Un nième? Non merci

Maître ? Vous plaisantez ?
Vous pouvez me cogner comme l'on fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître.
Je ne baisserai pas les yeux ni ne vous serai soumise.
Sans perdre foi, sans me corrompre même un instant à gonfler votre égo.

Vous savez, vous me faites presque penser à cet homme.
Trop fier et bien trop orgueilleux pour admettre l'évidence de sa condition.
Ce gringalet à qui sa couleur et le fouet donnaient la prétention de s'ériger face à un colosse à la peau ébène. L'assener de coups, à lui fendre la chaire, à lui faire ruisseler un rouge sang de ses énormes plaies béantes.
Un sang pas plus rouge que ce qu'il perdait lui-même à chaque fois que quelque chose l'égratignait.
Soumettant par l'horreur et par la douleur, il se complaisait pourtant dans un ‘'maître''.
Et son orgueil le poussait à s'y maintenir.
Durant plus de quatre fois cents interminables années. Il a privé des femmes et des hommes de toute dignité.
Il a soumis par la force, scellé le destin de millions de personnes avant même que leurs vies ne commencent. Il s'est érigé en maître, puis a imposé ses enfants, qui ont fait de même avec les leurs.
Jusqu'à ce que déshumaniser des personnes devienne une norme.
De même que tous les maîtres il les a dépossédé de leur identité.
Des années à se demander comment un être aussi frêle et ordinaire pouvait se convaincre que des personnes lui appartenaient. Qu'il pouvait en disposer selon son bon vouloir. Que toute leur descendance lui appartiendrait.

Et ces millions d'humains forts par nature qu'on a réussi à convaincre d'être les plus faibles.
Qu'on a contraint à mener une vie entière sans connaître la liberté, à qui on a fait croire que la liberté ne viendrait que dans la mort. Qu'il était normal qu'ils soient évalués comme bêtes de somme. Des familles séparées pour qui les chances de se revoir étaient inexistantes.

Comme tous ces ‘'hommes'' vous pouvez me battre, je ne vous appellerai jamais ‘'maître'', pas plus que je ne courberai échine devant vous.
Pourtant je suis humble vous savez !
Vous n'aurez pas à m'appeler maître, je suis une femme sans histoire et surtout sans problème.

Mais dites-moi, tant que nous apprenons à nous connaître, de quoi vous estimez vous régent pour estimer mériter pareil titre ?
En ce qui me concerne que le ciel m'épargne une telle prétention.
Je ne me permettrai sûrement pas d'offenser les autres. Mais impossible que je vive dans la servitude, surtout pas à ce stade, j'ai eu une vie assez merdique comme ça.

Voyez vous ‘'maître'' ne m'a jamais inspiré confiance.
Petite j'en avais un de maître vous savez. Il n'était pas censé être ce bourreau des romans d'esclavage.
Mais en nous il y avait une telle contrainte à l'encaissement et au ''ne jamais se plaindre''.
Que lorsqu'avec un large sourire il tapait de toutes ses forces sur le bout des doigts joints, de l'enfant de 6ans que j'étais. Muni d'un bâton, d'une règle en bois, en fer ou avec tout objet rectiligne et dur qui lui tombait sous la main.
Je levais des yeux larmoyants et laissais sortir entre sanglot et murmure : « pardon maître ».
Était ce à moi d'être pardonnée ou absoute ? Sûrement pas !
Donc ne vous étonnez pas que je ne souhaite pas y revenir, il suffit d'un minimum de bon sens pour comprendre.

À cette même époque j'ai été dans les arts vous savez.
Mais avez-vous une idée de ce qu'on y fait à une gamine chétive et timide ?
Être battue par les plus grands de la salle, appeler à l'indulgence du maître et se heurter à l'indifférence et à un regard réprobateur.
Croyez moi je ne vous appellerai pas maître. Car quoi que vous fassiez vous ne torturerez mon corps ni n'abimerez mon âme plus qu'aucun d'entre eux.

En bêtes de somme ou en poupée à déguiser. Les maîtres traitent leurs animaux exactement comme ils ne souhaiteraient jamais l'être.

Tiens ! On tient quelque chose là.
Les maîtres ont traités leurs esclaves comme ils n'auraient naturellement jamais souhaité l'être.
Les maîtres au barreau ne souhaiteraient jamais être du côté où se trouvent leurs clients.
Et croyez-moi mon maître à la fac n'aurait jamais souhaité être moi ni qu'on le traite comme moi d'ailleurs.
Lui, un éminent professeur d'université et grand maître de conférence.

Que ça vous complaît, dans votre orgueil de nous regarder de haut et de vous convaincre d'avoir réussi vos vies.
Comme tous les autres il ne m'a jamais estimé comme un être ayant besoin d'être entendu, vu ou ayant besoin de repos.
D'ailleurs quand j'y pense il m'a relégué tellement de ses tâches que j'étais plus maître que lui.

Alors lorsque j'ai intégré les corps habillés avec comme unique but d'un jour porter un fourreau bleu aux décorations or. J'ai été déçue de constater que l'herbe n'était pas plus verte là bas
J'y avais aussi un maître. Pas besoin que vous soyez un génie pour que vous vous rendiez compte qu'il n'a pas été tendre alors COGNEZ-MOI !
Vous ne serez pas le premier à l'exiger tout en me faisant vivre un enfer.

Vous savez ce qu'il y a de plus drôle à tous cela ?
Vous restez tous persuadés que ce mot vous octroi une place au dessus de nous alors vous n'hésitez pas à nous le marteler à chaque occasion.

Ça vous conforte ?
Ça renforce vraiment vos idées selon lesquelles nous sommes à jamais vos soumis ?

Alors vous croyez que je ferai encore une fois cette énorme erreur ? Que je porterai ce collier et vous laisserais me tenir en laisse ? Que vous crierez et que je tremblerais de tout mon corps priant, quémandant votre clémence ?

Si c'est vraiment le cas finissons-en car des ''maîtres'' j'en ai trop dis.
Et cette fois ci, je passe mon tour.