Sur le mur d'en face

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Quelque chose l'avait réveillé. Quelque chose qui faisait battre son cœur à tout rompre et le laissait tremblant de peur dans son lit. Valentin n'avait que sept ans mais il était largement capable de faire la différence entre un mauvais rêve et la réalité, et ce qui l'avait tiré de son sommeil ne provenait pas de ses rêves. Des éclats de voix venant de l'impasse derrière la maison résonnaient dans sa chambre aux fenêtres laissées ouvertes tant la chaleur semblait coller aussi bien aux nuits qu'aux journées de cet été sans fin.

Valentin regarda l'ombre du grand chêne qui se découpait sur les murs de sa chambre. Quand il y avait du vent, les feuilles s'agitaient en ombres chinoises. Dans ce décor mouvant, le petit garçon s'inventait des mondes pleins de sorciers, monstres et chevaliers courant sur les branches, toujours prompts à se multiplier en myriades d'histoires merveilleuses ou terrifiantes qui l'aidaient toujours à s'endormir.

Cette nuit-là, pas un souffle de vent n'agitait l'arbre qui, révélé par le halo de la lune, paraissait avoir été dessiné sur le mur, dans une inquiétante immobilité. Il tenta de calmer sa peur, de faire taire la petite alerte dans sa tête qui criait au monstre, au croquemitaine en embuscade derrière la fenêtre ouverte. Non allons ! Ça n'existe pas les croquemitaines, c'est que des histoires pour faire peur ! Se décrétant plus curieux qu'apeuré et de toute façon, désormais complètement réveillé, il se leva et s'approcha de la fenêtre. Ce qu'il vit alors constituerait le paysage de ses cauchemars pour de nombreuses nuits et de nombreuses histoires à venir.

Dans l'impasse que la pleine lune éclairait comme un projecteur de théâtre, une jeune fille était appuyée contre le mur d'enceinte du parc et faisait face à trois hommes. De sa fenêtre, Valentin ne voyait que leurs ombres menaçantes reportées sur les pavés de la rue. Du haut de ses sept ans, il comprenait que la jeune fille courait un danger. Pourtant, elle semblait calme, malgré ses vêtements déchirés et l'une de ses chaussures qui gisait à ses pieds.

Les trois hommes avancèrent de quelques pas vers elle, leur ombre s'étirant à présent sur le mur. Ils étaient tous près de la jeune fille, l'encerclant dans une posture menaçante. Mais alors que leurs trois ombres se confondaient en une seule couvrant celle de la jeune fille, quelque chose d'inattendu se produisit.

D'abord, Valentin crut voir la jeune fille le regarder et lui faire un sourire, doublé d'un clin d'œil. Il se recula instinctivement, mais pas assez vite pour ne pas voir ce qui se dessinait sur le mur d'en face. L'ombre de la jeune fille se détachait progressivement de celle des trois hommes. Si elle représentait toujours sa frêle silhouette, Valentin remarqua avec effroi que l'ombre bougeait toute seule et grandissait démesurément sur le mur, occupant la totalité de la surface alors que la jeune fille se tenait toujours immobile.

Le mot sorcière vint tout de suite à l'esprit de Valentin qui redouta aussitôt de l'avoir prononcé. Il était resté pétrifié, sans voix, les mains moites agrippées au garde-corps de la fenêtre. Il ne pouvait détacher ses yeux de l'ombre qui prenait une forme de moins en moins humaine et présentait des caractéristiques dignes d'un des monstres à qui Valentin donnait vie dans ses histoires à ne pas dormir du tout.

L'ombre déploya ses bras démesurés terminés par des doigts crochus. La chose sur le mur fondit d'un coup sur les trois ombres des hommes. Le visage de profil présentait une bouche qui s'ouvrit sur deux rangées de dents pointues. Les trois ombres furent englouties, happées par cette bouche infernale et disparurent dans la grande tache noire qui se découpait avec une netteté terrifiante sur le blanc du mur.

Puis, l'ombre reprit la forme humaine de la jeune fille. Elle était seule, aucune trace des trois hommes. Elle lissa sa jupe ramassa sa chaussure, recoiffa ses cheveux et quitta la ruelle. Valentin n'avait pas rêvé, l'ombre de la jeune fille avait littéralement mangé les trois hommes ! Quand elle arriva au bout de l'impasse elle se retourna et regarda dans sa direction. Il vit alors son ombre sur le mur d'en face l'index levé devant la bouche en signe de silence. Valentin hocha la tête pour acquiescer. Il regarda captivé l'ombre glisser sur les pavés et suivre docile, la jeune fille qui s'en allait.

Les monstres existent, les croquemitaines aussi et parfois la nuit, quand la lune est pleine, qu'aucun souffle de vent n'agite les branches des arbres, on peut voir leurs ombres glisser le long des murs, là, juste en face de vos fenêtres ouvertes.

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Image de Sur le mur d'en face
Illustration : Pablo Vasquez

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