Troubles nocturnes

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Était-ce absurde de ne pouvoir différencier l’obscurité et la sensation de mes paupières closes? Où étais-je? Dans quel pétrin m’étais-je encore fourrée? Maman allait être furieuse si je ne rentrais pas tôt. Je pris une profonde inspiration. J’avais peur.
Je n’avais connu que des embrouilles depuis sa mort. Papa nous avait quittées il y a cinq mois. Il avait eu un AVC pendant notre soirée scrabble. Maman n’était pas encore rentrée du boulot. J’avais dû la prévenir. Ce fût un choc pour nous. D’une famille soudée ne subsistait plus que deux âmes errantes. Je poussai un soupir. J’avais évité au maximum cette confrontation avec mes pensées. Chaque soir je me bourrais de somnifères pour éviter de penser. Aujourd’hui, je m’étais faite prendre, couchée là toute seule dans ce fichu noir. D’une main peu confiante, je tâtai ce qui était à ma droite. Je sentis un objet métallique. Il avait la forme d’un de ces pistolets en plastique que mes cousins et moi utilisions pour jouer. J’essayai de le prendre d’une main pour mieux l’examiner. Mon poignet se tordit sous son poids. C’était donc un vrai. Que faisait un flingue à côté de moi? Avais-je commis un crime ? Ma respiration s’accentua aussitôt. Je ressentis une pression sur mon coeur.
Inspire. Expire.Tu n’as rien fait.
Tel un mantra, je me répétai cette phrase plusieurs fois. Je déposai le flingue à sa place et me levai immédiatement. Il faisait toujours noir. J'entrepris trouver un interrupteur. Je m'agrippai difficilement au mur pour pouvoir me diriger. Après plusieurs minutes, je le trouvai enfin et l’actionnai immédiatement. J’observai ce qui m’entourait. J’étais dans un studio. Les murs étaient délavés. Il y avait une natte étalée dans un coin de la pièce. Un peu plus loin de celle-ci était posé le flingue. Mon regard s’attarda un peu sur ce dernier. À l’autre bout de la pièce se trouvait une petite valise entrouverte. On y voyait des vêtements soigneusement rangés. Juste à côté se trouvait un petit tabouret sur lequel étaient posés un miroir et une photo. Je m’approchai instinctivement du tabouret. La photo avait été recollée avec du scotch. Je la pris délicatement. C’était le portrait d’un jeune homme. Son visage m’avait l’air familier. A l’arrière de la photo, il y était écrit «Bienvenue dans ton cauchemar». Je ne m’attardai pas sur cette phrase; trop occupée à chercher l’identité du jeune homme. J’examinai attentivement la photo. Cela prit quelques minutes pour m’en rappeler: c’était l’une des photos de l’album de jeunesse de papa. Que faisait une photo de papa ici? Je la rangeai soigneusement dans la poche arrière de mon jean et je décidai de rentrer. J’avais bien envie de découvrir ce qui se tramait ici mais j’étais épuisée. J’avais le pressentiment que si je fouillais, j’apporterais du drame à ma vie. Et j’avais besoin de paix. La pièce était pourvue d’une unique porte qui donnait sur un couloir à double direction. Je ne savais pas laquelle choisir. Je sentis un courant d’air venant de la droite. Instinctivement, je m’y dirigeai. Je marchai pendant environ cinq minutes. Le couloir était peu éclairé. De temps à autre, j’apercevais de petites bêtes, allant et venant comme étant les maîtresses des lieux.Très vite je tombai sur une porte. Je l’ouvris aussitôt. J’étais revenue dans la pièce où je m’étais réveillée. Il devait y avoir une erreur. Mon poul s’accéléra tout à coup. Mes mains devinrent moites. J’avais l’impression d’être dans un film d'épouvante. Je décidai de prendre le couloir de gauche. Même scénario. J’étais revenue dans le studio. Je me posai un instant sur la natte. Jusque là j’avais perdu du temps à vouloir m'enfuir. J’avais fait taire ma conscience en enfouissant toutes les questions qui m’étaient venues à l’esprit. Le problème venait surement de là. Je devais comprendre. J’entrepris fouiller la valise et j’y trouvai un téléphone. Il n’y avait qu’un seul numéro enregistré. Je pris une profonde inspiration et appelai le numéro. La sonnerie s’accordait aux battements de mon cœur. Une voix grave répondit au bout de la troisième sonnerie. Mon poul s’accéléra à nouveau.
-Ashley, j'ai bien cru que tu ne m'appellerais jamais.
-...
-Ashley?
-Qui es-tu? bégayai-je
-Toutes mes condoléances pour ton père.
Comment savait-il?
-Qui êtes-vous?
-Rejoins-moi et tu auras toutes tes réponses. Prends le flingue et sors de la pièce. Tu verras un mur. Cherches y une étoile. Lorsque tu la trouveras, mets ta main dessus. Une porte s’ouvrira.
Je m'exécutai immédiatement. La porte donnait sur une salle de séjour peu éclairée. Il y régnait une ambiance lugubre.
-Bienvenue. Je suis ravi de te revoir; dit-il en s’avançant vers moi.
La lumière n’était pas assez forte pour éclairer son visage.
Je veux des réponses; lui dis-je.
Il me fixa un long moment, comme s’il cherchait les mots à employer. C’était un homme svelte, surement la trentaine.
-Je suis ton demi frère.
-Je n’en ai pas; le réprimandai-je.
-Du moins pas à ta connaissance. Notre père et ma mère se sont fréquentés l’été après leur bac. Ils étaient éperdument amoureux jusqu’à ce que ta mère débarque. Papa a alors délaissé maman bien qu’elle lui ait annoncé sa grossesse.
Il serra ses poings et me toisa.
-C’est impossible, dis-je toute confuse
Pendant que tu vivais ta petite vie parfaite, je regardais ma mère enchaîner les relations. Parfois, elle rentrait totalement ivre et me rouait de coups. Un jour j’ai contacté papa pour comprendre pourquoi il m’avait abandonné. Il m’a dit qu’il ne se souvenait pas de mon existence et que je n’étais qu’une erreur humaine. Mais ce n’est pas bien grave. On va jouer un jeu. La roulette russe tu connais ?
Bêtement, je lui fis oui de la tête encore abasourdie par ses révélations.
-Le révolver que tu tiens ne comporte qu’une balle. Le barillet a déjà été tourné. Il nous est impossible de savoir l’emplacement exacte de la balle. Si tu arrives à me blesser ou à me tuer, tu pourras rentrer chez toi. J’ai noté sur un papier dans ma poche comment rentrer chez toi. Commence.
Je pris l’arme et appuyai sur la gâchette. J’entrouvris mes yeux. Il était toujours là, vivant. Mon instinct de survie me poussa à tirer une seconde fois. Il me regarda un peu surpris et sourit.
-Malgré ta triche tu n’as pas pu me tuer. A mon tour dit-il sur un ton euphorique.
Je lui tendis l’arme et fermai mes yeux. Il tira instantanément. La balle sortie du barillet et vint se loger dans ma poitrine. C'était fini. Je revis le visage de mes parents. Je repensai à tous ces beaux moments passés avec eux. Mes jambes me lâchèrent et je m'effondrai sur le sol. Mon demi frère s’approcha de moi. Il avait des taches de brûlures sur toute sa joue gauche et une énorme cicatrice sur le front. Un bref instant, j’eus de la peine pour lui. Soudain, j’ouvris les yeux. Il faisait sombre. J’étais couchée sur une natte. Instinctivement je me redressai et posai ma main sur ma poitrine. Je n’avais rien. Etait-ce donc un rêve ? Je m'assis sur la natte et tâtai ma droite. Mes doigts entrèrent en contact avec un objet métallique. Il avait la forme d’un de ces pistolets en plastique que mes cousins et moi utilisions pour jouer...
- Pour jouer ? Me dis-je intérieurement.
Une sueur froide traversa mon corps. Je ramenai doucement ledit flingue devant moi. Mais que faisait ce flingue ici? Celui de mon rêve? Impossible. Je suis réveillée. Perdue dans mes pensées je me levai pour actionner l’interrupteur. Comment savais-je qu’il était là ? Mes yeux se dirigèrent doucement vers un coin de la pièce. Je m’avançai vers ce coin de manière hésitante. Il fallait que je comprenne ce qui se passait. La peur me faisait trembler mais je bougeais toujours. Mon angoisse prit une nouvelle forme quand j’aperçus la photo. Ma main gauche tremblante et humide de sueur s’élança doucement pour la prendre. Mon cœur battait à un tel point que je pouvais l’entendre dans mes oreilles.
Et à nouveau, au revers de cette photo je lis: Bienvenue dans ton cauchemar.