C’était à la fois une trêve et une bataille. Les différentes Familles, d’habitude en perpétuel conflit de territoire, avaient mis leurs différents de coté le temps d’une partie. C’était la tradition. La matriarche de chaque Famille avait endossé un costume large et coloré affichant ses armes, s’était munie d’une Carque, cette fameuse perche en bois qui donne son nom à ce sport, et se tenait sur le terrain. Ensembles mais séparées de la distance d’une Carque, elles formaient un cercle. Elles étaient une trentaine.
Les joueuses attendaient, se scrutant les unes les autres, concentrées uniquement sur leur stratégie et leurs prochains mouvements. Et nous, nous avions tous les yeux rivés sur elles. Tout le monde attendait la balle, avec un silence et un respect presque sacré. Le temps semblait comme arrêté. Le vent semblait être un phénomène depuis longtemps disparu, le ciel tenait suspendus quelques nuages éparses dans une immobilité parfaite et le soleil appuyait avec force ses rayons sur nos chairs suantes.
La cavité dans laquelle se déroulait l’évènement était pleine à craquer des membres des différentes Familles, qui soutenaient leurs cheffes, mais aussi de vagabonds et de voyageurs comme moi, fanatiques de ce sport spectaculaire et violent. Le Carquateclt était le seul sport que nous avions et, dieux, quel sport !
Quelque part entre un jeu, une chasse et un art martial, le but était de toucher l’une des cibles suspendues dans l’arène avec une petite balle dure, qu’on frappait à l’aide de la Carque. Pour y parvenir, tous les coups étaient permis car la perche servait autant à frapper la balle que ses adversaires. Chaque joueuse jouait pour son propre camp mais de courtes alliances pouvaient se faire (et se défaire) pendant la partie...
Le rebond de la petite balle noire, lancée dans l’arène par l’arbitre Béhitien, fut suivit du chaos des perches et des chairs qui s’entrechoquaient. Déjà, les tissus se déchiraient. Déjà, les larmes et le sang coulaient. Aucun point n’avait encore été marqué, et pourtant on traînait une joueuse hors du terrain. C’était la vieille Iluhe, on la reconnaissait au débris de tunique bleue qui glissait dans la poussière derrière elle. Sa jambe était pliée dans un angle anormal et ses yeux exorbités fixaient le vide devant elle d’une manière extatique. Les jeunes filles qui la transportait dans les tribunes demandaient de l’eau mais les spectateurs ne les entendaient pas, ils chantaient et hurlaient tout ce qui pouvait motiver leur favorite.
La mienne était la sulfureuse Carlotta, de la Famille du ruisseau. Ses couleurs étaient le orange et le bleu clair, avec des motifs qui circulaient sur sa tunique comme un enchevêtrement d’algues. Ses longs cheveux noirs de jais fouettaient l’air comme des serpents alors qu’elle s’emparait de la petite balle brillante que tout le monde cherchait des yeux.
Je ne pus m’en réjouir longtemps, néanmoins : elle la perdit presque aussitôt, trébuchant sur la perche d’une matriarche blonde au costume rouge à motifs en écailles de poisson. « Animène, de la Famille du tronc, m’indiqua mon voisin, une vraie sauvage... sa stratégie est de briser les os de ses adversaires ! ».
La foule suivait la progression d’Animène sur le terrain, à présent. Cette femme était une montagne, elle dépassait la plupart de ses adversaires et les renversait comme des quilles. La pauvre Carlotta, tentant de gêner son tir vers l’une des cibles, fut violemment projetée au sol par un coup de crosse. Elle roula sur plusieurs mètres et s’arrêta seulement lorsque son dos percuta la barrière du gradin. Le public lâcha de concert une exclamation empathique.
Carlotta se releva avec difficulté, ses yeux brillaient d’une inquiétante lueur furieuse. Tout le monde savait qu’il y avait une forte rivalité entre la Famille du ruisseau et la Famille du tronc sur le terrain de Carquateclt mais aussi en dehors du jeu. Animène dirigeait sa Famille d’une main de fer et son terrain de chasse commençait à empiéter sérieusement sur celui de Carlotta et des siens. Il ne s’agissait pas que d’un jeu pour ces deux là, il était aussi question d’honneur, de revanche !
Un coup d’œil vers les supporters oranges suffit à leur matriarche pour retrouver son courage. Avec une série de gestes félins, la belle et terrible joueuse aux cheveux de serpents se propulsa en l’air à la manière d’une championne de saut à la perche et dévia la balle de sa rivale in extremis : à la place de faire sonner la cymbale de cuivre faisant office de cible, elle vint rebondir contre la paroi de la fosse avec un son mat. Le public était fou.
Le peloton se dirigea vite vers une autre cible, les joueuses prenants et perdants la balle tour à tour, mais le duel entre les deux championnes n’était pas terminé. Elle étaient restées de l’autre coté de la fosse, face à face. Elles savaient l’une l’autre qu’elles ne marqueraient aucun point tant que leur rivale était encore sur le terrain.
L’air était devenu presque solide entre les deux femmes et on pouvait voir brûler une étincelle guerrière dans leurs yeux. À ce moment, l’attention des spectateurs était divisée, la plupart des yeux suivaient la balle et ses poursuivantes mais une petite partie d’entre eux étaient rivés sur l’affrontement discret entre David et Goliath à l’opposé du terrain.
Carlotta, à l’évidence, misait sur son agilité plutôt que sa force contre cette adversaire colossale. Le temps d’un battement de cil, elle glissa sous les jambes d’Animène, sauta et frappa sa nuque du revers de sa Carque. La joueuse rouge ne broncha pas. D’un geste vif, elle se retourna et empoigna son adversaire par le col. L’instant d’après, ma favorite roulait sur le sol.
La matriarche de la Famille du tronc, s’avançant vers sa rivale blessée, avait l’air d’une géante s’apprêtant à écraser une brindille sur son chemin. Je ne pouvait détourner les yeux de ce spectacle. De l’autre coté du terrain, le son d’un gong, suivit des acclamations du public retentissaient mais je ne les entendais pas. Mon esprit était avec Carlotta, encaissant un coup de pied dans les côtes et roulant encore sur le sol. Elle n’était plus qu’on poupée de chiffon qu’on ballotte dans la poussière.
C’est quand sa terrible adversaire appuya sa Carque contre son cou pour l’achever comme un animal que le souffle du cor marquant la fin de la partie retentit. Quelqu’un avait marqué les sept points réglementaires pour remporter le match et le dangereux duel des deux femmes n’avait plus lieu d’être. Animène écarta son arme et repartit vers les siens, conquérante. La belle Carlotta, malgré son passage à tabac, restait fière et se releva d’elle-même. Elle voulait rassurer ses sœurs oranges quand à la ténacité de leur cheffe.
Je me rassit dans les gradins, encore galvanisé par ce que je venait de voir et me mis au courant des actions qui eurent lieu de l’autre coté du terrain auprès de mes voisins exaltés par le match.
Quel sport !
Les joueuses attendaient, se scrutant les unes les autres, concentrées uniquement sur leur stratégie et leurs prochains mouvements. Et nous, nous avions tous les yeux rivés sur elles. Tout le monde attendait la balle, avec un silence et un respect presque sacré. Le temps semblait comme arrêté. Le vent semblait être un phénomène depuis longtemps disparu, le ciel tenait suspendus quelques nuages éparses dans une immobilité parfaite et le soleil appuyait avec force ses rayons sur nos chairs suantes.
La cavité dans laquelle se déroulait l’évènement était pleine à craquer des membres des différentes Familles, qui soutenaient leurs cheffes, mais aussi de vagabonds et de voyageurs comme moi, fanatiques de ce sport spectaculaire et violent. Le Carquateclt était le seul sport que nous avions et, dieux, quel sport !
Quelque part entre un jeu, une chasse et un art martial, le but était de toucher l’une des cibles suspendues dans l’arène avec une petite balle dure, qu’on frappait à l’aide de la Carque. Pour y parvenir, tous les coups étaient permis car la perche servait autant à frapper la balle que ses adversaires. Chaque joueuse jouait pour son propre camp mais de courtes alliances pouvaient se faire (et se défaire) pendant la partie...
Le rebond de la petite balle noire, lancée dans l’arène par l’arbitre Béhitien, fut suivit du chaos des perches et des chairs qui s’entrechoquaient. Déjà, les tissus se déchiraient. Déjà, les larmes et le sang coulaient. Aucun point n’avait encore été marqué, et pourtant on traînait une joueuse hors du terrain. C’était la vieille Iluhe, on la reconnaissait au débris de tunique bleue qui glissait dans la poussière derrière elle. Sa jambe était pliée dans un angle anormal et ses yeux exorbités fixaient le vide devant elle d’une manière extatique. Les jeunes filles qui la transportait dans les tribunes demandaient de l’eau mais les spectateurs ne les entendaient pas, ils chantaient et hurlaient tout ce qui pouvait motiver leur favorite.
La mienne était la sulfureuse Carlotta, de la Famille du ruisseau. Ses couleurs étaient le orange et le bleu clair, avec des motifs qui circulaient sur sa tunique comme un enchevêtrement d’algues. Ses longs cheveux noirs de jais fouettaient l’air comme des serpents alors qu’elle s’emparait de la petite balle brillante que tout le monde cherchait des yeux.
Je ne pus m’en réjouir longtemps, néanmoins : elle la perdit presque aussitôt, trébuchant sur la perche d’une matriarche blonde au costume rouge à motifs en écailles de poisson. « Animène, de la Famille du tronc, m’indiqua mon voisin, une vraie sauvage... sa stratégie est de briser les os de ses adversaires ! ».
La foule suivait la progression d’Animène sur le terrain, à présent. Cette femme était une montagne, elle dépassait la plupart de ses adversaires et les renversait comme des quilles. La pauvre Carlotta, tentant de gêner son tir vers l’une des cibles, fut violemment projetée au sol par un coup de crosse. Elle roula sur plusieurs mètres et s’arrêta seulement lorsque son dos percuta la barrière du gradin. Le public lâcha de concert une exclamation empathique.
Carlotta se releva avec difficulté, ses yeux brillaient d’une inquiétante lueur furieuse. Tout le monde savait qu’il y avait une forte rivalité entre la Famille du ruisseau et la Famille du tronc sur le terrain de Carquateclt mais aussi en dehors du jeu. Animène dirigeait sa Famille d’une main de fer et son terrain de chasse commençait à empiéter sérieusement sur celui de Carlotta et des siens. Il ne s’agissait pas que d’un jeu pour ces deux là, il était aussi question d’honneur, de revanche !
Un coup d’œil vers les supporters oranges suffit à leur matriarche pour retrouver son courage. Avec une série de gestes félins, la belle et terrible joueuse aux cheveux de serpents se propulsa en l’air à la manière d’une championne de saut à la perche et dévia la balle de sa rivale in extremis : à la place de faire sonner la cymbale de cuivre faisant office de cible, elle vint rebondir contre la paroi de la fosse avec un son mat. Le public était fou.
Le peloton se dirigea vite vers une autre cible, les joueuses prenants et perdants la balle tour à tour, mais le duel entre les deux championnes n’était pas terminé. Elle étaient restées de l’autre coté de la fosse, face à face. Elles savaient l’une l’autre qu’elles ne marqueraient aucun point tant que leur rivale était encore sur le terrain.
L’air était devenu presque solide entre les deux femmes et on pouvait voir brûler une étincelle guerrière dans leurs yeux. À ce moment, l’attention des spectateurs était divisée, la plupart des yeux suivaient la balle et ses poursuivantes mais une petite partie d’entre eux étaient rivés sur l’affrontement discret entre David et Goliath à l’opposé du terrain.
Carlotta, à l’évidence, misait sur son agilité plutôt que sa force contre cette adversaire colossale. Le temps d’un battement de cil, elle glissa sous les jambes d’Animène, sauta et frappa sa nuque du revers de sa Carque. La joueuse rouge ne broncha pas. D’un geste vif, elle se retourna et empoigna son adversaire par le col. L’instant d’après, ma favorite roulait sur le sol.
La matriarche de la Famille du tronc, s’avançant vers sa rivale blessée, avait l’air d’une géante s’apprêtant à écraser une brindille sur son chemin. Je ne pouvait détourner les yeux de ce spectacle. De l’autre coté du terrain, le son d’un gong, suivit des acclamations du public retentissaient mais je ne les entendais pas. Mon esprit était avec Carlotta, encaissant un coup de pied dans les côtes et roulant encore sur le sol. Elle n’était plus qu’on poupée de chiffon qu’on ballotte dans la poussière.
C’est quand sa terrible adversaire appuya sa Carque contre son cou pour l’achever comme un animal que le souffle du cor marquant la fin de la partie retentit. Quelqu’un avait marqué les sept points réglementaires pour remporter le match et le dangereux duel des deux femmes n’avait plus lieu d’être. Animène écarta son arme et repartit vers les siens, conquérante. La belle Carlotta, malgré son passage à tabac, restait fière et se releva d’elle-même. Elle voulait rassurer ses sœurs oranges quand à la ténacité de leur cheffe.
Je me rassit dans les gradins, encore galvanisé par ce que je venait de voir et me mis au courant des actions qui eurent lieu de l’autre coté du terrain auprès de mes voisins exaltés par le match.
Quel sport !