Le soleil qui luisait largement sur les recoins de Martissant au midi sonore, revenait à quatre heures de l’après-midi, pour jeter sa flamme cuisante sur le terrain de nankajou. Une chaleur intense venait posséder le corps des gens qui assistaient à ce championnat, ce rendez-vous de chaque été. La sueur dégoulina sur le visage du public en attente du grand spectacle. Une légère brise souffla dans les parages et souleva une poussière basaltique qui embrassa les pieds des joueurs attendant le sifflement de l’arbitre, pour débuter cette belle aventure. Les ponctuations « olé » du public se mélangeaient au son des instruments que jouaient cette bande de Rara. Je les entendais de là où j’étais. J’avais envie d’être là, ici sur le terrain, à marquer des buts en l’honneur de mon père. Très avide, je faisais le tour de la maison. Le cri des bétails, s’attelant près du terrain, traversa mon pavillon. Ce serait très bon de musarder dehors à cette heure, me rassurai-je ?
« C’est un match que je ne peux pas manquer, peu importe ce que va dire maman» me dis-je ? Je laissai les vaisselles. Je rentrais tout de go dans ma chambre pour prendre discrètement mes équipements puis je partis en vitesse pour ne pas croiser le regard de maman qui m’interdit de jouer au football par crainte de finir, comme mon père, sur un lit d’hôpital. Je n’avais pas le même physique que lui, il était robuste et moi le contraire, et nous n’avions pas les mêmes tactiques. Plus de mots là-dessus, cette passion pour le football, je l’ai héritée de lui. J’enfilais à la va-vite mon uniforme ainsi que mes paires de crampon puis je bondis sur le terrain.
Un coup de sifflet, la longue attente se dissipa. Le public criait trois fois « Soso ! ». Et moi, après chaque but, je poussai haut les mains pour exciter le public « Olé ». Je dribblais à peine un joueur près de la ligne médiane quand je sentis cette main en colère coller dans mon dos. « Soso ! Ne t’ai-je pas interdit de jouer au foot ? Me questionna maman, toute agitée? Puis, elle me força de quitter le terrain avec un fouet en mains, me giflant devant mes fans qui se mirent en colère. « Oh ! Non madame ! C’est injuste ! » Crièrent-t-ils. En arrivant à la maison, je ripostais mais c’était vain. Elle resta indifférente.
Le lendemain matin, je me réveillai au bruit des coqs chantant dans les ravins, avec des éraflures éparpillées sur mon corps. En les regardant, je m’étais promis de continuer à jouer au football jusqu’à ce que j'aie l’assentiment de ma mère. Jusqu’à ce que je sois accepté dans un club. Jusqu’à ce que je fasse partie de l’équipe nationale. Jusqu’à ce que je me fasse un nom dans ce domaine, en Haiti et ailleurs. Puis, je me taisais.
Les touffes de laurier-rose, servant d’appât devant notre portail, dégageaient une bonne odeur. Tel un encens monté aux cieux. J’en humais par mes narines. J’ai pris ma tasse de tisane, ensuite ma tasse de café. Je les ai toutes bues. Ces tasses m’inspiraient une nouvelle force, puis, je pris mes équipements et partis m’entrainer. Sur le terrain, le match battait son plein. La balle passait de pieds en pieds, pénétrant le filet de l’équipe adverse. J’étais ravie.
On venait informer ma mère de ma participation au match. En rentrant, elle m’avait battu à point de rester planter au lit et avait brulé tous mes équipements de sports : ballon, chaussures, bas et tout le reste, tout en me lançant des invectives du genre « tu n’as pas honte de toi, c’est un jeu très masculin, et regarde-toi, tu es toute chétive !». Je la regardais d’un œil furibond. Fondue en larmes, je restais nuque courbée. J’étais attristée et abattue. Mon âme ne pouvait retourner à son repos tellement que j’étais tarabustée. Elle m’avait fait savoir qu’elle m’ignorerait complètement au cas où j’aurai reçu un tacle au foot. « je ne te laisserai plus d’argent pour t’acheter quoi ce soit demain ! » Lança-t-elle d’un ton à exploser. Les voisines entendirent toutes ces méchantes paroles. Je m’étais alors convaincue de rester enfermée à la maison tout le long de la semaine pour ne pas devenir l’objet de la risée de ces commères.
Quelques jours après, je m’étais réveillée en sursaut, cette fois-ci, ce n’était pas le chant des coqs qui m’alertait, mais plutôt le fumet d’une soupe au giraumon que la voisine d’en face préparait pour recevoir les esprits. Mes papilles gustatives secrétèrent beaucoup. J’avais envie de bondir sur la table de la voisine et participer comme convive à cette réception des saints. Mais, je m’étais retenue par crainte d’être mal comprise et perçue. Le soleil continuait à taper fort et haut dans le ciel, je me suais à grosses gouttes. Plusieurs jours, sans un ballon à manipuler, me paraissait invraisemblable. Très tourmentée, j’ai pris ma douche puis je me dirigeais vers le chemin se débouchant droitement sur le terrain de foot.
Ce jour-là, le chant des oiseaux des champs me servait de stimulus. J’entendis un refrain qui n’était pas ordinaire. J’ai demandé à un des potes qui devait jouer en seconde mi-temps de me passer ses équipements puis je me rendais sur le terrain. Ils étaient ravis de me voir à nouveau dans le match. On était à une trentaine de minutes du jeu et les buts se marquaient dans le camp adverse. Nos adversaires se mirent en colère et transformèrent le match en un jeu de mortel combat. J’ai reçu un tacle et je tombais à la renverse sur la pelouse. J’ai eu une fracture au niveau des genoux. Et ma mère se donnait raison « Je te l’avais dit ! Adolescente têtue ! Tu préférais finir comme ton père. Tu ne peux pas jouer au foot ! Tu es une fille au cas où tu l’aurais oublié» m’en rappela-t-elle? « Ne vous inquiétez pas madame, elle sera rétablie d’une semaine à l’autre » rassura le médecin. Il m’avait conseillé de prendre congé du terrain en attendant que j’aille mieux. Et ma mère, de son côté, m’avait obligé à m’inscrire dans une école de haute couture et de broderie. Elle ne voulait plus entendre parler du football à la maison et resta ferme sur sa décision. Nul besoin de m’expliquer à elle sinon je devrais quitter son toit.
C’était triste ! Et je pleurais à chaque fois que je m’étais vue dans cette salle remplie de machine à coudre. Mais, je ne voulais pas être privée de soin à la maison. Je m’étais soumise, avec beaucoup de gêne surtout. Je ne me sentais pas vraiment dans ma peau. Mes pairs, le ballon, le terrain, tous me manquaient beaucoup. Le crépuscule jetait encore ses dernières lueurs dans les hauteurs de Martissant, je restais plantée sur une chaise sur notre galerie jusqu’à la tombée de la nuit. Je voyais les lucioles pavaner dans les jardins. J’avais un peu l’air contente. Puis, j’entendais une voix qui me disait « Soso ! Soso ! Ne te laisse pas vaincre !» Et, j’ai vu l’ombre qui s’effaça dans le jardin. C’était papa ! Je l’avais reconnu rapidement.
Quelques semaines après, toute décidée, j’avais repris le ballon. Plus rien ne pouvait me dissuader. J’avais marqué ce jour-là plus de buts qu’autrefois. Maman qui, étant venue pour m’interrompre, s’était convaincu que le football et moi formions un très beau couple. Le président de la ligue féminine haïtienne qui assistait à ce match m’avait dit qu’il voudrait bien me prendre dans l’équipe nationale de football féminin comme attaquante. J’étais ravie. Quelques années après, j’avais pris part à la coupe du monde féminin et mon pays, Haiti, était sacré champion. J’ai été promue plus tard dans un club en France. Et, je profitais pour entamer un projet qui entendra soutenir les jeunes filles ayant manifesté un intérêt pour le football en vue de les donner de l’élan.
« C’est un match que je ne peux pas manquer, peu importe ce que va dire maman» me dis-je ? Je laissai les vaisselles. Je rentrais tout de go dans ma chambre pour prendre discrètement mes équipements puis je partis en vitesse pour ne pas croiser le regard de maman qui m’interdit de jouer au football par crainte de finir, comme mon père, sur un lit d’hôpital. Je n’avais pas le même physique que lui, il était robuste et moi le contraire, et nous n’avions pas les mêmes tactiques. Plus de mots là-dessus, cette passion pour le football, je l’ai héritée de lui. J’enfilais à la va-vite mon uniforme ainsi que mes paires de crampon puis je bondis sur le terrain.
Un coup de sifflet, la longue attente se dissipa. Le public criait trois fois « Soso ! ». Et moi, après chaque but, je poussai haut les mains pour exciter le public « Olé ». Je dribblais à peine un joueur près de la ligne médiane quand je sentis cette main en colère coller dans mon dos. « Soso ! Ne t’ai-je pas interdit de jouer au foot ? Me questionna maman, toute agitée? Puis, elle me força de quitter le terrain avec un fouet en mains, me giflant devant mes fans qui se mirent en colère. « Oh ! Non madame ! C’est injuste ! » Crièrent-t-ils. En arrivant à la maison, je ripostais mais c’était vain. Elle resta indifférente.
Le lendemain matin, je me réveillai au bruit des coqs chantant dans les ravins, avec des éraflures éparpillées sur mon corps. En les regardant, je m’étais promis de continuer à jouer au football jusqu’à ce que j'aie l’assentiment de ma mère. Jusqu’à ce que je sois accepté dans un club. Jusqu’à ce que je fasse partie de l’équipe nationale. Jusqu’à ce que je me fasse un nom dans ce domaine, en Haiti et ailleurs. Puis, je me taisais.
Les touffes de laurier-rose, servant d’appât devant notre portail, dégageaient une bonne odeur. Tel un encens monté aux cieux. J’en humais par mes narines. J’ai pris ma tasse de tisane, ensuite ma tasse de café. Je les ai toutes bues. Ces tasses m’inspiraient une nouvelle force, puis, je pris mes équipements et partis m’entrainer. Sur le terrain, le match battait son plein. La balle passait de pieds en pieds, pénétrant le filet de l’équipe adverse. J’étais ravie.
On venait informer ma mère de ma participation au match. En rentrant, elle m’avait battu à point de rester planter au lit et avait brulé tous mes équipements de sports : ballon, chaussures, bas et tout le reste, tout en me lançant des invectives du genre « tu n’as pas honte de toi, c’est un jeu très masculin, et regarde-toi, tu es toute chétive !». Je la regardais d’un œil furibond. Fondue en larmes, je restais nuque courbée. J’étais attristée et abattue. Mon âme ne pouvait retourner à son repos tellement que j’étais tarabustée. Elle m’avait fait savoir qu’elle m’ignorerait complètement au cas où j’aurai reçu un tacle au foot. « je ne te laisserai plus d’argent pour t’acheter quoi ce soit demain ! » Lança-t-elle d’un ton à exploser. Les voisines entendirent toutes ces méchantes paroles. Je m’étais alors convaincue de rester enfermée à la maison tout le long de la semaine pour ne pas devenir l’objet de la risée de ces commères.
Quelques jours après, je m’étais réveillée en sursaut, cette fois-ci, ce n’était pas le chant des coqs qui m’alertait, mais plutôt le fumet d’une soupe au giraumon que la voisine d’en face préparait pour recevoir les esprits. Mes papilles gustatives secrétèrent beaucoup. J’avais envie de bondir sur la table de la voisine et participer comme convive à cette réception des saints. Mais, je m’étais retenue par crainte d’être mal comprise et perçue. Le soleil continuait à taper fort et haut dans le ciel, je me suais à grosses gouttes. Plusieurs jours, sans un ballon à manipuler, me paraissait invraisemblable. Très tourmentée, j’ai pris ma douche puis je me dirigeais vers le chemin se débouchant droitement sur le terrain de foot.
Ce jour-là, le chant des oiseaux des champs me servait de stimulus. J’entendis un refrain qui n’était pas ordinaire. J’ai demandé à un des potes qui devait jouer en seconde mi-temps de me passer ses équipements puis je me rendais sur le terrain. Ils étaient ravis de me voir à nouveau dans le match. On était à une trentaine de minutes du jeu et les buts se marquaient dans le camp adverse. Nos adversaires se mirent en colère et transformèrent le match en un jeu de mortel combat. J’ai reçu un tacle et je tombais à la renverse sur la pelouse. J’ai eu une fracture au niveau des genoux. Et ma mère se donnait raison « Je te l’avais dit ! Adolescente têtue ! Tu préférais finir comme ton père. Tu ne peux pas jouer au foot ! Tu es une fille au cas où tu l’aurais oublié» m’en rappela-t-elle? « Ne vous inquiétez pas madame, elle sera rétablie d’une semaine à l’autre » rassura le médecin. Il m’avait conseillé de prendre congé du terrain en attendant que j’aille mieux. Et ma mère, de son côté, m’avait obligé à m’inscrire dans une école de haute couture et de broderie. Elle ne voulait plus entendre parler du football à la maison et resta ferme sur sa décision. Nul besoin de m’expliquer à elle sinon je devrais quitter son toit.
C’était triste ! Et je pleurais à chaque fois que je m’étais vue dans cette salle remplie de machine à coudre. Mais, je ne voulais pas être privée de soin à la maison. Je m’étais soumise, avec beaucoup de gêne surtout. Je ne me sentais pas vraiment dans ma peau. Mes pairs, le ballon, le terrain, tous me manquaient beaucoup. Le crépuscule jetait encore ses dernières lueurs dans les hauteurs de Martissant, je restais plantée sur une chaise sur notre galerie jusqu’à la tombée de la nuit. Je voyais les lucioles pavaner dans les jardins. J’avais un peu l’air contente. Puis, j’entendais une voix qui me disait « Soso ! Soso ! Ne te laisse pas vaincre !» Et, j’ai vu l’ombre qui s’effaça dans le jardin. C’était papa ! Je l’avais reconnu rapidement.
Quelques semaines après, toute décidée, j’avais repris le ballon. Plus rien ne pouvait me dissuader. J’avais marqué ce jour-là plus de buts qu’autrefois. Maman qui, étant venue pour m’interrompre, s’était convaincu que le football et moi formions un très beau couple. Le président de la ligue féminine haïtienne qui assistait à ce match m’avait dit qu’il voudrait bien me prendre dans l’équipe nationale de football féminin comme attaquante. J’étais ravie. Quelques années après, j’avais pris part à la coupe du monde féminin et mon pays, Haiti, était sacré champion. J’ai été promue plus tard dans un club en France. Et, je profitais pour entamer un projet qui entendra soutenir les jeunes filles ayant manifesté un intérêt pour le football en vue de les donner de l’élan.