Un conte de fée moderne

Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. Je les entends parler avec des mots que je n'arrive pas à comprendre totalement. Des vocabulaires sophistiqués et incompréhensibles. Ça m'a pris un bon moment avant que je puisse réaliser que j'étais à l'hôpital.
J'ai essayé d'ouvrir les yeux mais en vain, c'est comme si mes paupières pesait une tonne. 
Jusqu'à ce jour, je ne savais pas qu'on pouvait se sentir aussi impuissante dans la vie au point de ne pas avoir assez d'énergie juste pour pouvoir cligner des yeux.
Les jours passèrent et soudainement, je sentis quelqu'un attrapant ma main en me disant : « bonjour maman, c'est moi, Rio, tu nous manques beaucoup tu sais. Kenya ne peut pas venir te rendre visite, elle est restée dehors. Les médecins l'ont interdit d'entre parce qu'elle est trop jeune mais ils m'ont dit de te parler pour que tu te rétablisses vite... »
Quel étonnement !
J'étais dans un tel état en écoutant ce petit m'appeler Maman.
Par la suite, ce gamin m'a rendu visite très fréquemment ; il me racontait sa journée, il me racontait son passé, nos vécus...
Petit à petit, ma mémoire me revenait mais mon état, lui, ne s'améliorait pas.
Vous vous demandez sans doute comment est-ce que j'ai pu me trouver dans cet état ?
Je ne sais combien de temps ai-je passé dans cet hôpital.
Je m'appelle Rose et j'ai actuellement 28 ans.
Ma mère était décédée à mon cinquième anniversaire et mon père dix ans après. Mon père était le genre d'homme fier et autoritaire. Il s'est marié juste peu de temps après que Maman soit partie. J'ai eu deux demi-sœurs pas très faciles à vivre. En grandissant, on avait beaucoup de mal à s'entendre avec ma belle-mère. En commençant le secondaire, elle a refusé de payer mes frais de scolarité. Je me suis donc mise à faire des petits boulots. J'étais serveuse. Et c'est au travail que j'ai rencontré Henri, un charmant jeune homme. 
Ça donne une impression de déjà vu, comme une histoire féérique, de cendrillon ?
C'était allé un peu trop vite. Quelques mois plus tard, nous nous sommes mariés. Puis on a eu le petit Rio. Je me suis dit que vivre avec Henri serait mieux que chez ma belle-mère.
Peu de temps après, je m'en souviens très bien, alors que j'étais en train de repasser quand Rio cogitait et a failli tomber du lit. Pendant que je me précipitais pour l'attraper, j'ai frôlé sans faire exprès une tasse en passant à côté de la table tout près du sofa où il était assis. Heureusement j'ai pu rattraper le petit Rio à temps, il était si jeune. Henri, mon mari, m'a donné une gifle en me disant : « ça ne t'arrive jamais de regarder où tu vas ? »
La deuxième je l'ai reçu juste le lendemain après avoir salué un ancien camarade de classe.
Le mois suivant il était rentré ivre mort. Les injures et les coups ont été au menu. 
Ensuite c'était devenu un peu trop fréquent et intense, on y avait droit presque tous les jours.
En ce moment on a eu la petite Kenya.
Moi de mon côté, j'exerçais le même boulot. Puis un jour je me suis à envoyer des candidatures spontanées histoire de rapporter un peu plus d'argent puisque de son côté Henri, lui, dépense tout son argent dans l'alcool. J'ai beaucoup de mal à subvenir à nos besoins donc j'ai essayé de diminuer la quantité de nos rations quotidiennes. Mais aucune mère digne de ce nom ne supportera cela. Un jour, Rio était venu me voir en pleurant en me disant : « Maman, j'ai tellement faim ! »
Cette phrase m'a donné une sensation horrible. Jusqu'à ce jour, il ne s'est jamais plaint. Mais c'est maintenant qu'il a eu le courage de m'avouer que la ration quotidien était bien trop insuffisant.
Au moment où cette dépendance de Henri avec l'alcool a commencé j'ai essayé d'aborder le sujet et d'avoir une discussion sérieuse avec lui de façon la plus compréhensive et tendre possible. Après deux trois phrases, en retour j'ai reçu un coup de tête. Oui comme ce que faisait Zidane dans un match de foot. J'ai jamais compris pourquoi. Je n'ai jamais plus tenté d'aborder le sujet après cela. En tout cas, ce qui est sûr, Henri aurait fait un très bon joueur de foot.
Quelques mois après, en constatant que son état devenait de pire en pire, je suis allée voir ses parents afin de pouvoir leur parler de ce qui est en train de se passer. Oh ! J'étais pleine d'espoir, me présentant chez eux en me disant que peut-être Henri leur donnerait un peu plus d'attention que moi. Je suis rentrée la tête baissée et le moral à zéro. Rien qu'en commençant à aborder le sujet, ils m'ont chassé de leur foyer en disant : « ne commencez pas à rapporter vos problèmes ici comme des enfants, vous êtes adultes et agissez comme tels ! »
Mais plus le temps passe, plus les coups devenaient plus intenses et plus fréquents. Il s'est mis à prendre des objets pour me battre. C'est hilarant mais je crois que j'ai connu tous les objets présents chez nous : le balais, les cuillères, la veilleuse, les murs, les couvercles de marmites, les ceintures...
Puis il s'est mis à lever les mains sur les enfants pour un oui ou pour un non.
J'avais beaucoup de mal à accepter cela. Donc je prévoyais déjà le divorce même si d'un côté j'étais effrayé à l'idée de faire recours à reproduction sociale d'une image de famille recombinée.
Alors je me suis mis à consulter un avocat en commençant une procédure de divorce en cachette.
Avant que cela devienne officiel, un jour il était rentré, ivre comme d'habitude, et s'est mis prendre un couteau. J'ai demandé aux enfants de sortir, Rio, l'aîné a pris le téléphone et a appelé la police. Il a demandé de l'aide au voisin alors que la petite était restée dehors avec un froid hivernal.
Je me suis toujours demandé, malgré tout, « pourquoi partir ? » jusqu'à ce que les circonstances aient su me faire comprendre : « pourquoi rester ? »
La police était arrivé quelque minute après et l'ont emmené. 
Moi j'ai reçu des coups à la nuque et j'ai perdu connaissance après.
C'était tout ce dont je me suis souvenu.
Au moment de l'incident, Rio avait huit ans et kenya trois. Ils étaient bien trop jeunes pour vivre un quotidien aussi chamboulé.
Je ne savais pas combien de temps ai-je passé à l'hôpital. J'apprécie énormément ces petites visites que Rio me faisait à l'improviste.
J'avais trop hâte de voir comment il va réagir quand je me réveillerai. J'essayais surtout de reprendre des forces et de refaire encore et encore de nouvelles tentatives avec mes paupières mais hélas !
Jusqu'au moment où j'ai entendu les médecins parler dans ma chambre du fait que je suis restée dans le coma pendant cinq ans, de l'absence d'espérances, de débrancher les appareils,... 
Alors là, un enchevêtrement de pensées noires me traversait l'esprit durant ce bref moment. Comment ne pas avoir peur à l'idée de se faire abandonner de cette façon ? 
Comment ne pas avoir envie de hurler de toute ses forces : hey ! Je suis là ! Je suis vivante ! Ne m'abandonnez pas !
J'étais tellement terrorisée à l'idée de devoir dire adieu à mes enfants de cette façon.
Qui va prendre soin d'eux ? Comment sera leur vie ? À quel point vont-ils être bouleversés par cette nouvelle ?...
Je ne sais pas par quelle force ou par quel miracle j'ai pu sortir de cet état juste à ce moment-là.
Mais je n'ai jamais été aussi heureuse d'être en vie.
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