Un monde en folie

Mon frère Hocquet et moi comptons parmi les plus grands sportifs de salon que la télévision a connus devant elle. Nous ne manquons jamais un match de foot, un grand chelem de tennis ni les grands prix cyclistes et de Formule 1. Demeurer à la maison constitue notre participation à la lutte aux changements climatiques. Le seul sport que je pratique se résume à prendre le clavier et à aligner des lettres qui forment des mots se terminant en phrases souvent sans logique. Mais le monde est illogique. Mon frère sait écrire mais il n'a pas appris encore à lire. Je peux donc décrire ses défauts sans qu'il le sache. Je me nomme Jenquet ce qui ne vous donne aucune indication sur moi vu que je suis inconnu. C'est aussi logique que le soldat inconnu dont on ne connaît pas le nom. 
Ce matin, j'entrouvre la porte pour humer l'air pollué de mon quartier envahi par les usines chimiques qui se destinent à l'électrification des transports. On veut sauver la planète du pétrole en la sacrifiant au lithium et au nickel. Pourtant la Terre s'est développée sans les humains, a connu plusieurs glaciations et réchauffements avant même que la Bible nous apprenne qu'un dieu nous a créés en six jours sans nous donner un échéancier pour qu'on la fasse disparaître.
Nous sommes en pleine saison du printemps alors que la neige est revenue pour une dernière visite non sollicitée. Au même moment, j'implore mentalement ma muse de m'envoyer par ondes imaginaires de l'intuition et des idées de textes inspirants afin de soulager ma transpiration. On sonne à ma porte. Je pensais bien qu'on me livrait des sujets de textes. Nenni ! Mon voisin m'offre du sirop d'érable qu'il a extrait de mes propres érables. Ayant confiance à ma muse, je décide alors de laisser ma porte ouverte aux pensées suggestives venant de l'actualité. Je ramasserai le tout pour en faire une ode au printemps. Je sais : plusieurs lectrices trouveront cette idée farfelue et risible. Je leur en donne la permission. Si elles décident de me traiter de nono, je leur en serai gré en autant qu'elles y apportent 56 nuances de gré. Je suis nono mais pas innocent du moins, selon mon frère.
Et voilà ! Le mot est lâché. Innocent. Pourtant je le suis malgré moi. Cela remonte à mon baptême. En me lavant le front avec de l'eau on m'a libéré du péché originel. Il faut le faire. J'avais à peine quelques minutes de vie et on devait déjà effacer un péché que je n'avais aucun souvenir d'avoir commis. Le Larousse se permet même de préciser que je suis innocent du fait de n'être pas souillé par le péché ou de ne pas penser à mal. J'ai rapidement perdu mon innocence. Mais je sais comment me pardonner. Si quelques gouttes d'eau, si bénites furent-elles ont suffi pour effacer mon premier péché, à tous les matins je prends une bonne douche pour laver mes péchés de la veille et ceux auxquels ma nuit a permis de rêver. Mais quand le petit Robert se permet de décrire l'innocence comme une inexpérience en matière sexuelle, je dois répliquer que je l'ai perdue même si je me sens de moins en moins coupable. J'applaudis cette innocence à deux mains, ce qui est normal vu la difficulté de le faire avec une seule main.
Ce matin, je n'ose taire le fait qu'on célèbre le Jour de la Terre. Nos gouvernements ciblent l'an 2030 pour atteindre leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre. On vise 40%. À mon époque, il fallait avoir au moins 60% pour réussir. Les temps changent. Je vous en reparlerai à cette date-là. Si je l'oublie, prière de me le rappeler. 
Je vais faire ma part. Je viens de décider de diminuer ma consommation de féculents afin de réduire mes émissions de gaz. À chaque occasion, cela m'oblige à me serrer les fesses pour en réduire les effets. D'où l'expression : gaz à effet de serre.
Je me croyais vacciné contre la bêtise humaine. L'actualité de ce samedi m'ouvre la porte toute grande pour écrire un mot sur les maux de l'humanité. 
Chez moi, le maire nous oblige à ajouter un bac brun pour y enfouir nos déchets putréfiables. Je lui en suis gré vu que je ne putréfie rien. Je suis obligé d'aller emprunter des déchets de table à mes voisins pour faire rentabiliser ce bac brun. J'ai déjà assez de troubles avec mon bac vert qui est pour les ordures (sauf le Père Noël) et le bleu qui est pour les verts.
Ce matin, en regardant le thermomètre extérieur, j'ai su que mon golf était sur pause. Il fait trop froid. Je voulais mettre un débardeur pour me réchauffer. Impossible, on m'annonce que les débardeurs sont en grève. C'est OK puisque ce ne peut être qu'au quai qu'ils manifestent. La grève leur étant interdite à cause d'une marée noire. Mon téléphone filaire m'avertit que quelqu'un cherche à me rejoindre. Clara d'une maison de voyance. Je lui raccroche au nez... ou plutôt à l'oreille. Re-dring. Re-accroche.
Je viens de lire ce texte à Hocquet. Il n'y comprend rien. Je suis d'accord avec lui. Il n'y a rien à comprendre de l'humanité. Le climat change mais pas les hommes. Et si la fin du monde permettait la survie de la planète ! Un pensez-y bien.
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