« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » Cet ensemble de mot s’enchaînait, s’enfilait dans ma tête. Ils raisonnent toujours aujourd’hui. Un lointain écho, un mirage auditif. C’était pourtant réel. Un accent agréable, mot à mot, elle les avait prononcés, avant d’attendre la lumière, sa lumière. Assise chaque matin, depuis six ans et quatre jours sur un fauteuil de velours beige, tournée vers le soleil, toujours en quête d’une liberté si proche, elle regardait l’extérieur, pensive. Les contours de son visage, éclairés pas les rayons lumineux, faisaient ressortir une peau marquée, tachetée, presque grisâtre, mais dont l’éclat n’avait en tous cas jamais été perdu. Il était caché entre ses rides d’âge. Des détails que j’ai toujours trouvés si beaux à regarder, à écouter. Une peau qui chuchotait, une peau qui parlait du passé, une peau symbole, préservation de l’ancien, preuve de renouveau, aussi. Une peau que je connaissais si bien, moi qui lui rendais visite chaque matin depuis maintenant six ans, et quelques jours. Je me souviens de mes premières venues chez elle. La maison semblait toujours pleine, toujours chaude, toujours ouverte. J’avais toujours trouvé cette maison plaisante, ensoleillée. L’entrée était toute carrelée de pierres bleutée. Dès que la porte s’ouvrait, la lumière du soleil tapait sur les murs bleus, lesquels éclairés la pièce d’une lumière tamisée. Lorsque que nous avancions dans ce long couloir bleu, la fin de celui-ci laissait place au salon. Une longue table en bois massif s’y trouvait, rassemblant, chaque membre de la famille lors d’événements, un décor presque luxueux. Grand-mère se tenait toujours sur le côté droit de la table, côté fenêtre, toujours côté lumière. Chaque matin, avant de me hâter pour suivre des cours d’écriture, je passais voir cette tendre femme. Je voulais devenir journaliste et je partageais ma passion pour la plume avec elle. Nous écrivions nos pensées ensemble, elle me parlait de sa longue vie, je lui parlais de mes quelques expériences. C’est elle qui m’a transmit cette force d’âme que je possède encore aujourd’hui, celle qui m’a permis de réaliser tant de rêve. Grand-mère n’avait pas toujours eu cette vie éclairée qu’elle possédait alors. Épuisée, elle accumulait travail et dureté, dans un atelier de couture. Grand-mère impressionnait tous ceux qu’elle rencontrait, en particulier ses deux sœurs, puis ses enfants, plus tard. Dès qu’elle franchissait le seuil de la porte, me racontait-elle, avant de se retourner vers ses deux sœurs dont elle s’occupait, elle enlevait son long manteau bleu marine, et, prétendant à un bonheur intérieur, prétendant que tout allait pour le mieux, elle prenait une bouffée d’air, pivotée en souriant, puis leur parlait d’une anecdote drôle du matin même, l’expression d’un visage rassurant, éclairant. Elle était un astre merveilleux. Sa présence, encore aujourd’hui, valait tous les soleils du monde. Elle faisait partie des personnes que j’admirais. Sereine et saine. Elle avait toujours su garder sa simplicité, me racontait mon père. C’était peut-être ce qui avait toujours fait son charme. Elle avait toujours eu cet esprit vif que j’adorais. Celui qui faisait que, lors de nos discutions quotidiennes, elle savait raconter son histoire, sans oublier ne serait-ce, qu’un détail. J’arrivais à imaginer chaque scène de son récit. Son manteau bleu accroché, elle essayait toujours de remettre sa longue frange brune en place, tout en se regardant dans le petit miroir brun qu’elle avait pu récupérer, peu après l’incendie. Elle posait ses affaires à terre, attachait ses longs cheveux bruns abîmés, puis embrasser Zina, ainsi que Nour. Elle rangeait ensuite les quelques bibelots qui traînaient, bien souvent en leur racontant le rêve qu’elle avait fait la veille. Grand-mère se passionnait pour l’univers du rêve, l’astrologie aussi. Elle me disait souvent que:«nos rêves peuvent être aussi nombreux que les étoiles dans le ciel noir, nous éclairant, il est impossible de les oublier. Veuille toujours sur tes rêves et ils te guideront Lina, benthi (1)». Elle continuait nos discutions en me servant un thé, des gâteaux arabes de la veille. Je m’empressais de les terminer pour me hâter dans les transports. Dans l’ancien appartement, chaque soir Fatma y disposait la table, éplucher ses factures, et enfin trouvait une minute ou deux pour coiffer sa longue chevelure, d’un «kardoun (2)».Tout cela, en utilisant la seule table «multitâches» qu’elles possédaient alors. En me racontant cela, elle touchait, presque mécaniquement, ses cheveux. J’avais la sensation qu’elle se sentait y être, que son esprit y été restait. N’osant pas lui faire la remarque, de peur de la frustrée, je ne commentai pas. Cette femme en face de moi, avait accumulé plusieurs emplois, toute sa vie, pour faire vivre sa famille. Lors d’un repas de famille j’eusse l’occasion de parler à Nour, elle compléta les récits de Fatma en rajoutant ce que, cette dernière, trop humble, avait gardé pour elle: «Jamais, au cours de toutes ses années, je n’ai entendu Fati se plaindre, malgré tout.» me disait-elle. Alors, lorsqu’elle pu enfin avoir la vie qu’elle méritait, après tant d’années, lorsqu’elle avait accomplie tout ce qu’elle devait accomplir, elle décida de suivre enfin la lumière, de ne plus se sacrifier. Elle m’a appris que, parfois, il suffit de se pencher vers la lumière, pour se rendre compte qu’elle était présente depuis le début. Un rayonnement, une renaissance, l’occasion de rendre notre âme vivifiée. Qu’il suffisait de simplement lâcher prise pour se rendre compte du poids qui nous encombrait, qui nous désaxait de la réalité, d’une réalité. C’est en se faisant que cette action permet le progrès. A la lumière.
C’est quand l’obscurité nous permet de voir le champ des possibles, et lorsque que l’horizon nous permet de percevoir l’espoir, que nous inspirons à un mieux-être, réel. C’est en cela que nous pouvons attester de notre progression: voir le possible quand il paraît inaccessible. Cela faisait six ans et huit jours que Fatma se tenait là, près de sa fenêtre, rêvant d’une liberté éclairée, d’une liberté espérée, d’une liberté tant voulu, qu’elle finira par avoir, de part son salut. Assise, les yeux brillants, un rayon transparent qui enrobait ses yeux d’un reflet vert, ces mêmes rayons de soleil qui l’éclairait quatre jours plutôt. Le regard pourtant vif, une incroyable douceur d’âme se propageait autour d’elle, elle semblait comme emportée. Le soleil, qu’elle chérissait tant, éclairé désormais toute la pièce. Comme jaunit par celui-ci, il avait rendu son éclat à chaque chose, à chaque être. Fatma semblait apaisée, tranquille, reposée. Le soleil lui donnait la force de lâcher prise. Elle donna sa confiance au soleil, cette fois, sans peur. Attirée par la lumière, elle se sentait libre, toujours assise, elle semblait voler. Son corps ne semblait qu’un simple frein à sa future liberté, alors elle laissa son âme s’en aller vers elle. Elle comprit qu’elle méritait repos et sérénité, ce que la vie ne lui avait donné. La mort peut-être lui accorderait-elle se privilège ? Lorsqu’elle se sentit faillir, elle prit ma main, ses yeux se plissaient, indépendamment de sa volonté, elle murmura «Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.» Elle qui aimait tant le soleil, était désormais dans le noir. Peu avant sa dernière respiration, son dernier battement, peu avant que son âme puisse s’envoler avec elle, je trouvai la force de lui glisser une réponse: « Tu es ta propre lumière, ma lumière aussi. Guide-moi, au-delà des étoiles qui nous ont toujours guidées. Réalise enfin tes chers rêves. Prend quelques pas d’avance vers le soleil, vers l’éclat, je te rejoindrai. » Je sentis sa main doucement lâcher la mienne. A ce moment, je sus qu’elle était désormais libre, dans le noir, ironiquement, et non comme elle l’eût toujours pensé, à la lumière.
(1) : Ma fille.
(2) : Long ruban servant à se coiffer.
C’est quand l’obscurité nous permet de voir le champ des possibles, et lorsque que l’horizon nous permet de percevoir l’espoir, que nous inspirons à un mieux-être, réel. C’est en cela que nous pouvons attester de notre progression: voir le possible quand il paraît inaccessible. Cela faisait six ans et huit jours que Fatma se tenait là, près de sa fenêtre, rêvant d’une liberté éclairée, d’une liberté espérée, d’une liberté tant voulu, qu’elle finira par avoir, de part son salut. Assise, les yeux brillants, un rayon transparent qui enrobait ses yeux d’un reflet vert, ces mêmes rayons de soleil qui l’éclairait quatre jours plutôt. Le regard pourtant vif, une incroyable douceur d’âme se propageait autour d’elle, elle semblait comme emportée. Le soleil, qu’elle chérissait tant, éclairé désormais toute la pièce. Comme jaunit par celui-ci, il avait rendu son éclat à chaque chose, à chaque être. Fatma semblait apaisée, tranquille, reposée. Le soleil lui donnait la force de lâcher prise. Elle donna sa confiance au soleil, cette fois, sans peur. Attirée par la lumière, elle se sentait libre, toujours assise, elle semblait voler. Son corps ne semblait qu’un simple frein à sa future liberté, alors elle laissa son âme s’en aller vers elle. Elle comprit qu’elle méritait repos et sérénité, ce que la vie ne lui avait donné. La mort peut-être lui accorderait-elle se privilège ? Lorsqu’elle se sentit faillir, elle prit ma main, ses yeux se plissaient, indépendamment de sa volonté, elle murmura «Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.» Elle qui aimait tant le soleil, était désormais dans le noir. Peu avant sa dernière respiration, son dernier battement, peu avant que son âme puisse s’envoler avec elle, je trouvai la force de lui glisser une réponse: « Tu es ta propre lumière, ma lumière aussi. Guide-moi, au-delà des étoiles qui nous ont toujours guidées. Réalise enfin tes chers rêves. Prend quelques pas d’avance vers le soleil, vers l’éclat, je te rejoindrai. » Je sentis sa main doucement lâcher la mienne. A ce moment, je sus qu’elle était désormais libre, dans le noir, ironiquement, et non comme elle l’eût toujours pensé, à la lumière.
(1) : Ma fille.
(2) : Long ruban servant à se coiffer.