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Une goutte d'eau tombe du plafond. Puis une autre. J'en ai marre. Ça fait des mois que le toit de ma chambre devrait être réparé. Dormir dans une piscine, n'est-ce pas le plus beau des rêves pour une championne de natation ? Je ricane. La belle ironie. Plouc.
— Et encore une.
Je soupire. Même si je préfère en rire, cette situation m'emmerde. J'ai déjà trop à penser, tout le temps. « Il faut rappeler maman. Il faut écrire au coach Henry. Et la réinscription à la fac, tu y as pensé ? Pourquoi tu ne viens plus aux entraînements ? On a besoin de toi, Leslie. »
— Vos gueules.
Je jette mon oreiller contre la vitre à ma gauche. Il pleut dehors. Tout comme il pleut dedans. Tiens, on dirait ce vieux poème pseudo-romantique que j'ai appris au lycée. Sauf que, dans mon cœur à moi, il ne pleure pas : tout brûle. Comme un volcan enragé, mon corps veut rugir. Attends, je ne vais pas moi aussi me mettre à pondre des alexandrins, assise sur mon lit ? Je deviens folle.
Il faut réparer le plafond. Finalement, cette phrase s'inclut plutôt bien dans la liste de choses à faire. Peut-être que je devrais le laisser comme ça ? Après tout, l'eau, c'est mon élément. Si j'avais cru à toutes ces histoires de signes et de destin, j'aurais pu dire qu'un Dieu quelconque a un message à me faire passer. C'est quand même un sacré hasard que ma chambre se transforme en piscine. Je m'allonge et enfouis ma tête dans mon deuxième oreiller. Je crie. J'essaie d'évacuer mes pensées à travers mes cordes vocales.
Elles sont toujours là. Mes pensées – et les gouttes aussi. Je crois qu'il n'y a plus rien à faire. « Un petit effort, Leslie ». C'est ce que me dirait ma mère. Et le coach Henry, et mes collègues, et... tout le monde. Il suffit de le vouloir. Moi, j'ai préféré le pleuvoir. Je me rassois. Je regarde le trou qui commence à se former au-dessus de ma tête. Ça peut être violent, l'eau – comme si je ne le savais pas déjà. 12 ans passés à m'entraîner 5 soirs sur 7. Sur 22 années de vie, ça remplit. Pourtant, je me sens vide. C'est vrai que je suis douée. Il n'y a qu'à regarder le bouquet de médailles qui orne ma table de nuit. J'aurais préféré des fleurs. Offertes par un beau garçon. Je souris. Je devrais arrêter de rêvasser. Cette vie-là, elle n'est pas pour moi. Je retourne me noyer dans mon oreiller.
Je ne crois plus en rien. Surtout pas en demain. Tiens, je m'améliore en alexandrins. Pourquoi est-ce que je ne réfléchis qu'avec des rimes en « in » ?
— Aaaaaah !
Heureusement que le son du coussin étouffe ma voix. Il ne manquerait plus que quelqu'un dans la rue m'entende. La honte. Plouc. Une goutte est tombée sur mon front. C'est comme si elle se fondait en moi. À croire que je ne suis pas plus solide que mon plafond. « Mais non, Leslie, il ne faut pas dire ça. Regarde tout ce que tu as accompli ! » Maman, tu peux dégager de ma tête s'il te plaît ? De toute façon, elle ne comprend rien — génial, on dirait une phrase clichée d'ado en crise. Je reformule. Elle ne sait rien. Oui, j'aime nager. Oui, j'ai vécu des choses dont tout le monde rêve. La gloire, les encouragements, les applaudissements... Mais tout ça n'est qu'une mascarade. Parce que chaque soir, je me retrouve seule sous la pluie.
Il faut réparer le plafond. Mais est-ce que j'en ai vraiment envie ? En un sens, ces gouttes me tiennent compagnie. Je les regarde tomber. Je les accueille sur ma peau. Elles m'écoutent penser, ne me disent pas quoi faire. On s'entend plutôt bien. Peut-être que je devrais apprendre à cohabiter avec elles ? Il n'est jamais trop tard pour se faire des amies. Plouc. Je crois que c'est une réponse positive. Je soupire, encore. C'est n'importe quoi. J'aimerais me vider la tête. Ne plus rien penser. Vider mon esprit, et fuir. Mais où ?
J'entends mon téléphone vibrer à l'autre bout de ma chambre. On parie que c'est pour les entraînements ? Je sors la tête de mon oreiller. La lumière m'éblouit, je plisse les yeux. Combien de temps je suis restée comme ça, le visage ne faisant qu'un avec la taie ? Et comment j'ai fait pour respirer, surtout ? Je dois commencer à me transformer en poisson. C'est le début de ma décadence. Je me lève et prends une grande inspiration histoire de bien gonfler mes branchies. Je souffle. Tout mon corps s'affaisse dans mon expiration. Je me traîne jusqu'à mon bureau et m'assois immédiatement sur ma chaise. Cette fatigue me... fatigue. J'en perds mon vocabulaire — c'est sûrement normal, pour un poisson en devenir. Je prends mon portable et regarde l'écran. Un message du coach Henry. Bingo.
« Salut Leslie, c'est Henry. Ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vue aux entraînements, tu as toujours des problèmes avec ton appartement ? La nouvelle saison commence la semaine prochaine... Nous t'attendons tous avec impatience. Tu es ma meilleure nageuse (mais ne le dis pas aux autres, lol). J'espère que tu vas bien. Réponds-moi, stp. »
Lol. Bravo coach, tu as trouvé le mot de la situation. Je repose mon téléphone sur le bureau et prends ma tête entre mes mains. Ne le dis pas aux autres. S'il savait. Il n'y a rien à leur dire. Il est gentil, Henry. Un peu trop. Il n'a jamais rien remarqué – il faut dire que je le cache bien. Tiens, je n'entends plus les gouttes tomber. Elles m'ont abandonnée, elles aussi ? Je me relève. C'est débile, mais je préfère aller vérifier. Je marche jusqu'à m'écraser lamentablement sur mon lit. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Je n'ai pas envie de répondre à ce message. Je n'ai pas envie d'y retourner. Quand j'y repense, je crois que ça me plairait – de devenir un poisson. Un poisson solitaire. Comme le Combattant. Je resterais toute seule dans mon aquarium et personne ne viendrait m'emmerder. En parlant de ça... Je regarde le plafond. Il ne me parle plus. On ne peut vraiment compter sur personne.
— Vous êtes toujours là ?
Me voici, désespérée au point de parler à des gouttes d'eau. Je vais me débrouiller toute seule. Je dois me reprendre en main. Sinon, c'est la fin. Il y a cette fille, à la fac, qui a un bracelet avec écrit dessus « WWJD ». Comme je suis en pleine conversion aquatique, je devrais peut-être m'en faire un avec « WWPCD » : What Would Poisson Combattant Do ? La réponse est simple : il nagerait loin des bancs de morues. Un petit sourire satisfait se dessine sur mon visage. Ça leur va bien comme surnom, « morues ».
Je suis dégoûtée. J'aimais tellement ça. J'ai commencé la natation à 12 ans. J'ai su que ce serait difficile. Pourtant, j'aimais tellement ça. Je ne sais pas par quelle malédiction ça a été possible, mais j'ai gardé la même équipe toutes ces années. On ne s'est jamais très bien entendues avec les autres filles. J'étais comme une truite au milieu des requins — maman n'aimerait pas que je me qualifie comme ça. Allez, une truite arc-en-ciel. Bref. À croire que tout ce dégradé de couleurs sur mes écailles ne leur revenait pas. Mais j'aimais tellement ça. Nager. J'étais si fière. Mes parents étaient fiers. Le coach était fier. On me répétait que j'avais un don. Je me marre toute seule. C'est fou comme seulement quelques personnes ont le pouvoir de détruire une passion. Quelques moqueries dans les vestiaires. Puis des bousculades. Des rumeurs. « Leslie dans les petits papiers du coach ». « On se demande ce qu'elle a bien pu faire pour être la chouchoute ». Des rires, encore. J'aurais tellement aimé avoir une vie normale. Plouc. Tiens, te revoilà.
Il faut réparer le plafond. Ou le laisser comme il est. Entre me noyer dans ma chambre ou dans une piscine remplie de morues, le choix est vite fait. Je me demande en quel poisson je vais me transformer. Je l'aime bien, le poisson combattant. Solitaire et indépendant. Plouc. T'inquiètes plafond, je reste. Je ferme les yeux. Si j'attends assez, peut-être que la fatigue passera. Peut-être que je renaîtrai.
Je soupire, une dernière fois.
Cette chambre, c'est mon aquarium.
« Comme un volcan enragé
Mon corps veut rugir
Je ne crois plus en rien,
Surtout pas en demain
Ne plus rien penser,
Vider mon esprit, et fuir
Je dois me reprendre en main
Sinon, c'est la fin
Comme le poisson combattant
Je trouverai mon salut
Dans mon aquarium, j'attends
Très loin des bancs de morues »
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Pourquoi on a aimé ?
Dans ce très beau texte, tout est liquide, tout s’écoule lentement… De l’état de langueur, quasi dépressif, de la narratrice, au sport
Pourquoi on a aimé ?
Dans ce très beau texte, tout est liquide, tout s’écoule lentement… De l’état de langueur, quasi dépressif, de la narratrice, au sport