Avachi sur le canapé, je tendais une télécommande en direction de la télévision. L'heure était bien avancée, mais je n'avais pas sommeil. Je parcourais les chaînes sans conviction, à la recherche d'un programme pouvant attirer mon attention jusqu'à que je m'assoupisse. Je passais par quelques chaînes d'information en continu, de vieilles séries, des films dont je n'aurais pas compris grand-chose en les prenant en cours, ou d'autres, d'épouvante, dans lesquels je voyais des proies faciles s'enfuir pour je ne sais quelle raison. Je parcourais ensuite les chaînes dédiées à la nature, celles qui diffusent les exploits de pêcheurs, chasseurs ou autres aventuriers. Puis celles consacrées aux documentaires animaliers, devant lesquelles on s'aperçoit parfois de la dure loi de la nature, quand des animaux en chassent d'autres sans vergogne.
Avant d'aller regarder ce que pouvait bien diffuser les chaînes sportives et musicales, une chaîne dédiée à la nature, dont je n'avais jusque-là que peu remarqué la présence, retint mon attention. Elle diffusait ce qui ressemblait à un documentaire. On y voyait un impressionnant paysage naturel ressemblant peu à ceux que l'on observe habituellement dans ce genre de programme. Le paysage m'était peu familier et semblait irréel. Le décor était tropical et la taille des arbres démesurée. Au loin, de la fumée s'échappait du sommet d'un volcan. D'autres éléments m'interpelaient. La qualité de l'image laissait à désirer et présentait quelques coupures. Plus surprenant encore, aucun commentaire n'accompagnait cette image. Quelques bruits se faisaient toutefois entendre, comme les cris stridents d'oiseaux ou une sorte de barrissement lointain.
Après quelques minutes de diffusion et une énième coupure, de premiers animaux firent leur apparition. C'étaient des dinosaures. Au sein d'une vaste étendue verdoyante, on y voyait une famille de sauropodes trainer leur poids énorme et balancer leur long cou pour arracher des branches hautes perchées, tout en émettant leur chant dans les cieux. Un peu plus loin, dans une étendue d'eau, une autre famille de sauropodes – probablement des diplodocus – semblait prendre un bain, faisant dépasser de l'eau leur cou interminable et leur dos arrondi. Aux alentours, quelques stégosaures se contentaient d'étancher leur soif. Quant au ciel, il était maintenant décoré par l'ondoiement des ptérodactyles.
Ce n'était pas la première fois que je regardais un documentaire animalier consacré aux dinosaures. La différence notable est qu'ils ont pour habitude d'être formidablement produits, les techniques modernes le permettant. Ce n'était pas le cas du programme que je regardais à présent. L'image était toujours aussi capricieuse et les coupures se faisaient de plus en plus nombreuses. Et toujours aucun commentaire n'accompagnait l'image. Un paradoxe subsistait cependant, les dinosaures semblaient incroyablement réalistes. Pas de grotesques effets numériques ici, ni d'impression de carton-pâte, les animaux préhistoriques étaient crédibles.
Alors que l'heure avançait, je me demandai à nouveau quel genre de documentaire pouvais-je bien regarder, lui reconnaissant au passage un attrait évident. Faisant fi des coupures, je me surpris à attendre que d'autres bêtes géantes apparaissent à l'écran.
Par la suite, le documentaire emmenait le téléspectateur curieux que j'étais dans une sorte de forêt tropicale, et à mon grand plaisir, de nouvelles espèces firent leur apparition. Il s'agissait de petits théropodes, peut-être des bébés vélociraptors. Sautillants et émettant de petits cris stridents, ils se déplaçaient en nombre. Après une coupure, ils disparurent et le documentaire montrait les arbres impressionnants de la forêt, au sein de laquelle, de nombreux bruits se faisaient entendre. Toujours les mêmes cris d'oiseaux, mais aussi un autre plus distinct, comme le roucoulement rauque d'un pigeon monstrueux. L'auteur de ce bruit ne mit pas beaucoup de temps à se montrer. Il s'agissait d'un vélociraptor adulte qui jaillissait des feuillages. Peut-être la mère des petits théropodes vus quelques minutes auparavant. De taille modeste, orné de plumes, la démarche bondissante, il faisait face au téléspectateur et ouvrit grand sa gueule pour émettre un cri tendant vers les aigus.
Alors que je restais toujours impressionné par le réalisme des dinosaures malgré la faible qualité de l'image, un autre bruit, plus familier, se fit entendre. Cela ressemblait à une respiration proche de celle d'un humain. Elle était sourde et étouffée. Après avoir plus attentivement tendu l'oreille, je me convainquis qu'au vu de la qualité médiocre du documentaire, ce devait être un bruit parasite survenu pendant l'enregistrement. Après d'autres coupures, le documentaire montrait le feuillage d'un arbre bouger en son sommet. On n'observait plus le vélociraptor mais quelque chose de plus grand et monstrueux. C'était un tyrannosaure. Il émettait lui aussi un roucoulement rauque et semblait à la recherche d'une proie. Peut-être allait-il chasser le vélociraptor vu précédemment. Plus pataud et moins plumé que son prédécesseur, le tyrannosaure marchait d'abord à pas feutrés puis faisait comme son lointain cousin. Il hurlait, faisant face au téléspectateur.
Dans le même temps, le bruit de respiration que j'entendis quelques secondes auparavant reprit, se faisant même plus intense et s'apparentant à un souffle court. Encore le bruit parasite me dis-je.
Scotché sur mon canapé, j'étais toujours autant frappé par le réalisme des monstres, mais les coupures se faisaient malheureusement de plus en plus nombreuses. Lorsqu'elles accordaient un répit, je tâchais de ne rien perdre du spectacle. Entre les coupures, il me sembla voir le tyrannosaure affronter quelque chose de presque plus grand que lui. De quel dinosaure pouvait-il s'agir ? Je ne pus le savoir. Les coupures finissaient par l'emporter et l'image disparaissait.
C'est à ce moment qu'à ma plus grande surprise, les premiers commentaires du documentaire se firent entendre. Ils semblaient être le prolongement de la respiration que j'entendis en bruit de fond et que je pris pour un bruit parasite. Comme la respiration, les commentaires étaient sourds et étouffés. Malgré l'heure tardive, j'augmentai légèrement le volume de la télévision et tendis attentivement l'oreille. Un homme parlait et je retins quelques bribes de son discours. Puis tout devint plus clair.
Je n'ai malheureusement plus de batterie pour ma caméra frontale, l'image est coupée. [...] Ma combinaison va perdre son invisibilité d'ici une heure environ, en espérant qu'un de ces bébés raptors ne s'y est pas glissé. [...] Il faut que je rentre. [...] J'ai eu les images que je voulais, elles sont extraordinaires. [...] Il faut que je revienne en 2023 maintenant. [...] J'espère que tout se passera bien.