Toute histoire commence un jour, quelque part. Cette histoire que je conte n’est seulement une histoire que l’on s’entend conter par le grand-père, par l’aïeux, que l’on conte à son tour ou que l’on lit et que l’on conte à son tour. C’est histoire se passe quelque part en Afrique, au pays du désert rouge. Ce récit n’est pas seulement une histoire, l’histoire de Soundjata, ou celui du Mogho.
Un jour, quelque part un enfant, innocent dans l’âme à l’heure où blanchit la montagne s’éveille dans son monde. Le jour novice avec sa lueur d’espoir apporte à cet être le désespoir d’être à découvert. La nuit dit-on tous les chats sont gris. Mais alors que l’aurore éclot, il serait mis en terre, semé sans plus jamais germer. Cet enfant que je ne connais je l’appelle ami ; ami parce qu’il est mon frère, il est aussi ton ami parce que ton frère. Ce garçonnet ou cette fillette je l’ignore est un enfant, un gosse comme il y en a des millions dans toutes les familles, des plus riches aux plus indigentes en passant par les plus humbles. Cet enfant aurait pu être moi Yannick ou toi Awa, moi Rogo ou toi Youki.
- Je suis chaque enfant parti très tôt, je suis tous les enfants condamnés, pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, chaque enfant qui appelle au secours et dont les bruits du monde étouffent les cris. J’ai fait la connaissance de celui qui m’appelle « ami » depuis le pays des rêves bleus où fusent les rires, pays des grandes joies éternelles. Il m’a chanté un cantique d’amour à moi le petit enfant d’un jour, de quelque part. Il m’a dit qu’il raconterait mon histoire chaque jour et partout pour qu’aucun enfant ne vive encore ma vie. Mais à l’heure d’écrire mon histoire, l’histoire de mon existence, il me donne la parole pour que je parle alors que j’ai parlé sans qu’on ne m’écoute, j’ai crié et on me m’a pas entendu. Mais j’espère que vous m’écouterez et m’entendrez. Chez moi au pays où je vivais, il est venu ce jour ou mieux je suis venu dans le monde qui m’accueillit avec le tintamarres des armes et l’on n’a pas entendu mon cri de nouveau-né. C’est peut-être pour cela qu’on ne m’entendra jamais plus durant mes jours sombres de clarté. Je suis de cette génération d’enfants qu’on appelle « enfants né pendant la guerre » et qui après la guerre sont malheureux, mal contraire de bon et heureux synonyme de gai. Je suis ces enfants que le monde a décidé de maltraiter en un mot et de mal traiter en deux mots. Je suis né sans père, parce que la guerre a tué mon père. Un père parti précocement pour moi et pour lui, je suis le rejeton venu tardivement. Il avait prié le ciel pour enfin voir cet enfant que les dieux dans leur magnanimité avaient décider de lui faire aumône. Il pensait à ma tête qui ressemblerait au sien ou à celle de ma mère. Ma mère, cette femme qui était pour lui Vénus sa déesse, Vénus ma déesse car je sortirai de sa chair avec l’empreinte de son âme. Je suis « made in maman ». Mère avant que je continue agrée que je t’aime au-delà des frontières. Je sens et plus encore les effluves de ton corps qui me rappellent le doux parfum de ton souffle quand tu posais sur moi ton regard d’ange. Mère toi à qui je chante ces mélodies de l’âme qu’ailleurs, quelque part on appelle gospels, je ne sais où tu es partie, je ne sais. Mais écoute dans le silence de chaque nuit ma voie, ta voie en moi te dire un chant d’amour, toi dans ton paradis céleste où j’arrive bientôt dors. Papa est parti un jour. Où ? Quelque part me dit maman. Il reviendra bel ange et moi ingénu je l’attendais tous les jours mais il est parti pour toujours, papa ne reviendra jamais. Je l’ai vu partir ce soir avec ces hommes arrivés chez nous. Ils avaient échangé, parlé, gesticulé. Papa a répondu être le seul habitant de la maisonnée. Il nous avait caché maman et moi dans le grenier. Quand on lui a commandé d’ouvrir la marche, il l’a fait sans hésiter. Un pas en avant, deux pas et « trictrac ». Le bruit me fit sursauter, je levai la tête sous la main écrasante de maman qui me commande le silence absolu. A cet instant je vois papa choir de tout son poids, tomber désespérément au sol. Et encore des tirs inouïs sur mon géniteur avec un autre son « pam pam pam pam pam pam pam pam ». Je regardais placide et flegmatique mon géniteur gisant comme un agneau après le festin des lions sans dire mot. Je regardai maman dans les yeux et j’aperçus une larme au coin de son œil cachant la vallée de pleurs dans son cœur meurtri et endolori. Elle ne pleurait pas, elle fixait d’un regard d’airain ces félins puis baissait les yeux pour voir papa, son homme s’en allé car c’est ce qu’elle m’a dit. Papa est parti aux pays des rêves bleus, il reviendra, et je l’attends toujours, je l’attends chaque jour que ce soit à l’aube, à midi, au crépuscule. J’espère mon père parti pour ce pays quelque part et qui doit revenir. Chaque nuit je veille au clair de lune, à l’ombre de maman sous la silhouette de cette pénombre opaque et je guette comme le veilleur qui attend l’aurore. Chaque jour, où que je sois, j’attends ce père parti si tôt jamais revenu, toujours en route. Je reste là tout muet comme si j’étais sourd et mon ire brûle, me consume mais je veux voler encore plus haut. Je veux vivre pour venger ce père déjà absent. Je refuse d’être Icare qui s’écrase ses ailes de cire fondant. Je vois le soleil, je ne veux le toucher. J’épouse déjà enfant Charrette de la Contrie « combattu souvent, battu parfois, abattu jamais ». Je n’ai pas pleuré le voyage sans retour de mon père car je ne voulais voir pleurer ma déesse, sa déesse, Mère. Elle ne me quitta plus un seul jour, pour aller quelque part, je l’avais toujours dans le dos. C’est elle qui m’avait dans le dos. Ces hommes, on les regarde toujours ; ils n’ont pas fini leur crime. Ils fument quelques cigarettes pour fêter leur ignominie, cigarettes dont les mégots s’éteignent dans le fleuve rouge de sang à leur pied. Avant de partir ils pissotent sur le corps inerte et sans vie de père. C’est un rituel à ce qu’il semble pour mortifier leurs victimes même dans le plus profond des sommeils. Je suis le souffre-douleur de cet homme envoyé ad patres. Cet homme c’est mon père. Mais je suis plus fort que vous ne l’aurez cru parce que je veux vivre pour venger mon père, des représailles dont je choisirai l’estocade : l’amour. J’ai appris à aimer de père et je n’arrêterais pas une œuvre si douce. J’ai voulu vivre pour aimer le monde, aimer ces hommes. Père m’a un jour dit que deux millénaires passés, un Homme avait pardonné à ces bourreaux qui le clouaient à la croix. Comment comprendre quelqu’un qui vous tend la droite quand vous l’avez giflé à la joue gauche ? Comment ne pas aimer quelqu’un qui donne sa vie pour vous ? Aujourd’hui mes inquisiteurs sont là devant moi et j’ose leur pardonner, et je les aime. Mais pour les aimer je ne donnerai pas la joue gauche que je suis. Papa comment ne pas t’aimer, toi qui accepte le martyr de ta vie pour moi, pour nous ? La besogne est terminée et mes exécuteurs s’en vont tranquilles, sans être inquiétés. Ils rient gras d’un rire homérique jusqu’à ce que s’évanouisse dans le vent le son de leurs pas bruyants. « Plutôt cent fois être guillotiné que guillotineur ». Comment on peut encore à ce siècle où on exalte la primauté des humains sur les bestiaux perpétrer pareil inhumanité et se réclamer HOMME ? Nos amis d’à côté ceux que l’on a décidé de nommer animaux ont-ils l’esprit de la cruauté aussi affûté ? Des hommes se massacrent aujourd’hui encore sous les cieux sans craindre le regard plaintif de l’ETRE et de l’être. Lui, se reconnait-il encore en cette humanité quand on eut dit qu’il nous fit à son image ? L’autre ne se serait-il pas fait fixé en vain ?
J’ai vécu avec cela en moi un jour, je la vis aujourd’hui encore, je la vis chaque jour et je crois ne pas vouloir y vivre pour toujours. Je veux aussi ressembler à ces enfants qui comme moi sont des enfants. Ces enfants qui dessinent le visage de leur père, ces enfants qui ne dorment pas, qui veillent attendant leur père au milieu de minuit. Je veux être ces enfants à qui l’on tire d’amour les oreilles éternellement quand ils font tomber un verre, je veux être comme ces enfants d’ici et d’ailleurs, ces enfants d’un jour, ces enfants de quelque part qui attendent innocemment que se lève le jour pour se voir en leur père. Je veux être les enfants du monde entier qui attendent et réclament leur part de câlins. Je veux être le fils de mon père, la fille de mon père, je veux jouer avec ce père parti si tôt, qui reviendrait si les grands disent parfois la vérité, mais qui n’est plus jamais revenu, ce père que j’attends toujours. Maman avait compris mon grand désir de vivre, d’être comme tous ces enfants d’Est, du Septentrional, ces mômes de l’Occident, du Sud. Résolument nous décidâmes d’aller au large, en eau profonde dans notre quête de vie. Elle devint pour moi un père, elle qui était ma mère. Elle est mon père, elle est ma mère. Je suis resté pour elle un enfant, petite fille, petit garçon, son enfant. Je devenais peu à peu son homme elle qui voyait en moi chaque trait de l’homme avec qui elle avait convoler en justes noces sept ou huit années en arrière. Elle se remémore jalousement avec la grande minutie du maitre pâtissier leur temps de jeunesse. Elle se rappelle comme elle l’aimait. Ils s’étaient promis de vivre aussi longtemps que le permet le temps normal de la vie de l’humain ensemble. Il lui avait dit qu’il ferait d’elle une déesse au milieu des nymphes. Elle lui avait dit qu’il serait sa majesté le roi de son cœur. Il lui promettait de l’aimer de l’amour des Olympiens et elle le regardait chaque jour sans jamais se lasser de contempler les courbes harmonieuses de son homme dont l’artiste peintre est le bon Dieu lui-même à qui les muses rendent allégeance. Elle lui disait qu’elle voudrait porter en elle un bout de lui. Il la câlinait, elle le dorlotait, il l’aimait, elle l’avait aimé, il l’aimera toujours, elle l’aime éternellement.
- Maman ? Maman ? Reviens moi
Elle était déjà perdue au pays du bonheur, de son bonheur d’antan même si aujourd’hui encore elle me dit qu’elle heureuse, que je suis son bonheur. J’y crois et si j’y crois c’est juste parce que cela m’arrange d’y croire. Sinon que n’aurai-je pas fait pour que revienne papa comme elle me l’avait dit ? L’or de la terre, l’eau des mers, le bleu du ciel, le rouge du sang, le blanc de la candeur, je serai allé aux bouts de l’éternité les porter à dame ravisseur pour qu’elle me rende ce père, mon père à moi l’homme de ma mère, ma mère à moi. Hélas, n’est-il pas écrit comme du marbre que même la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. De fait, elle ne peut rien de plus, peut-être de moins mais point de plus. Elle revient lentement, doucement, mais pas surement et me regarde dans le noir des yeux comme si je l’épiais de l’antre où je suis. Elle n’est plus là dans mon monde, elle était tantôt dans le passé, continument aux royaumes de la félicité où avec son homme ils faisaient la parade sur la ruelle en étant au balcon dans le monde où il n’y avait qu’elle et lui. C’était le monde qu’ils s’étaient fait à deux en s’aimant d’amour. Elle donne l’impression qu’elle a honte comme si je l’eusse surpris en flagrant délit. Ses lèvres délicates esquissent un sourire en coin comme s’il la regardait son complice. Ce jour est un jour faste pour mère ; elle brille dans toute sa splendeur, belle comme le jour naissant à l’aube de l’hivernage où la pluie arrosera la terre aride qui devient moite. Je lui fais remarquer oh combien elle est scintillante tel l’étoile Polaire. Et je lui dis « - je t’aime maman », elle me répond « - Je t’ai aimé le premier bel ange ». Je la poussais à bout ces jours où perdu quelque part elle parlait passionnément d’eux, d’elle et de lui pour la voir rayonner de tous ses feux. Elle me racontait la même histoire avec pratiquement les mêmes mots mais elle ne s’en rendait jamais compte. Mais moi j’aimais l’écouter, l’entendre parler avec joie. Ce roman que je découvrais et redécouvrais est on ne peut comme l’histoire de Wangrin écrite et contée par Hampaté Ba. Mais aujourd’hui elle ajoutera distinctement un pan de cette aventure interminable et belle de deux âmes. C’est le livre de l’histoire qui bouleversera le cours de ma vie. Elle me dit :
- Ecoute bien mon fils. Un jour ton père en m’embrassant à l’oreille me susurra quelque chose d’inaudible juste pour m’égayer s’entend dire « -tu es un ange bel ange, je t’aime ». Ce sont là les lettres que mon cœur me dicta pour lui. Silence de cimetière se fit alentour. Il reprit : « - Je suis un ange ? Eh bien sache que les anges ne vivent pas en enfer, si donc je suis un ange alors tu es le paradis car c’est la demeure des anges et tu es bien la fée du logis ». Elle avait longuement et profusément pleuré, faisant sur sa poitrine une vallée de larmes. Je respectai ce silence attendant qu’elle eût finit car elle en avait besoin me dis-je. Mais de trêve point. Elle continue alors en sanglotant délicatement et finement à me dire qu’elle avait pleuré exactement comme elle le fait ce jour-là, quelque part au bord de la belle rivière. Si Senghor avait dit l’émotion nègre, moi je la veux apanage de la femme quand bien même il est des hommes qui par la grande fortune ont des passions de femmes. Ces amours de dames qui vous font toucher l’automne du bonheur. Elle s’entend dire qu’elle est un paradis, lui qui le voyait ange.
Comment alors vouloir des enfants dans le monde quand vous leur refuser le droit à la vie ? Comment définir la personne humaine quand elle n’a plus de droit ? Comment se dire humain quand on ne se connait pas des devoirs ?
J’ai vécu avec ma mère deux ans après la tragédie d’un jour, quelque part, celle de mon père, l’homme de ma mère. Nous avons vécu heureux car pour nous vivre c’est aimer, aimer c’est le bonheur. Nous avions oublié le mélodrame d’un jour, nous avions pardonné à ces inconnus partis, nous n’avions pas de haine car dans nos cœurs, elle n’y avait pas droit de cité. Un jour la guerre a repris, je rentrais dans mes quatre printemps. Ils sont revenus un soir encore, « ils ont violé ma mère parce que ma mère était belle », à Diop ce qui est à Diop. Je les ai entendus qu’ils ne seraient pas Hérode tuant les enfants. Ils sont partis je suis resté seul au pays de la sécheresse. Un jour j’ai vu venir à moi un gros oiseau qu’on appelle quelque part hélicoptère, un homme y est descendu avec sa caméra pour raconter mon histoire. J’avais envie de vivre encore pour aimer toujours. Derrière moi un oiseau carnassier attendait mon trépas pour vivre lui aussi. Cet homme porta mon histoire au monde. Quand on lui demanda où je vis aujourd’hui, ce que je suis devenu ; parce que je voulais ressembler à ce petit enfant Jaden Hayes, orphelin, quelque part en Georgie : faire sourire les gens tristes mais HELAS, il répliqua : « -je l’ignore, j’avais un hélicoptère à prendre, condescendant ». Lui, c’était un chasseur d’images.