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Solène
La fillette saute au cou de son père tandis que sa mère l'étouffe de mille baisers en pleurant, larmes de bonheur, pépites de cristal irisé d'arc-en-ciel, on devine l'angoisse derrière son regard attendri, leur bébé a grandi si vite.
Solène fera son entrée à l'Opéra de Paris, son nom en lettres noires affiché dans le grand hall. Petit rat... Elle en rêvait avant de marcher, tourbillonnant au gré des notes en suspens, valsant entre les bras de qui l'entraînait dans sa farandole. Dotée de grâce charmante, une moue butée si on lui opposait un veto, non qu'elle fût entêtée, mais soucieuse d'affirmer son désir. Une détermination qui faisait dire à l'entourage qu'elle irait loin. Chacun souriait devant les plis barrant son front quand elle avait décidé de ce qui était bon pour elle.
Ce matin elle peut être fière, elle a suivi les cours du conservatoire sans jamais se plaindre, supporté le feu des articulations malmenées, perfectionné les en-dehors, étiré son cou de pied sous la grande armoire jusqu'à l'extrême douleur. Si perfectionniste que sa mère hurlait qu'elle cesse de se martyriser et choisisse une autre voie ; on l'aimait, avec ou sans tutu. À bout d'arguments, elle lâchait prise et Solène continuait de sautiller, tournoyer, virevolter jusqu'à l'épuisement.
La voilà petit rat, pénétrant enfin dans le temple sacré. Une première marche, elle le sait, tout commence aujourd'hui.
Lorraine
La fillette est encore un bébé, elle vit à l'hôpital. Elle ne connaît que les murs de la chambre peints en rose pâle, ses parents ont épinglé un poster de Lilibelle la petite danseuse face au lit, ils ont apporté des peluches, une lampe magique qui fait de la musique. Mais Lorraine est triste, quand elle s'est réveillée ce matin, une lourde attelle comprimait sa jambe droite. Elle ne comprend pas pourquoi on l'embête toujours, elle qui a tellement envie de bouger. Quand elle entend les enfants courir dans le couloir, elle a envie de se joindre à eux, bien sûr ils se font gronder, mais ils rient si fort. Lorraine est née avec une jambe déficiente, les médecins expliquent le problème aux parents avec des mots compliqués. Ils ont compris que ce serait long et qu'il faudrait se bagarrer pour avoir une chance de voir Lorraine marcher, sans parler de courir, peu à peu ils amenuisent leurs ambitions. « Qu'elle tienne au moins debout », espère sa maman. Le père ne dit rien, mais dans ses yeux roulent des perles de chagrin.
Solène
La jeune fille fait des prouesses, son corps longiligne se délie, ses professeurs se pâment devant son port de tête digne d'une princesse, ils ne disent rien, mais pensent à l'avenir. Solène est quadrille depuis l'an dernier, à coup sûr elle deviendra coryphée d'ici quelques mois. Elle est de celles qui rayonnent et sortent du lot, une injustice pour les autres, un don des dieux, la caresse d'une fée bienveillante sur le dais de son berceau. Et aussi, et surtout un travail acharné, des heures à la barre pour muscler les longues jambes qui la porteront aux nues, renforcer son dos sans en altérer l'élasticité, assouplir chevilles et poignets, jusqu'aux fines phalanges. Pour développer sa force mentale chevillée au corps, ses parents lui offrent l'aide d'un coach, il sait la projeter vers le meilleur tout en la protégeant d'un cocon de confiance.
Lorraine
L'enfant fait la grimace. Le kiné vient d'entrer dans la chambre, le colosse rigole devant la mimique de la petite pour la détendre. Il voudrait lui faire du bien et sait qu'elle va souffrir au cours de la rééducation. Alors il branchera la musique dans la salle qui résonnera de ses pleurs. En fin de séance il la soulèvera, elle deviendra plume blottie dans le nid de ses bras, il entamera quelques pas de danse rien que pour elle, la petite adore ça, elle rira aux éclats et tous deux partageront un instant de grâce. L'enfant progresse, si le chemin est caillouteux, le kiné s'est juré qu'elle marcherait un jour et ils s'entraînent à y croire de tout leur cœur. Les parents aussi sont présents, ils viennent à son chevet dès qu'ils le peuvent, la semaine passée ils lui ont offert une boîte à musique avec une danseuse de porcelaine qui tourne en souriant. Lorraine s'endort sur la mélodie, elle rêve en tulle et mousseline.
Solène
Les parents de Solène sont tout tremblants, ils vont assister au concours de leur fille. Première danseuse, ils osent à peine y croire. L'an dernier elle était encore sujet, un grade plus qu'honorable, la fulgurance de sa réussite les émerveille et les effraie. La maman craint toujours qu'un sombre destin vienne entraver l'ascension de sa fille. Elle articule des prières muettes tandis que le père se rengorge devant sa beauté. Solène est heureuse. Depuis peu, comme si son entraînement ne suffisait pas à sa plénitude, la jeune fille est bénévole dans un hôpital, elle danse pour les enfants alités, les voir immobiles est insupportable à celle qui ne conçoit la vie qu'en mouvement. Alors elle vient les distraire de leurs malheurs, sous l'œil humide des soignants. Elle s'envole dans le couloir et jusqu'au seuil des petites cellules, les jeunes malades la contemplent sans voix, le regard évanescent tourné vers un au-delà connu d'eux seuls. Ils oublient les piqûres et les kinés qui font mal en riant, les parents désemparés avec leurs bras chargés de cadeaux, ils ne voient que beauté et découvrent que la vie est ailleurs, loin des quatre murs peints en rose.
Solène est rentrée à la maison, bouleversée, mais radieuse, elle a rencontré une enfant hors du commun qui s'appelle Lorraine. Jour et nuit la petite endure un appareillage, moins lourd qu'avant paraît-il. Une fillette pleine d'énergie et de vivacité, au fond de ses yeux brûle une flamme, elle est passionnée de danse et quand Solène a déposé un baiser à son front, l'enfant l'a serrée très fort sur son cœur. Les parents de Solène pleurent en écoutant leur fille.
Lorraine
Depuis que cette jeune danseuse fréquente le service, Lorraine a pris des couleurs, c'est elle qui rigole quand le colosse arrive, qui se moque de sa musique folklorique, elle préfère les airs classiques et surtout les ballets. Elle rêve de voir un jour des danseurs en vrai, sur une scène comme dans les livres, ce soir-là elle portera une robe longue pour cacher son attelle. Et alors le kiné appuie sur la jambe frêle et l'enfant n'a même pas mal. Elle lui parle arabesques et pas de deux tandis qu'il triture la cheville atrophiée et quand elle s'envole dans ses bras, elle murmure encore cabrioles et déboulés. La petite a grandi, elle sait écrire le nom des danseuses célèbres et dessine à l'infini ballerines et rubans de satin.
Solène
La première danseuse a remisé ses chaussons, Solène sera étoile à la saison prochaine, pour autant elle refuse d'abandonner les enfants malades, elle réduira simplement la fréquence de ses visites. Sa protégée, la petite Lorraine, va quitter l'hôpital sur ses deux jambes, elle marchera pour la première fois de sa jeune vie, longera le couloir, soutenue par son père et son kiné préféré. Quand ils se quittent, le colosse éclate de rire pour ne pas pleurer, elle lui envoie plein de baisers. Les soignants, ces magiciens du quotidien, sortent un mouchoir, la maman est toute perdue avec sa boîte à musique dans une main et les peluches dans l'autre.
C'est le grand soir. La première de la Belle au bois dormant à l'Opéra de Paris. Dans sa loge, Solène ajuste tulle et mousseline, elle a le trac, mais c'est le plus beau jour de sa vie, elle en goûte chaque seconde qu'elle grave au profond de son âme.
Lorraine, entourée de ses parents, est assise au premier rang, le kiné est là lui aussi, la petite se fige, à peine si elle ose respirer. Éclatante dans une robe en velours grenat, on devine ses deux jambes, un peu différentes, mais libres de toute entrave.
Les lumières du grand lustre s'éteignent.
La fillette saute au cou de son père tandis que sa mère l'étouffe de mille baisers en pleurant, larmes de bonheur, pépites de cristal irisé d'arc-en-ciel, on devine l'angoisse derrière son regard attendri, leur bébé a grandi si vite.
Solène fera son entrée à l'Opéra de Paris, son nom en lettres noires affiché dans le grand hall. Petit rat... Elle en rêvait avant de marcher, tourbillonnant au gré des notes en suspens, valsant entre les bras de qui l'entraînait dans sa farandole. Dotée de grâce charmante, une moue butée si on lui opposait un veto, non qu'elle fût entêtée, mais soucieuse d'affirmer son désir. Une détermination qui faisait dire à l'entourage qu'elle irait loin. Chacun souriait devant les plis barrant son front quand elle avait décidé de ce qui était bon pour elle.
Ce matin elle peut être fière, elle a suivi les cours du conservatoire sans jamais se plaindre, supporté le feu des articulations malmenées, perfectionné les en-dehors, étiré son cou de pied sous la grande armoire jusqu'à l'extrême douleur. Si perfectionniste que sa mère hurlait qu'elle cesse de se martyriser et choisisse une autre voie ; on l'aimait, avec ou sans tutu. À bout d'arguments, elle lâchait prise et Solène continuait de sautiller, tournoyer, virevolter jusqu'à l'épuisement.
La voilà petit rat, pénétrant enfin dans le temple sacré. Une première marche, elle le sait, tout commence aujourd'hui.
Lorraine
La fillette est encore un bébé, elle vit à l'hôpital. Elle ne connaît que les murs de la chambre peints en rose pâle, ses parents ont épinglé un poster de Lilibelle la petite danseuse face au lit, ils ont apporté des peluches, une lampe magique qui fait de la musique. Mais Lorraine est triste, quand elle s'est réveillée ce matin, une lourde attelle comprimait sa jambe droite. Elle ne comprend pas pourquoi on l'embête toujours, elle qui a tellement envie de bouger. Quand elle entend les enfants courir dans le couloir, elle a envie de se joindre à eux, bien sûr ils se font gronder, mais ils rient si fort. Lorraine est née avec une jambe déficiente, les médecins expliquent le problème aux parents avec des mots compliqués. Ils ont compris que ce serait long et qu'il faudrait se bagarrer pour avoir une chance de voir Lorraine marcher, sans parler de courir, peu à peu ils amenuisent leurs ambitions. « Qu'elle tienne au moins debout », espère sa maman. Le père ne dit rien, mais dans ses yeux roulent des perles de chagrin.
Solène
La jeune fille fait des prouesses, son corps longiligne se délie, ses professeurs se pâment devant son port de tête digne d'une princesse, ils ne disent rien, mais pensent à l'avenir. Solène est quadrille depuis l'an dernier, à coup sûr elle deviendra coryphée d'ici quelques mois. Elle est de celles qui rayonnent et sortent du lot, une injustice pour les autres, un don des dieux, la caresse d'une fée bienveillante sur le dais de son berceau. Et aussi, et surtout un travail acharné, des heures à la barre pour muscler les longues jambes qui la porteront aux nues, renforcer son dos sans en altérer l'élasticité, assouplir chevilles et poignets, jusqu'aux fines phalanges. Pour développer sa force mentale chevillée au corps, ses parents lui offrent l'aide d'un coach, il sait la projeter vers le meilleur tout en la protégeant d'un cocon de confiance.
Lorraine
L'enfant fait la grimace. Le kiné vient d'entrer dans la chambre, le colosse rigole devant la mimique de la petite pour la détendre. Il voudrait lui faire du bien et sait qu'elle va souffrir au cours de la rééducation. Alors il branchera la musique dans la salle qui résonnera de ses pleurs. En fin de séance il la soulèvera, elle deviendra plume blottie dans le nid de ses bras, il entamera quelques pas de danse rien que pour elle, la petite adore ça, elle rira aux éclats et tous deux partageront un instant de grâce. L'enfant progresse, si le chemin est caillouteux, le kiné s'est juré qu'elle marcherait un jour et ils s'entraînent à y croire de tout leur cœur. Les parents aussi sont présents, ils viennent à son chevet dès qu'ils le peuvent, la semaine passée ils lui ont offert une boîte à musique avec une danseuse de porcelaine qui tourne en souriant. Lorraine s'endort sur la mélodie, elle rêve en tulle et mousseline.
Solène
Les parents de Solène sont tout tremblants, ils vont assister au concours de leur fille. Première danseuse, ils osent à peine y croire. L'an dernier elle était encore sujet, un grade plus qu'honorable, la fulgurance de sa réussite les émerveille et les effraie. La maman craint toujours qu'un sombre destin vienne entraver l'ascension de sa fille. Elle articule des prières muettes tandis que le père se rengorge devant sa beauté. Solène est heureuse. Depuis peu, comme si son entraînement ne suffisait pas à sa plénitude, la jeune fille est bénévole dans un hôpital, elle danse pour les enfants alités, les voir immobiles est insupportable à celle qui ne conçoit la vie qu'en mouvement. Alors elle vient les distraire de leurs malheurs, sous l'œil humide des soignants. Elle s'envole dans le couloir et jusqu'au seuil des petites cellules, les jeunes malades la contemplent sans voix, le regard évanescent tourné vers un au-delà connu d'eux seuls. Ils oublient les piqûres et les kinés qui font mal en riant, les parents désemparés avec leurs bras chargés de cadeaux, ils ne voient que beauté et découvrent que la vie est ailleurs, loin des quatre murs peints en rose.
Solène est rentrée à la maison, bouleversée, mais radieuse, elle a rencontré une enfant hors du commun qui s'appelle Lorraine. Jour et nuit la petite endure un appareillage, moins lourd qu'avant paraît-il. Une fillette pleine d'énergie et de vivacité, au fond de ses yeux brûle une flamme, elle est passionnée de danse et quand Solène a déposé un baiser à son front, l'enfant l'a serrée très fort sur son cœur. Les parents de Solène pleurent en écoutant leur fille.
Lorraine
Depuis que cette jeune danseuse fréquente le service, Lorraine a pris des couleurs, c'est elle qui rigole quand le colosse arrive, qui se moque de sa musique folklorique, elle préfère les airs classiques et surtout les ballets. Elle rêve de voir un jour des danseurs en vrai, sur une scène comme dans les livres, ce soir-là elle portera une robe longue pour cacher son attelle. Et alors le kiné appuie sur la jambe frêle et l'enfant n'a même pas mal. Elle lui parle arabesques et pas de deux tandis qu'il triture la cheville atrophiée et quand elle s'envole dans ses bras, elle murmure encore cabrioles et déboulés. La petite a grandi, elle sait écrire le nom des danseuses célèbres et dessine à l'infini ballerines et rubans de satin.
Solène
La première danseuse a remisé ses chaussons, Solène sera étoile à la saison prochaine, pour autant elle refuse d'abandonner les enfants malades, elle réduira simplement la fréquence de ses visites. Sa protégée, la petite Lorraine, va quitter l'hôpital sur ses deux jambes, elle marchera pour la première fois de sa jeune vie, longera le couloir, soutenue par son père et son kiné préféré. Quand ils se quittent, le colosse éclate de rire pour ne pas pleurer, elle lui envoie plein de baisers. Les soignants, ces magiciens du quotidien, sortent un mouchoir, la maman est toute perdue avec sa boîte à musique dans une main et les peluches dans l'autre.
C'est le grand soir. La première de la Belle au bois dormant à l'Opéra de Paris. Dans sa loge, Solène ajuste tulle et mousseline, elle a le trac, mais c'est le plus beau jour de sa vie, elle en goûte chaque seconde qu'elle grave au profond de son âme.
Lorraine, entourée de ses parents, est assise au premier rang, le kiné est là lui aussi, la petite se fige, à peine si elle ose respirer. Éclatante dans une robe en velours grenat, on devine ses deux jambes, un peu différentes, mais libres de toute entrave.
Les lumières du grand lustre s'éteignent.
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Pourquoi on a aimé ?
En s’attachant à peindre en miroir le portrait de deux jeunes femmes que tout oppose, mais que tout relie, Tulle et mousseline réussit à faire
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Pourquoi on a aimé ?
En s’attachant à peindre en miroir le portrait de deux jeunes femmes que tout oppose, mais que tout relie, Tulle et mousseline réussit à faire