Talibé

« Maître ? vous plaisantez ? vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître ». Je suis éreinté que vous me rouillez de coups pourtant on est loin d'être dans une vraie école. Je me plains ainsi à chaque fois où notre marabout nous sanctionnait pour nous pousser à réciter le coran sans trébucher ni omettre les versets. Je n'ai pas eu la chance de fréquenter l'école traditionnelle mais ce sentiment me laisse sans voix à chaque fois où j'y pense. Je me dis que je n'aurai pas à connaitre un avenir meilleur comme mes amis scolarisés. A chaque fois où je me promène de maison en maison à la quête de la bouffe, ma vie prend littéralement une tournure où je me dis que je dépendrai entièrement de la société. Celle-ci me verra certainement comme une gêne ou une éducation ratée de mes parents.
Ce n'est pas de leur faute, mes parents estiment que le meilleur savoir se trouve dans la religion et qu'un jour je serai un marabout pour avoir la bénédiction du tout puissant Allah et gagner le paradis éternel. C'est la meilleure voie pour accéder au paradis éternel de Dieu.
C'est ainsi, ils m'ont remis sans provision entre les mains d'Alfa Omar. Depuis lors, nous déambulons de village en village. Au cours de nos innombrables voyages nous arrivions enfin à Niamey, la capitale du Niger. C'est notre destination finale. Notre maître choisit toujours la période après hivernage pour s'y rendre en compagnie de ses talibés. Cette fois-ci, j'en fais partir du lot.
D'abord, on était hébergé dans une parcelle vide d'un généreux citadin Elhadji Gambo qui avait eu la noble gentillesse de nous offrir un chez. Dans cette ville, la loi est celle de tout pour soi et Dieu pour tous. Elhadji voulant que notre maitre lui rende des services occultes, l'a accueilli là-bas pour mieux exploiter son savoir-faire mystique. Etant dans le rouage politique, c'est une chose ordinaire. Il a besoin que notre maître puisse invoquer le tout puissant pour faire briller sa carrière politique et fermer l'œil des observateurs sur ses enrichissements illicites. C'est pour cela, il nous montre une générosité sans mesure. C'est une façon de profiter de nous. C'est d'ailleurs, la seule voie pour les marabouts de gagner leur vie. En effet, le marabout n'a pas de salaire mensuel, la société leur retourne leur service par la bénédiction d'Allah. Leur salaire sera pour l'au-delà.
Ensuite, notre maitre nous fit dresser une maisonnette pour nous abriter malgré la fraicheur tonitruante qui se faisait pendant ce moment, on dort souvent dehors. On n'est habitué à cela. Des conditions modestes, c'est la première règle qu'on nous a appris pour devenir un bon serviteur de Dieu et être digne de porter l'héritage des prophètes. On ne se fait aucun souci pour nos habits. On ne se demande jamais comment se nourrir car nous savons que la société sera généreuse envers nous dans ce cas.
On étudie sitôt le matin et tard la nuit. C'est le bon moment pour apprendre le coran. Notre maître veille sur la discipline de l'école et la progression de chacun de ses disciples. Les paresseux se verront récompenser par la foudre sur le dos. Les bons élèves seront les plus proches du maître et bénéficieront des avantages.
A son absence, ils le remplacent et nous font imposer leur dictat. J'ai eu du mal à m'habituer à cette vie. Loin de mes parents, je deviens souvent adulte malgré mon jeune âge. J'apprends à affronter les vrais problèmes de la vie. Je voyais le maitre comme mon bourreau et je condamnais mes parents qui m'ont mis dans cette situation pénible. Je mis qu'ils l'ont fait car ils ne m'aiment pas. Avec cette douleur, je suis devenu un garçon belliqueux. J'en veux à tout le monde. Mon sort me laisse dans une philosophie où l'homme n'est pas si diffèrent de l'animal s'il ne peut pas bien s'occuper de ses enfants. Celui qui m'aidait à tenir dans cette condition inhumaine est mon ami Kado. Nos premiers contacts ne se sont pas passées sur des bons ciels. Mais nous avons tous une situation similaire. On nous a envoyé contre notre gré à cette école. Après les cours, on part ensemble quémander en ville. On nous donne des aumônes par pitié ou par charité. On nous met dans un apprentissage de gain facile où nous serons à la longue un poids pour la société. On nous regarde comme une erreur de la société. Est-il de notre faute. Non.
J'ai trouvé du plaisir à apprendre le coran et la science islamique. Mon souhait serait d'apprendre des deux écoles, moderne et coranique. Sans l'école moderne, je n'aurai pas un diplôme pour travailler. Ainsi, ma situation financière me pousserait à des pratiques qui parfois n‘honorent pas ma religion. L'obstacle, les écoles coraniques ne sont pas certifiées comme formelles par conséquent vous avez beau être un érudit, vous ne serez employé que pour accomplir des services occultes aux riches de la société. Voyant le cas de notre marabout, je pleure mon sort de ne pas être à l'école moderne. Tenter ma chance, qui sait ce que la vie me réserve là-bas. Peut-être, je serai le PDG d'une société que de toujours tendre la main aux autres. Je ne veux pas dépendre des autres. J'ai besoin d'apprendre beaucoup de l'islam mais je devrais aussi pour cela avoir une stabilité économique. Ce que je ne perçois pas dans ma vie maintenant.