The Hot Dog

En raison du manque cruel de dragons dans la vraie vie, JJ. Joron se passionne dès l’école primaire pour l’écriture de fiction, et n’a cessé d’écrire depuis.

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L'odeur de graillon envahissait l'avenue comme chaque jour, de dix heures à minuit. Derrière son stand, Huan Zhao retournait ses saucisses en sifflotant un air de western, chassant d'une main les mouches que la chaleur de l'été avait réveillées. Déjà, une file d'habitués se pressait devant lui. Certains badauds à l'esprit empoissé de préjugés racistes ricanaient en passant, trouvant cocasse qu'un asiatique tienne un stand de hot dog. Huan s'amusait lui aussi de la situation, mais non pas du fait de ses origines. En effet, quoi de plus hilarant qu'un loup-garou tel que lui pour tenir un stand de « chiens chauds » ?
 
« C'est moi le hot dog », avait-il dit un jour à une charmante demoiselle, n'obtenant comme résultat qu'un petit rire gêné et un « heu... j'ai les quinze centimes si ça vous arrange ». Il avait abandonné les techniques de drague beauf après ça. Surtout lorsqu'elles pouvaient être interprétées d'une tout autre manière lorsque l'on ignorait sa véritable nature.
 
Sa lycanthropie, il la devait à un évènement des plus typiques du genre, que l'on pouvait résumer ainsi : camping dans les bois entre lycéens, ignorance téméraire des récentes disparitions dans ledit bois, quelques bières suivies du jeu de la bouteille, grognements étranges bien moins intéressants que de savoir si Daniel en pince pour Léa, petite pause pipi éloignée du campement et bam ! Attaque de loup-garou. Une morsure à l'épaule. Il avait eu droit à une vingtaine de points de sutures, aux traitements antirabiques, le tout inefficace face aux symptômes qui apparurent ensuite. C'était un peu comme s'être fait mordre par une araignée radioactive. Gérer le lycée, la puberté et la transformation en loup-garou s'était avéré plus rude que prévu, et lorsqu'une fois sa scolarité achevée Huan dut se trouver du boulot, il décida de devenir vendeur de hot dog. Pour la blague.
 
— Ça fera six euros et quinze centimes, s'il vous plait.
Huan eut à peine le temps de remuer les frites et d'éponger son front que déjà un autre client se présentait devant lui.
— Un hot dog et des frites, s'il vous plait.
— Quelle sauce dans votre hot dog ?
Le client prit un instant pour réfléchir au terrible dilemme qu'il lui imposait.
— Heu... je prendrai la sauce spéciale.
— Un hot dog sauce spéciale et des frites ! C'est parti !
Huan fit sauter une saucisse, toasta le pain, et attrapa le tube de sauce. Léger. Trop léger. Il eut beau le presser désespérément au-dessus de la saucisse, celui-ci ne se contenta que d'émettre un bruit obscène qui aurait ravi un enfant de huit ans.
— Oh, non ! Il est vide ! s'écria-t-il.
— Quoi ? Oh, c'est pas grave. Mettez-moi du ketchup à la place, ça ira !
Naïf qu'il était. Parce que si, c'était grave. Bien sûr, le client, lui, repartirait simplement avec un hot dog sauce ketchup, mais pour Huan Zhao, c'était une autre histoire. Car désormais, il lui fallait refaire son stock de sauce spéciale, et cela signifiait s'aventurer sur le territoire des sorcières, ses prestataires de confiance.
 
***
Huan remonta son foulard sur son nez. Pour l'odorat développé d'un loup-garou, le métro et ses relents de sueur et d'urine étaient un vrai supplice. D'autant plus que ces odeurs réveillaient son instinct canin et l'incitaient à marquer à son tour son territoire.
Le hurlement du train se fit entendre depuis la galerie et la foule se pressa au bord du quai. Profitant que chacun soit absorbé par la bousculade, les « on laisse passer ceux qui descendent ! » et autres « retenez la porte ! », Huan longea le métro et sauta sur la voie. À raison d'un train toutes les trois minutes, il lui fallait maintenant se presser s'il ne voulait pas finir comme un chien écrasé.
Éclairé par la lueur blafarde de son portable, il remonta les rails jusqu'à un embranchement. La station fantôme apparut enfin devant lui. Les néons couverts de mousse brillaient d'un éclat glauque lui donnant l'apparence d'un îlot verdâtre perdu au milieu des abysses. D'un bond, Huan grimpa sur le quai.
Il n'eut pas longtemps à attendre avant que ses oreilles ne perçoivent le rugissement du métro en approche. Six yeux luisants apparurent à l'entrée du tunnel. Huan recula d'un pas, tandis que la créature mi-bête mi-train entrait sur la voie pour s'arrêter au bout du quai, répandant un souffle puissant dans la station. Les portes s'ouvrirent dans un bruit de succion, laissant voir un homme pâle au chapeau haut de forme.
 
— Vous désirez vous rendre... ?
— Aux Marais Maudits, s'il vous plait ! annonça Huan. Heu... arrêt Léon Blum, je crois.
L'homme s'effaça pour le laisser entrer.
— Je dois vous prévenir que le temps est à l'orage, là-bas. Du tonnerre à vous réveiller les morts, si vous voyez ce que je veux dire.
Huan acquiesça. Super... il allait encore sentir le chien mouillé pendant des jours. Il prit place et le métro s'élança à travers les galeries obscures.
 
***
Comme l'avait annoncé le contrôleur, il faisait un temps épouvantable aux Marais Maudits. Des éclairs déchiraient le ciel noir de leurs griffes de lumière, tandis qu'une lourde pluie martelait le sol spongieux. La ville se distinguait parfois au loin, à la faveur d'un flash, déversant ses égouts dans ce lieu de perdition.
Huan sortit son parapluie et se mit en route. Il s'enfonça à travers les joncs, prenant garde aux flaques putrides qui bordaient le chemin. Il n'était pas rare qu'un monstre s'échappe des eaux bouillonnantes alentour pour s'en prendre aux voyageurs inconscients qui foulaient ces lieux.
Ce ne fut cependant pas un monstre qui prit Huan par surprise, mais bien l'orage lorsque la foudre s'abattit à quelques mètres du sentier sur lequel il se trouvait.
 
— Awoo ! Awoo ! aboya-t-il par réflexe, avant de plaquer ses deux mains sur sa bouche.
Ce genre de tic avait failli lui coûter une expulsion de son appartement, il y a quelque temps. Le gardien d'immeuble était convaincu qu'Huan cachait un chien chez lui.
— Et si j'achetais un collier anti-aboiement ? se dit-il tout haut.
 
Il n'eut pas le loisir d'accorder plus de temps à cette réflexion. À sa gauche, un bras surgissait de terre, réveillé par la foudre. Aux grognements et à l'agitation des roseaux alentour, ce n'était pas le premier mort à quitter sa tombe aujourd'hui.
Huan accéléra le pas.
 
— Hey, toi ! Ouais, toi là ! Va z'y pourquoi tu cours ?
Il ignora le zombie qui l'interpelait à grand cri et continua sa route. Hélas, trois autres morts-vivants surgissaient déjà des fourrés pour lui barrer la route. L'un d'eux n'était plus qu'un squelette sans chair.
— Oh ! Tu vas où comme ça ? T'es pressé ?
— Y va chez sa mémé, ça s'trouve !
Le regard de Huan glissa sur celui aux os exposés, et si pâles.
— Donne-nous ton cerveau et on te laisse passer ! fit l'un des zombies.
« De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, se répéta Huan dans sa tête. De grands pouvoirs impliquent... »
Des os si blancs, si... appétissants.
— File ton cerveau, t'entends Tête de pioche ?
— On te laisse ton parapluie moche si tu nous donnes ton cerveau, renchérit le squelette.
 
C'en était trop pour Huan. Un frisson lui remonta l'échine tandis que son dos se cambrait brusquement. Il y eut un bruit de déchirement et ses vêtements cédèrent, laissant place à des muscles gonflés et poilus. Sa bouche se déforma, remplaçant ses dents du bonheur qui attendrissaient tant sa mère par des crocs dégoulinants de bave.
 
— Woh ! Frère, t'énerve pas ! C'était pour déconner !
 
Il poussa un hurlement et se jeta sur ses assaillants.
 
***
La sorcière qui lui ouvrit la porte l'observa de la tête aux pieds, un sourcil relevé.
— On peut savoir pourquoi tu es nu ?
Huan cracha l'os qu'il avait dans la bouche et se ratatina un peu plus derrière son parapluie.
— J'ai eu quelques problèmes en chemin. Des zombies...
La sorcière leva les yeux au ciel.
— Et j'imagine que si tu es là c'est parce que...
— Oui, je n'ai plus de sauce spéciale pour mes hot dogs, admit-il, penaud.
La sorcière soupira et lui fit signe d'entrer.
— Sérieux Huan, va vraiment falloir que tu apprennes à monter une mayonnaise.

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