Nouvelles
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Université du Rwanda - Rwanda
Sous les balles, les rêves
Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié.
Ou peut-être ai-je simplement trop vu. Trop entendu. Trop perdu.
Il ne me reste que les échos des cris, des courses à l'aube, des détonations, des larmes avalées dans l'obscurité. Le passé s'est effacé, brûlé par les flammes des souvenirs trop lourds à porter. Et pourtant, dans cet oubli volontaire, une chose demeure : les rêves.
Ou peut-être ai-je simplement trop vu. Trop entendu. Trop perdu.
Il ne me reste que les échos des cris, des courses à l'aube, des détonations, des larmes avalées dans l'obscurité. Le passé s'est effacé, brûlé par les flammes des souvenirs trop lourds à porter. Et pourtant, dans cet oubli volontaire, une chose demeure : les rêves.
Je suis né quelque part à Kisangani, sur cette terre que les cartes appellent « riche », mais que les vivants appellent « meurtrie ». Dès mes premiers instants, on m'a enveloppé non dans des linges doux, mais dans une atmosphère tendue, chargée du fracas des conflits et du silence des prières muettes. Le Congo, vaste et fertile, est un géant aux pieds enchaînés, béni par Dieu, trahi par les hommes.
À l'époque, je ne comprenais rien de tout cela. Tout ce que je voyais, c'était les allées et venues des adultes aux visages fermés, les départs précipités, les nuits passées sans électricité, le bruit des armes lointaines qui, parfois, se rapprochaient trop. Le lait du matin avait le goût de la peur. Les jeux d'enfants se terminaient souvent en cache-cache contre la mort.
Puis Goma est devenue notre point de chute. Pas un refuge. Un autre théâtre. Un autre champ de guerre. Ici, les balles chantaient plus souvent que les oiseaux. La terre tremblait parfois, non sous nos pas, mais sous les colères du volcan, comme si même la nature voulait crier sa douleur.
J'avais une petite sœur. Elle s'appelait Aïcha. Elle courait toujours plus vite que moi. Ses rires étaient des flèches de lumière dans nos jours sombres. Puis, un soir, elle n'a pas couru assez vite. Une rafale, un cri, et le silence. Je n'ai jamais pu regarder le sang qui avait taché sa robe bleue. C'est ce jour-là, je crois, que j'ai décidé d'oublier d'où je venais.
Mais comment oublier le pays de ses morts ?
Comment fuir une terre qui vous suit jusque dans les rêves ?
Comment fuir une terre qui vous suit jusque dans les rêves ?
Nous sommes partis pour Kinshasa. La capitale. Un autre monde. Là-bas, ce n'était pas la guerre des balles, mais celle de l'indifférence. On m'appelait « l'enfant de là-bas ». On riait de mon accent. Je n'étais pas d'ici. Je n'étais de nulle part. J'ai appris à me taire. À disparaître dans les foules. À survivre en silence.
Mais mon cœur criait encore. Les souvenirs étouffés devenaient des fantômes. J'écrivais des poèmes sur les murs de l'école. On les effaçait. Alors je les écrivais dans ma tête, chaque nuit.
Je rêvais. D'un monde sans cris. D'un matin où l'on ne court pas.
D'un pays où la richesse nourrit l'enfant, pas la guerre.
Je rêvais. D'un monde sans cris. D'un matin où l'on ne court pas.
D'un pays où la richesse nourrit l'enfant, pas la guerre.
Un jour, un professeur m'a vu. Il m'a tendu un vieux livre : « L'homme qui plantait des arbres ». Il m'a dit : « Même sous les balles, il faut semer quelque chose. » Je n'ai jamais oublié cette phrase. Ce fut le début d'un nouveau rêve.
Je suis parti. Encore. Kigali m'a accueilli comme une promesse. La ville était calme, propre, ordonnée. Mais moi, à l'intérieur, j'étais encore le chaos. On ne quitte pas la guerre comme on quitte une maison. Elle s'accroche à la peau, aux gestes, aux nuits.
Je regardais les enfants jouer dans les cours d'école, sans peur. J'enviais leur innocence. Moi, à leur âge, je dessinais des kalachnikovs dans les marges de mes cahiers.
Un jour, en marchant derrière une école, j'ai vu un enfant planter un arbre. Il riait. Ses mains étaient sales, mais son regard brillait. C'est là que j'ai su : je voulais aussi planter des choses. Pas des bombes. Pas des tombes. Mais des idées. Des rêves.
Un jour, en marchant derrière une école, j'ai vu un enfant planter un arbre. Il riait. Ses mains étaient sales, mais son regard brillait. C'est là que j'ai su : je voulais aussi planter des choses. Pas des bombes. Pas des tombes. Mais des idées. Des rêves.
C'est ainsi que mon passé, aussi brisé soit-il, est devenu une semence.
À Kigali, j'ai étudié. J'ai parlé. J'ai écrit. J'ai crié les douleurs de mon peuple en silence, à travers les mots. Mon Congo n'était plus une malédiction, mais un combat. Pas avec les armes. Mais avec l'encre. La mémoire. L'espoir.
À Kigali, j'ai étudié. J'ai parlé. J'ai écrit. J'ai crié les douleurs de mon peuple en silence, à travers les mots. Mon Congo n'était plus une malédiction, mais un combat. Pas avec les armes. Mais avec l'encre. La mémoire. L'espoir.
Je suis retourné au Congo. Différent. Plus fort. Mais les terres n'avaient pas changé. Les mêmes combats. Les mêmes visages épuisés. Les mêmes enfants qui courent quand un pneu éclate.
Mais cette fois, j'avais quelque chose. Une histoire. La mienne.
Mais cette fois, j'avais quelque chose. Une histoire. La mienne.
Je ne peux pas raconter d'où je viens, car cela exigerait de raviver chaque cri, chaque perte. Mais je peux raconter où je vais. Et pourquoi je marche.
Je vais vers les enfants.
Je vais vers ceux qui, comme moi, ont perdu trop tôt, vu trop vite, grandi trop mal.
Je vais planter des rêves, même sous les balles.
Je vais vers ceux qui, comme moi, ont perdu trop tôt, vu trop vite, grandi trop mal.
Je vais planter des rêves, même sous les balles.
C'est cela, mon histoire.
Un fleuve de douleurs traversé à la nage.
Un pays d'or couvert de larmes.
Un enfant sans passé qui devient voix.
Une terre qui souffre mais qui chante encore.
Un fleuve de douleurs traversé à la nage.
Un pays d'or couvert de larmes.
Un enfant sans passé qui devient voix.
Une terre qui souffre mais qui chante encore.
Je n'ai jamais voulu que mon histoire serve à faire pleurer. Ni à choquer.
Je l'écris pour qu'on n'oublie pas. Pour que quelqu'un, quelque part, comprenne qu'au-delà des statistiques, des conflits et des ressources pillées, il y a des enfants. Des enfants qui rêvent sous les balles. Des enfants qui méritent mieux que des ruines pour berceau.
Je l'écris pour qu'on n'oublie pas. Pour que quelqu'un, quelque part, comprenne qu'au-delà des statistiques, des conflits et des ressources pillées, il y a des enfants. Des enfants qui rêvent sous les balles. Des enfants qui méritent mieux que des ruines pour berceau.
Le Congo n'est pas qu'un champ de guerre. C'est un berceau de talents, de chants, de danses, de savoirs que l'on étouffe.
Ce pays est vivant. Mais il suffoque. Chaque fusil tiré est une école qui ferme. Chaque minerai volé est un enfant qui meurt de faim. Chaque silence de la communauté internationale est une complicité de plus.
Et pourtant, malgré tout cela, j'ai foi.
Foi en ma génération. Foi en ceux qui, comme moi, ont décidé de briser le silence. De faire de leur douleur une parole. De faire de leurs larmes une encre. De faire de leur passé une semence d'avenir.
Foi en ma génération. Foi en ceux qui, comme moi, ont décidé de briser le silence. De faire de leur douleur une parole. De faire de leurs larmes une encre. De faire de leur passé une semence d'avenir.
Aux décideurs politiques et partenaires internationaux :
Écoutez les voix des survivants, pas seulement les rapports des analystes.
Protégez les ressources du Congo pour qu'elles servent enfin au peuple, et non aux prédateurs économiques.
Investissez dans l'éducation, car elle est la seule arme que nous voulons manier.
Aux éducateurs et enseignants :
Protégez les ressources du Congo pour qu'elles servent enfin au peuple, et non aux prédateurs économiques.
Investissez dans l'éducation, car elle est la seule arme que nous voulons manier.
Aux éducateurs et enseignants :
Enseignez l'histoire du Congo avec vérité et dignité.
Apprenez aux enfants à rêver plus fort que les armes, à écrire leur futur avec des crayons, pas avec des blessures.
Donnez-leur des livres, pas des peurs.
À la jeunesse congolaise :
Apprenez aux enfants à rêver plus fort que les armes, à écrire leur futur avec des crayons, pas avec des blessures.
Donnez-leur des livres, pas des peurs.
À la jeunesse congolaise :
Ton histoire n'est pas une honte, mais une force.
Transforme ta colère en création, ton exil en élévation, tes cicatrices en poèmes.
Sois la réponse que nos ancêtres espéraient.
Et à toi, lecteur, où que tu sois :
Transforme ta colère en création, ton exil en élévation, tes cicatrices en poèmes.
Sois la réponse que nos ancêtres espéraient.
Et à toi, lecteur, où que tu sois :
Ne détourne pas le regard.
Chaque guerre oubliée devient une guerre qui recommence.
Si tu lis ces lignes, c'est que tu peux encore faire quelque chose. Parle. Écris. Aime. Agis. Et surtout, n'oublie pas.
Je ne peux pas raconter d'où je viens, parce que ce que j'ai vécu est trop vaste pour une seule mémoire. Mais je peux témoigner d'où je vais. Et j'y vais avec un rêve dans les mains. Même s'il tremble. Même s'il saigne. Car même sous les balles, les rêves, eux, ne meurent pas.
Chaque guerre oubliée devient une guerre qui recommence.
Si tu lis ces lignes, c'est que tu peux encore faire quelque chose. Parle. Écris. Aime. Agis. Et surtout, n'oublie pas.
Je ne peux pas raconter d'où je viens, parce que ce que j'ai vécu est trop vaste pour une seule mémoire. Mais je peux témoigner d'où je vais. Et j'y vais avec un rêve dans les mains. Même s'il tremble. Même s'il saigne. Car même sous les balles, les rêves, eux, ne meurent pas.
Je m'appelle peut-être Jérémie. Ou peut-être pas. Ce nom, je l'ai choisi parce qu'il signifie « Dieu élève ». Et malgré tout ce que j'ai vu, je crois encore qu'Il élève.
Même dans les décombres.
Même au cœur de l'oubli.
Même sous les balles, les rêves naissent.