Un havre de paix

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« Tu devrais te reposer, ma chérie. Va aux Cures Marines de Trouville. C'est l'endroit idéal. Thalasso, spa, restaurant étoilé. Et l'hôtel, une splendeur ! Tu seras tranquille là-bas. S'il sort, il ne viendra pas t'y chercher. » Sophie suivit le conseil de sa mère. Trois jours de repos après les dernières quarante-huit heures lui éviteraient, à terme, la clinique psychiatrique. Le lendemain, son taxi s'engageait dans l'allée de l'hôtel.

Dès le hall d'entrée, elle partagea l'avis maternel. Un mélange de pierres anciennes et de mobilier contemporain agencés avec élégance apaisait le regard. Des lignes sobres, des tons doux ; le lieu invitait à la sérénité. Son pouls sembla se calmer pour la première fois depuis l'avant-veille. Elle longea le corridor pour rejoindre la réception. Une blonde l'accueillit, sympathique et discrète. Malgré les marques sur son visage, elle ne la regarda pas d'un air curieux. La clé de la 402 en main, Sophie emprunta l'ascenseur. Ses bagages la suivraient dans quelques minutes. Par chance, elle ne croisa personne en montant les étages. Elle avait eu raison de réserver en semaine : il y avait moins de monde. Trois minutes plus tard, son regard se troubla. Au loin, dans le couloir feutré qui menait à sa chambre, elle crut le reconnaître. Son cœur s'accéléra. Son tic à la joue droite reprit. Quand l'homme se rapprocha, elle retrouva son calme. À cinq mètres d'elle, il n'avait rien de commun avec celui qu'elle fuyait.

Une heure plus tard, les coudes posés sur le rebord en zinc de la terrasse de sa chambre, les yeux tournés vers le port de Trouville, elle respirait enfin. Ventilée par l'air iodé, sous ce soleil de printemps, elle se demandait si ce qu'elle avait vécu chez elle, dimanche dernier, était réel. Comment son mari, cet homme intelligent et attentionné avec qui elle vivait depuis dix ans, avait pu changer autant en quelques mois ? Était-ce la promotion de Sophie qui, en janvier, avait déclenché ce comportement jaloux ? D'où venait cette violence qui l'avait poussé, lui l'homme tendre, à la séquestrer puis à la rouer de coups avant de blesser à l'arme blanche un voisin venu la secourir ? Les questions s'enchaînaient. Sans réponses. Elle observa les couples, main dans la main, se promener sur le quai, quatre étages plus bas. Elle ressentit un pincement au cœur. Elle ne partagerait plus jamais ces moments complices avec lui. La folie avait emporté son mari. Une larme roula sur sa joue. Elle l'essuya d'un revers de main et pour ne pas sombrer dans la douleur d'un tel gâchis, s'affaira à ranger ses vêtements dans l'armoire. Après une douche, elle sortit de sa chambre pour se rendre au spa. Un bon massage lui permettrait peut-être de chasser ses angoisses.

Traumatisée par sa récente épreuve, elle n'avait pas remarqué la citation de Marguerite Duras dans le couloir du quatrième étage. Étalés en jolis italiques, ces quelques mots du célèbre écrivain évoquant la solitude de l'écriture la confortèrent dans son approche. Il n'y a de bien que la solitude pour se remettre de nos grandes douleurs, pensa-t-elle. Une séparation aussi brutale qu'indispensable, un mari en garde à vue, peut-être même en détention, c'était si inconcevable qu'elle y croyait à peine. Dans le miroir de l'ascenseur, les ecchymoses sur ses joues lui confirmèrent sa triste réalité. Elle était maintenant une femme seule, meurtrie, à mille lieues de sa vie d'avant et n'avait aucune idée de ce que l'avenir lui réservait. Ressortirait-il de sa garde à vue dans l'attente de son procès ? Et dans ce cas, où vivrait-elle puisqu'avec lui plus rien n'était possible ? Au troisième étage, un couple de quadragénaires entra dans la cabine. Ils la saluèrent. L'entente qu'ils dégageaient l'émut. Elle inspira pour réfréner ses larmes et, une fois parvenue à l'institut, s'inscrivit pour le début d'après-midi à un massage. Elle remonta ensuite à la réception puis se dirigea vers le bar de l'hôtel, immense et très lumineux avec ses hautes fenêtres du début du siècle dernier. Elle commanda un café crème. La quiétude du lieu la rasséréna jusqu'à ce que le visage de son mari déformé par la haine resurgisse dans son esprit. Pourvu qu'ils ne l'aient pas remis en liberté ! Une fois dehors, il ferait tout pour la retrouver, fou de rage qu'elle ait appelé au secours et, par ses cris, provoqué ce carnage.

Au bout de deux jours, elle s'apaisa. Petit à petit, la scène de violence s'estompa. Le soleil, la bienveillance du personnel comme les artistiques saveurs du restaurant contribuèrent à sa renaissance. Elle partait le lendemain, animée d'une nouvelle force, prête à se relever. Dans cet endroit privilégié, c'est en tout cas ce qu'elle croyait.

Ce dernier soir, Sophie dîna au restaurant et, grisée par les verres de Pouilly-Fuissé, remonta dans sa chambre, le sourire aux lèvres. Son téléphone portable vibra. Un message émanant d'un numéro masqué s'afficha. « Très bon choix cet hôtel à Trouville... » C'était lui. Elle en était certaine. L'euphorie de l'alcool se dissipa dans l'instant. Comment l'avait-il retrouvée ? Une goutte de sueur perla sur son front. Sur sa robe, elle essuya ses mains moites.

Dans le dédale des couloirs, affolée par le SMS, elle se trompa de direction et se retrouva à l'opposé de la 402. Tremblante, les jambes cotonneuses, elle rebroussa chemin. Un instant, elle crut voir une ombre sur le mur. Elle tenta de courir malgré ses hauts talons. Arrivée devant sa porte, paniquée, elle chercha la clé dans son sac. Sans succès. Elle fouilla avec frénésie et, tandis que des pas se rapprochaient dangereusement, renversa le contenu de son fourre-tout par terre pour la dénicher. En vain. Le souffle saccadé, terrifiée, elle ramassa en hâte ses affaires, se releva, et, les escarpins dans une main, son sac dans l'autre, s'apprêtait à repartir à grandes enjambées vers l'ascenseur quand une main vigoureuse s'abattit sur son épaule. Son sang se glaça. Au bord de l'apoplexie, elle se sentit défaillir. C'est alors qu'une voix fluette lui demanda : « Tout va bien, madame ? Le personnel du restaurant m'a chargé de vous remettre votre clé. Vous l'aviez oubliée sur la table. » Les cheveux collés par la sueur, le maquillage dégoulinant sur un visage de craie, elle saisit le sésame sans même remercier le serveur. Une fois enfermée dans sa chambre, soulagée, elle pleura comme jamais. Plus tard, le téléphone réglé sur le mode avion, elle réussit enfin à s'endormir en focalisant son esprit sur la plénitude ressentie dans l'eau des bassins marins de l'institut.

Le lendemain, à son réveil, effrayée à l'idée qu'il soit dans les parages, Sophie plia ses bagages. À la réception, elle demanda qu'on lui appelle un taxi. En attendant qu'il arrive, elle s'assit dans les fauteuils coquille du hall puis saisit son téléphone portable. Le message était toujours là. Elle cliqua dessus. Dans sa frayeur, elle ne l'avait pas lu en entier. Le cœur cognant, le souffle court, elle en prit connaissance jusqu'au point final. Puis, d'un pas décidé, retourna à la réception.

Le taxi fut congédié. Le bagagiste remonta sa valise. Un quart d'heure plus tard, assise à côté du piano à queue du bar, elle téléphona à son avocat pour le remercier. Grâce à son message, elle respirait à nouveau. Son mari incarcéré, elle pouvait songer à se reconstruire. Elle commanda un cocktail de fruits pour fêter sa liberté et, le regard perdu au-delà des grandes baies vitrées, profita enfin de la quiétude de son nouveau havre de paix.

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