Un instant partagé

« Toute histoire commence un jour, quelque part »
Confortablement assise dans le divan, j’étais à fond sur une émission de variété, quand j’entends notre porte d’entrée s’ouvrir. Sûrement que c’était Hilary.
- Coucou maman... c’est moi ! crie-t-elle depuis l’entrée.
- Coucou ma chérie... Je réplique. Je suis dans le salon.
J’entends ses pas dans mon dos, puis le bruit sourd de son sac échoué au sol, et qui est moyennement étouffer par la moquette. Il faut dire qu’elle adore faire cela.
Je n’ai pas le temps de jeter un regard dans sa direction, qu’elle me prend dans ses bras pour un câlin intense.
- Comment va la maman la plus sexy du monde ? me souffle-t-elle, toujours serrée contre moi.
- Elle va super bien.
Et je me libère d’elle pour mieux la contempler, et lui caresser tendrement le visage. Elle me sourit.
- Et toi ? C’était comment ta journée de classe ? je demande attendrie par son air ravie.
- C’était super, et je dirai même que c’était trop bien. S’extasie-t-elle. Aujourd’hui c’était la journée science avec quelques séquences de musique et de danse. Alors, imagine un peu l’euphorie.
Ah oui ! Hilary et les sciences, une grande histoire d’amour. Puis elle se met à me raconter sa journée. De mes quatre enfants, c’était la seule qui adore vraiment me parler de ses journées de classe. Je ne dis pas qu’avec les autres ce n’est pas le cas, ou, qu’on ne s’échange pas de ces instants entre mère et fils. Mais c’est juste qu’avec Hilary, c’est plus intense, qu’il y a plus de connectivité, et que cela me ravie comme pas possible. On dit souvent, que généralement les filles sont plus attachées à leurs pères qu’à leurs mères, et que c’est l’inverse chez les garçons.
Mais moi je dirai que j’ai été bénie, car mes enfants sans exception, me sont littéralement attachés. Franck l’ainé, malgré la distance, garde avec moi une communication très existante. Quant aux benjamins Ethan et Nathan, c’est pareil. Alors que ma cadette me fasse honneur de cette chance que d’autres non pas, prouve que j’ai la providence au talon.
Elle était toujours en train de me raconter sa journée, quand subitement elle s’arrête.
- Dis-moi un truc maman ! (Elle regarde dans tous les sens.) Ils sont où les petits garnements ? C’est bizarre que depuis que je sois rentrée, je n’ai pas encore eu le privilège de les entendre jacasser.
- Hilary...
- Mais c’est vrai maman ! m’arrête-t-elle. Tu dois bien admettre que les jumeaux sont, soit constamment en train de jacasser, ou soit en train de se crêper le chignon.
Elle n’a pas tort Hilary. Ces petits sont de vraies tornades ambulantes et ce soir, c’est madame Apenou que je plains. Je ne trouve pas quoi répliquer à cela, si ce n’est qu’un sourire d’approbation.
- Tes petits frères sont chez Neal, et ils y passeront la nuit. Je réponds finalement.
- Et papa ? cherche-t-elle à savoir.
- Il n’est pas encore rentré. Une urgence de dernière minute à l’hôpital.
Elle fit mine de réfléchir un moment, avant de finalement hocher la tête avec un air de contentement.
- Et t’as préparé quoi ? Ajoute-t-elle. Parce que là, j’ai vachement une faim de loup, et avoir le délice de goûter à l’un de tes fameux plats, est la seule chose qui m’a permis de tenir.
- Désolée de décevoir tes papilles ma chérie, mais il y a qu’en rentrant du boulot, j’étais tellement éreintée que j’ai plutôt commandé. Alors à la place d’un de mes fameux plats, tu auras droit à un burger plus frites.
- Peu importe ce que tu me donneras à manger. Tant que ces petites mains magiques l’ont touché, (Elle pianote sur mes doigts.) je suis sûre que ça sera un vrai régal de les ingurgiter.
- Comme je t’aime ma chérie. (Je souris et l’embrasse.) Va te laver alors les mains, et tu passes à table.
Elle se met aussitôt en mouvement, et va se mettre au propre avant de passer à table. Elle venait à peine de finir de manger, quand son téléphone se met à sonner. Je ne prêtais pas attention à sa communication, jusqu’à ce qu’elle aboie sur son interlocuteur.
- Je t’ai dit que je ne suis pas encore prête. Je l’entends marmonner. Pourquoi ne veux-tu pas le comprendre ?
- ...
- Tu sais quoi Naël ? soupire-t-elle éreintée. J’ai des devoirs et des cours à réviser. Tu veux bien qu’on aborde ce sujet une autre fois ? (Elle jette un regard dans ma direction.) De plus, il y a maman à côté.
Je connais parfaitement ma fille, et je connais aussi Naël. Pas besoin d’être devin ou sorcier pour comprendre de quoi il retourne comme situation. Naël, c’est son petit copain, et un garçon assez sympa et de bonne famille. Mais un garçon reste un garçon, avec des envies à assouvir bien-sûr. Je ne prête plus attention à mon émission, et dévisage plutôt ma fille comme si c’était la première fois que je l’avais en face de moi. Plus je la regarde, et plus je constate qu’elle a grandi ma petite. Seize ans, bientôt le bac en poche, et elle partira pour l’université. Je ne serai plus à ses côtés pour la surveiller constamment, ni suivre ses moindres pas. Elle sera larguée dans un monde où elle devra apprendre à faire face à des épreuves, et prendre des décisions la plus part du temps seules, surtout concernant les garçons et le sexe.
- Pourquoi ce regard maman ? me demande-t-elle une fois son appel terminé, et sûrement ayant senti le poids de mon regard sur elle.
- Je me rends juste compte que tu as grandi, et que je n’ai pas encore eu cette discussion avec toi.
- Une discussion ? reprend-t-elle dubitative. Quelle discussion ?
- Laisse-moi plutôt te raconter une petite histoire.








2
- Sais-tu comment j’ai rencontré ton père ? Suite à une tragédie.
Je la regarde un moment, et pousse un soupir.
- Vois-tu mon enfant, il y a de ces situations qui vous marquent à vie, de ces rencontres qui restent à jamais indélébiles, et qui constituent à tout jamais, un impact majeur dans notre vie. T’est-il déjà arrivé de vivre une situation où on sent son souffle nous manquer ? Où en pleine nuit, on se réveille en larmes en se posant inlassablement la même question : pourquoi ? Et ben, il m’est arrivé de vivre une situation de ce genre. Des déceptions j’en ai vécu, mais aucune n’a été à ce point si poignante, et si blessante. Une fois, pour une toute première fois, j’ai goûté au café de l’amertume, de la désillusion et de la peine. J’ai appris ce que c’était que de voir ses rêves partir en vrille, ses espoirs anéantis, et son cœur lacéré à coup de lame.
Ma rencontre avec Ellroy, a pavé mon chemin d’énormes pourquoi, et enfin de cette tragédie qui jusqu’à ce jour, hante mon esprit, parce que je n’ai pas su faire le choix adéquat à un moment crucial. Il n’y a pas de mal à avoir un rapport sexuel avec son petit ami tant qu’on sait ce qu’on fait, et qu’on y est préparé et consentant. Mais avoir un rapport sans prudence et sans protection, là est le problème. Une grossesse qui vous frappe en plein visage sans qu’on ne soit au courant ni préparé, et un avortement inconscient qui vous tombe sur la tête, et qui risque d’emporter votre souffle de vie, est une situation qui ne s’oublie jamais. Même si on a la chance de s’en sortir sans des séquelles physiques, il y a toujours ces séquelles morales qui ne vous quittent jamais, et cette honte qu’on n’arrive pas à s’épargner. Pour d’autres, il n’y a pas de mal à faire un avortement. Ce n’est pas tout faux dans le cas d’une malformation, ou d’un risque sur la vie de la mère. Mais quand tout est bien, qu’on ne présente aucun risque de mort ni de malformation, alors pourquoi avorter ? Quand on a été éduqué dans une famille où les valeurs et principes inculqués sont : l’amour pour son prochain et le respect de la vie d’autrui, on reçoit cette avalanche de culpabilité vous balayer l’esprit, et torturer votre âme. Et surtout, ce regard plein de déception que tes parents portent sur toi, est le plus lourd auquel faire face.
Je n’ai connu que deux hommes dans ma vie. Ellroy et votre père. Ellroy était le premier. J’étais naïve et complètement amoureuse de lui, et lui, il m’a détruite. Tu me demanderas sûrement comment ? Et ben pour la simple raison qu’il ne s’était pas protégé au cours de notre premier rapport, et m’as fait croire le contraire. Oui, j’ai été idiote de lui avoir fait confiance, et de ne pas avoir vérifié. Deux semaines plus tard, j’ai un retard avec juste quelques saignements. Je n’étais pas du tout inquiète, parce que j’ai eu ce stupide raisonnement de : « On s’était protégé, donc impossible que cela soit une grossesse ».
Sans trop réfléchir, je vais prendre mon breuvage habituel en cas de ces genres de situations. Mais ce que je ne savais pas, c’est que ce n’était pas un simple retard habituel. J’étais tout simplement enceinte. La prise de ce breuvage a déclenché mes cycles, ou plutôt ma fausse couche. Toujours dans l’ignorance du meurtre que je venais de commettre, c’est toute fière que je suis allée me reposer en sentant des douleurs au bas ventre pointer. Mais après deux heures de temps passés, les saignements ainsi que la douleur devenaient plus persistants. Je n’arrivais plus à le supporter malgré la prise répéter des calmants. Je me suis mise alors à hurler et me tordre de douleur, mais personne ne pouvait me venir en aide, pour la simple raison que j’étais toute seule. Mes parents étaient absents, et la femme de ménage était déjà rentrée chez elle. Alors j’ai pris mon téléphone et appelé la seule personne proche de chez moi, et capable de m’amener aux urgences en attendant l’arrivée de mes parents. Mais devines quoi ? Ellroy n’avait pas le temps pour moi, car il se préparait pour se rendre à une stupide soirée entre potes. J’étais en train d’agoniser, et sa fête était plus importante que moi ? Je l’ai supplié, mais il m’avait tout bonnement raccroché au nez. Alors j’ai regardé mon plafond, imploré le ciel, car j’étais incapable du moindre mouvement. Très lentement, ma vision s’est assombrit, et ce fut le trou noir. Je ne sais plus comment cela s’est passé, mais je me suis réveillée aux urgences. Et d’après l’assistant du docteur qui n’est autre que votre père, je dois un merci à mon père de m’avoir découvert à temps. Il m’a fait savoir que ce dernier était revenu chercher un dossier à la maison, et m’avait trouvé baignant dans une mare de sang au milieu du salon. Il m’a alors directement transporté à l’hôpital, et c’est là qu’ils ont découvert que je faisais une fausse couche. L’avortement était incomplet, mais ce n’est pas cela qui a permis à ce petit être de survivre. On a dû procéder à un curetage et tout le tralala qui suit.
Mais ce que je n’ai jamais oublié de ce jour, est que non seulement j’ai failli perdre la vie, et que j’ai tué un petit être innocent, mais le plus important et que surtout jamais je n’ai oublié, c’est ce regard de honte et de déception que mon père à porter sur moi. Il ne m’a pas adressé pendant trois longs mois. Pour lui, j’étais sa petite fleur innocente, et il pensait que je le resterai assez longtemps, le temps de tomber sur le bon. Et ce bon, c’est votre père.


3
Hilary avait les yeux embués de larmes, et me regardait avec une attention toute particulière.
- Et Ellroy dans tout ça ? finit-elle par chuchoter d’une voix rauque. N’a-t-il pas été averti de ta situation ? N’est-il pas venu par la suite s’excuser de son comportement ?
Je souris et pousse un soupir d’amertume.
- S’il a été averti ? Oh que si qu’il l’a été ! Qu’il soit venu s’excuser ? Et ben ça non ! Il n’a pas daigné se pointer jusqu’à ma sortie de l’hôpital, ni même passer une seule fois à la maison. J’ai dû faire face seule à cette épreuve. Votre père a été bien-sûr là, mais la nuit quand il vient de dormir, j’étais toute seule à souffrir avec mes cauchemars. (Je lève mon index.) Une nuit..., un acte..., cinq minutes..., et ma vie a pris un tournant irréversible. Par la suite, il a eu le culot de me rejeter la faute. Et le pire dans tout ça, c’est qu’après trois mois de silence total, il se pointe comme une fleur, et me demande de lui pardonner. Sais-tu pourquoi il est venu présenter ses excuses si je peux les appeler ainsi ?
- Non... répondit Hilary.
- Tout simplement parce qu’il voulait que j’ai un autre rapport avec lui.
- Comment ? S’écrie-t-elle sous le choc. Mais comment as-tu réagi ?
Je lui adresse un sourire tendre.
- Rien. Je souffle. Je n’ai rien fait, ni même prononcé un seul mot. Je lui ai juste tourné le dos, et allé rejoindre votre père qui m’attendait. Il m’amenait sortir pour la toute première fois depuis cette tragédie, et je n’allais pas laisser un imbécile que je croyais comme une idiote être ma vie, gâcher ma soirée.
Je pousse un autre soupir.
- Tu te demandes sûrement pourquoi elle me parle de cela ma maman ? Et ben, j’ai comme par mégarde trainer mes oreilles, et j’ai saisi la fin de ta discussion avec Naël à l’instant. Et pas besoin d’être sorcière pour savoir ce qu’il te demandait. Cela ne me regarde peut-être pas, mais je dois pourtant te prévenir. Ne fais jamais rien dont tu ne te sens pas encore prête, parce qu’il a besoin que tu lui prouves ton amour ou que sais-je encore. Un amour se prouve de mille manières sans passer forcement par le sexe, et cela, c’est votre père qui me l’a enseigné bien plus tard malheureusement. (Je prends ses mains dans les miennes.) C’est ton corps ma chérie, ton moment, et c’est à toi seule de décider, de quand, et de comment. Et si, il ne peut pas comprendre cela Naël, c’est qu’il ne t’aime pas assez comme il le prétend. J’ai peut-être eu de la chance, mais ce n’est pas toujours le cas. Au grand jamais ma petite fille, ne commet la même erreur que moi. Soit ce que tu veux devenir, et ne laisse personne te dicter tes choix. L’homme de ta vie est peut-être Naël ou pas, mais une chose est sûre, c’est que si c’est le cas, il saura aller à ton rythme, et t’attendra.
Je lui caresse de nouveau le visage.
- Oh maman... (Elle se jette en larmes dans mes bras.) Comme je t’aime ma petite maman. Je te jure que je ferai très attention, et que je saurai attendre et être patiente.
Je ne réponds rien, et la sert plutôt très fort dans mes bras, avant de lui inonder le visage de petits baisers. On était tellement emporter, qu’on n’a pas entendu la porte d’entrée s’ouvrir, ni se refermer.
- Ben que se passe-t-il ici ? demande la voix chaude de mon mari.
Hilary se libère de moi, tourne la tête vers son père, avant de se lever et de lui tomber dans les bras.
- C’est la séance câlin ou quoi ? murmure-t-il entre deux sourires, avant de se laisser tomber à côté de moi avec notre fille dans ses bras.
- Oh Jordan... je souffle.
- Je te promets mon papa adoré, que je saurai attendre. Chuchote Hilary dans le cou de son père. Je vous le promets.
Par-dessus son épaule, Jordan me lance un regard interrogateur qui voulait dire : « Vous l’avez finalement eu la discussion ? », et je lui réponds d’un oui de la tête, avant de me joindre à eux pour la séance câlin. Je soupire de bien être, car je sais que ma fille saura dorénavant faire un choix adéquat pour sa vie. Jordan me donne un baiser, et nous deux, on en donne à notre Hilary. Je suppose qu’on doit former un joli tableau actuellement.