Depuis trois mois, finie la vie au grand air au sein du haras normand. Toutes trois vivent désormais dans le tourbillon de la capitale. Scolarisées à deux pas de leur immeuble, les adolescentes se sont vite fondues dans la masse au sein de leurs classes respectives. 
 
Anna a besoin de rebâtir une vie simple et paisible. Elle cultive de bonnes relations avec ses voisins, notamment Christelle. Les deux femmes partagent souvent un thé le week-end, l'occasion d'échanger quelques anecdotes de mamans.
 
Son travail de graphiste lui plait car il lui permet de cultiver ses penchants artistiques. Quant à son attrait pour le jardinage, elle l'a mis de côté depuis plusieurs mois. « Depuis trop longtemps » pense t'elle alors qu'elle se dirige vers la librairie. Elle erre un moment au rayon des romans puis se dirige tout naturellement vers le rayon bien-être. L'art du bonsaï et de l'Ikebana ne retiennent pas particulièrement son attention. En revanche ses mains cheminent vers l'art de la lombriculture. Au fil des pages elle se sent en phase avec ce concept, à tel point qu'elle le concrétise sur le champ.
 
Anna installe chez elle le premier niveau du lombricomposteur. Puis elle mélange de petits morceaux de cartons sans encre avec du terreau pour créer un milieu convenant aux vers. « J'irai demander à mon frère des lombrics parmi les espèces qui conviennent. Il doit y avoir ça dans le fumier de ses vaches » prévoie t'elle.
 
De retour à la maison, les adolescentes passent près du vermi-composteur sans y porter trop d'attention. C'est au moment du dîner qu'Estelle questionne sa mère qui la rassure: « Mélanger et arroser les déchets régulièrement évitera les mauvaises odeurs. En revanche nous pourrons sentir une petite odeur d'humus qui nous rappellera les sous-bois de Lyons ». « Bah moi je trouve ça chelou de dormir avec des vers à côté de moi » lâche Léonie. « Ma puce le composteur est hermétique, c'est fait pour un appartement. En plus je le recouvrirai d'un voile en chanvre pour éviter que les moucherons ne s'y plaisent » répond Anne.
Les filles, dubitatives, regagnent leur chambre alors que leur mère se plonge dans un blog dédié au compostage. Elle est tout excitée à s'engager pour amoindrir le réchauffement climatique en réduisant la taille de ses poubelles. « OK, alors les épluchures d'ail et d'oignon ne sont pas à composter car leur odeur dérange les lombrics. Et les restes qui contiennent du gras ne conviennent pas car ils sont trop longs à désagréger... A part ça on peut y mettre presque tout! Il faudra que je guide les filles peu à peu » se dit elle.
Au fil de ses pensées Anna mesure à quel point le déménagement a bousculé leurs anciennes habitudes. « Ce n'est pas une raison pour se laisser aller à l'inactivité » se convainc Anna en allant se coucher. Elle rejoint les bras de Morphée avec la conviction de s'engager pour une vie plus vertueuse. « On fait déjà le tri sélectif des déchets, c'est la moindre des choses. Mais même en ville on peut trouver des façons d'agir moins polluantes » pense t'elle.  
 
Le lendemain matin, alors qu'elle grille ses tartines tout en faisant bouillir de l'eau à 90 degrés pour son thé noir, une résolution lui saute aux yeux: installer des multiprises avec interrupteur "coupe-veille" pour être à zéro consommation quand on n'utilise pas les appareils. « Pour la télé je vais y aller en doucement » sourie Anna. « On pourrait décider ensemble de couper la wifi la nuit et les jours où nous sommes toutes les trois sorties » ajoute t'elle pour elle-même. Elle se réjouit de se sentir à nouveau éco-responsable.
Après le petit déjeuner des filles, Anna profite d'un moment de détente au salon pour partager avec elles ses pensées de la veille : Elle veut s'endormir le soir avec la sérénité de petits gestes accomplis au service de tous. « Les petites rivières font de grands fleuves disait Mamicha. Comme je la comprends ! » s'émeut elle. 
Léonie prend la parole après quelques instants : « T'as raison Mam on peut plus fermer les yeux comme s'il n'y avait pas urgence à réagir. Notre prof de SVT il est grave inquiet. Alors moi bah j'ai réfléchi... je veux bien porter des fringues de seconde main, en bon état hein pas question de faire crado non plus ! Justine m'a parlé d'une recyclerie. Je vais lui demander de m'accompagner là-bas. Et si de temps en temps je retourne en boutique bah c'est pas la mort non plus. En tous cas acheter en ligne ça craint c'est sûr, ça fait des frais de ouf et du carbone, j'ai entendu ça l'autre jour. Alors je veux essayer de faire sans les sites. Tu m'aideras si je craque trop hein Mamounette? » ajoute t'elle en se lovant dans les bras de sa maman. Et hop un bisou-câlin !
Estelle se montre peu réactive à tout ça. « Lui laisser le temps de s'approprier les choses » se remémore Anna qui connait sa fille par cœur.
 
Quelques jours ont passé, les lombrics sont arrivés en provenance de la campagne normande. Anna prend soin quotidiennement des nouveaux occupants du composteur d'appartement. Elle les chouchoute pour se donner les moyens de réussir son challenge. Son enthousiasme semble avoir convaincu sa voisine d'investir elle aussi dans un bac d'appartement. « On va s'entraider, partager nos astuces et on va avoir du beau terreau avant le printemps » se félicite Anna. « Ma collègue m'a parlé de plantes dépolluantes » dit Christelle. Lisant ses notes dans son téléphone la jeune femme poursuit : « Le ficus et le dracaena, entre autres, aident à purifier l'air. Mais mon préféré c'est le palmier Areca. Je vais le demander au père Noël, comme ça je pourrai lui apporter un bon engrais avec mon compost... Du producteur au consommateur, j'adore cette idée! » sourie t'elle. Anna se sent fière de participer à cet élan commun. Elle perpétue le bon sens de grand-mère : même les plus petites rivières finissent toujours en fleuves et c'est bon de sentir couler l'enthousiasme dans sa vie! 
Effectivement, le bouillonnement qu'éprouve Anna dans sa conscience citoyenne lui donne de l'énergie qui se ressent à la maison. Plus extravertie, plus locace, son défi vert la porte à communiquer davantage avec ses filles. 
 
Pour Noël trois générations se retrouvent. Déjà plus d'un an que Thierry est décédé accidentellement, pourtant chacun a le cœur lourd à l'approche des fêtes. Ce ne sera plus jamais pareil...Au cours des balades près de Lyons la Forêt les deux sœurs ramassent branchages et pommes de pin pour décorer leur « sapin écolo » comme elles disent en souriant.
Pour Martine, préparer les repas à base d'aliments simples, issus du jardin, est un privilège : « Pour se faire du bien dans l'assiette et aussi à la planète » . Anna se sent ragaillardie : dans sa famille toutes les générations se sentent concernées par l'enjeu environnemental ! « Ensemble on va plus loin » chuchote t'elle à l'oreille de sa belle-maman. 
 
Au pied du « sapin écolo » Anna a la bonne surprise d'ouvrir une boite en carton contenant un assortiment de produits solides pour le corps. « Tu te feras plaisir sans faire trop de déchets, ce sera double plaisir pour toi Mamounette » se réjouit Estelle. « Même ma grande fille adhère à mes choix de vie. Merci père Noël pour ce cadeau » pense Anna, réjouie par le doux parfum d'argan des cosmétiques. 
 
En ce premier Janvier les discussions vont bon train. Tout en préparant le café, Anna tire un bilan positif de sa nouvelle vie citadine. Elle sent les liens avec ses filles se renforcer autour d'un but commun. Le moment semble propice pour proposer à Estelle et Léonie un challenge familial.
Anna se lance et propose de concourir pour le "défi famille zéro déchets" initié par le tiers-lieu du quartier! « Au rythme de chacune bien entendu  : doucement mais sûrement » se réjouit Anna. Les adolescentes miment l'évanouissement mais leur sourire complice rassure Anna : « L'avenir est entre nos mains. Nous formons une belle équipe ».
4