Je suis dans le couloir qui mène à l’Accor Arena. Ce soir, c’est la finale féminine de la coupe de
France. Mon coeur bat la chamade. Ce petit pincement qui m’a si souvent accompagnée. Je regarde
Jeanne qui n’en mène pas plus large que moi. Et en un instant, toute mon enfance me revient, mes
rêves, mes batailles et notre parcours commun. C’est à elle et à son frère que je dois la trouille
d’être là ce soir.
J’ai 5 ans et demi, mes parents viennent de m’inscrire au Nauting Club Municipal. Oui, ils sont
sportifs et après les bébés nageurs, les cours de natation, une carrière de nageuse s’ouvre à moi !
J’adore nager mais faire des longueurs ne m’amuse pas.
- Tu étais d’accord, Lola, tu feras toute la saison ! Dit papa, en fronçant les sourcils, quand je
pleurniche dans la voiture ou que j’ai encore une fois oublié mes affaires .
- Mais moi je veux faire de la danse avec mes copines.
L’année suivante, maman a convaincu papa. Dans mon sac, un juste au corps, des collants et une
paire de ballerines. Quelle joie....Je serai bientôt danseuse étoile. Je retrouve Léa et Fleur. On rigole
en s’habillant.
- Dépêchez- vous mesdemoiselles, on a du travail ! Et en silence, s’il vous plaît.
Oh mince, moi qui pensais rigoler avec mes amies, c’est raté. La danse, c’est pas si fun que ça !
Et madame Alix ne plaisante pas ! Les lumières de la scène de l’opéra sont encore bien loin. Mais je
m’accroche, je veux y arriver.
- Lola, nous avons quelque chose à te dire.
Ça doit être sérieux. Mes parents sont là tous les deux, l’air grave.
- On va déménager. Mais ne t’inquiète pas, nous avons trouvé une belle maison dans un village à la
montagne. Tu seras tout près de l’école et le week-end on pourra faire du vélo ou du ski.
-Mais pourquoi ? Quand ? Et mes copines ? la danse ?
- On les invitera pendant les vacances. Et tu auras de nouveaux copains, à ton âge, c’est facile.
Avant de m’endormir, j’ai pleuré longtemps, en serrant fort Bozzo, mon doudou confident.
Le jour J est arrivé, les cartons, le camion. Hier soir, Madame Alix et mes copines m’ont organisé
une petite fête. C’était chouette mais j’étais triste.
La nouvelle maison est belle, toute en bois. Pas loin, il y a une patinoire, Génial !. Et à côté un
gymnase. Peut être qu’il y a aussi une école de danse... Avec Bozzo au creux de mon épaule, je me
surprends à rêver à ma nouvelle vie.
6 septembre, jour de rentrée, classe de CE1/CE2 . Première récré, l’occasion de faire connaissance
avec mes nouveaux camarades. Ils me posent des tas de questions, d’où je viens, si j’ai des frères et
sœurs, si je sais skier, si je joue au hand...
- Non, mais je fais de la danse. Y a une école de danse ici ?
- Non, mais il y a un club de hand. Et puis l’hiver, on fait du ski ou du patin. Et l’été, on fait du
VTT. Tu pourras venir avec nous, si tu veux.
- J’sais pas !
Le soir, papa et maman me demandent comment s’est passée ma journée, si ma nouvelle école me
plaît, si mes camarades sont sympas.
- Pfff, il n’y a même pas d’école de danse ! Il y a juste un club de hand.
- Tu pourrais aller voir. Il y a une équipe de filles ? On ira se renseigner, si tu veux.
- Ouais, j’sais pas !
Quelques jours plus tard :
- Eh, Salut Lola ! Noé et Jeanne, les jumeaux, habitent la maison juste au dessus de chez nous. On
se retrouve tous les matins pour descendre à l’école- T’as fini ton dessin sur tes vacances? Nous on en a fait un seul, mais grand, sur la ferme de notre
grand-père. Tous les étés, on l’accompagne en estive. Ce soir, on va à l’entraînement de hand. Tu
viens avec nous ?
- Mais c’est pour les filles ?
- Oui, me dit Noé, on joue tous ensemble. Et on s’éclate. Piero est super sympa. C’est notre
moniteur. Il invente plein de jeux. On rigole trop. Et c’est aussi avec lui que le club organise les
sorties ski. Tu devrais venir, c’est trop cool. Et puis, il y a aussi Chloé, Marceau et Julia. Et cette
année, Léo a dit qu’il viendrait aussi. Tu vois, presque tous ceux de la classe sont là.
- Dac, j’en parle à ma mère à midi. Il faut quoi comme habit ?
- Ben, un short, un T-shirt et des baskets, rien d’autre.
Après l’école, j’ai englouti mon goûter, et enfilé ma tenue. Maman m’a accompagnée au gymnase,
je n’étais plus certaine de vouloir y aller. En retrouvant Jeanne, je suis un peu rassurée.
A18h, en rentrant à la maison, je suis excitée comme une puce :
- Maman, c’était trop bien. J’avais la trouille, mais en fait, c’est pas des matchs. On à joué un peu
avec le ballon, mais pas beaucoup. On a fait des relais à la course, on a sauté dans des cercles, joué
à l’épervier, sauté sur des cubes. Dis, je pourrais y retourner mardi prochain ? Et tu sais, quand il
neige, en plus, le mercredi aprem, on peut faire du ski. Tu crois que je pourrais apprendre à skier ?
- Bien-sur ! Dès que la station ouvrira, on ira tous les trois. Tu verras, c’est facile.
- Génial.
Je ne crois pas avoir manqué beaucoup de mardi soirs... Ni de samedis après midis. Parce qu’ on va
au gymnase deux fois par semaine depuis cette rentrée. Le jeu s’est organisé, le ballon a pris de plus
en plus de place dans l’entraînement. Piero nous a inscrit à un tournoi : Trois équipes. Deux matchs.
Et la trouille qui revient, comme ce premier mardi soir l’année dernière !
J’aime bien être dans la cage, mais Piero veut qu’on joue aussi sur les autres postes. Papa et maman
sont sur le bord de touche, avec les parents des jumeaux. Je n’ai pas marqué de but mais j’ai fait
deux arrêts ! Les parents nous ont encouragés et applaudis. Piero nous a félicités, même si on a
perdu les deux matchs !
Nos semaines sont rythmées par l’école, les entraînements et les matchs du samedi. On se retrouve
devant le gymnase, parfois on part jouer dans les villages voisins, l’occasion de bien rigoler dans la
voiture ! Piero a laissé sa place à Sandra. Il s’occupe toujours des « petits ». Maintenant, on joue en
moins de 11, c’est sérieux !!!! On joue la gagne.... Même si Sandra nous explique que dans la
défaite, on apprend, nous n’avons pas envie d’apprendre comme ça !
- Lola, tu te rappelles, jeudi soir, il y a la réunion de classe ? Tu sais que l’on va parler de ton entrée
en sixième.
- Oui. Avec les jumeaux on veut être internes parce qu’on veut aller au collège qui a une section
hand. Tu sais, dans la vallée !
Tu plaisantes ? Le collège du canton est à 6 km d’ici et tu pourrais rentrer tous les soirs.
- Oui, mais on devrait arrêter le hand parce qu’ ici il n’y a que des équipes de garçons. Et avec
Jeanne, on veut continuer de jouer. Et comme les jumeaux ne se séparent jamais, Noé sera aussi
interne avec nous.
- Tu sais, l’internat, c’est pas comme à la maison...
-Oui, je sais !
- Ok, on en discutera avec papa . Et les parents des jumeaux sont d’accord ? Je vais les inviter avant
la réunion pour savoir ce qu’ils en pensent.
« L’apéro discussion » a été animé. Quatre adultes face à trois enfants déterminés. On a appris à se
battre sur le terrain, mais ça a été bien plus difficile de les convaincre que d’aller gagner un match !On a réussi. Très fiers. Mais complètement terrorisés le premier soir dans le dortoir. Mais pourquoi
avoir choisi l’internat ? Cette fois encore Bozzo, dans sa chasuble aux couleurs savoyardes cousue
par maman, sera le témoin de mon angoisse.
Mais très vite, le bonheur de faire du hand tout les jours, d’avoir conquis ma place dans la cage,
d’entendre les encouragements des coachs, de retrouver mes coéquipières, nos supporters, m’ont
fait accepter les sacrifices, les renonciations ou les blessures.
Et plus tard, la fierté d’être sélectionnée pour représenter la région, d’intégrer le pôle de formation,
d’être repérée par l’entraîneur d’une équipe de Nationale, l’enthousiasme et la folie des soirs de
victoires. Une aventure de plus de 20 ans.
Au moment où le speaker annonce le duo d’arbitres de la rencontre « Jeanne et Lola » je range
discrètement Bozzo dans mon sac, vérifie que mes cheveux sont nattés bien serrés, que mon sifflet
est bien à mon cou et les cartons dans ma poche. Je fais un clin d’oeil à Jeanne et ensemble nous
avançons courageusement
France. Mon coeur bat la chamade. Ce petit pincement qui m’a si souvent accompagnée. Je regarde
Jeanne qui n’en mène pas plus large que moi. Et en un instant, toute mon enfance me revient, mes
rêves, mes batailles et notre parcours commun. C’est à elle et à son frère que je dois la trouille
d’être là ce soir.
J’ai 5 ans et demi, mes parents viennent de m’inscrire au Nauting Club Municipal. Oui, ils sont
sportifs et après les bébés nageurs, les cours de natation, une carrière de nageuse s’ouvre à moi !
J’adore nager mais faire des longueurs ne m’amuse pas.
- Tu étais d’accord, Lola, tu feras toute la saison ! Dit papa, en fronçant les sourcils, quand je
pleurniche dans la voiture ou que j’ai encore une fois oublié mes affaires .
- Mais moi je veux faire de la danse avec mes copines.
L’année suivante, maman a convaincu papa. Dans mon sac, un juste au corps, des collants et une
paire de ballerines. Quelle joie....Je serai bientôt danseuse étoile. Je retrouve Léa et Fleur. On rigole
en s’habillant.
- Dépêchez- vous mesdemoiselles, on a du travail ! Et en silence, s’il vous plaît.
Oh mince, moi qui pensais rigoler avec mes amies, c’est raté. La danse, c’est pas si fun que ça !
Et madame Alix ne plaisante pas ! Les lumières de la scène de l’opéra sont encore bien loin. Mais je
m’accroche, je veux y arriver.
- Lola, nous avons quelque chose à te dire.
Ça doit être sérieux. Mes parents sont là tous les deux, l’air grave.
- On va déménager. Mais ne t’inquiète pas, nous avons trouvé une belle maison dans un village à la
montagne. Tu seras tout près de l’école et le week-end on pourra faire du vélo ou du ski.
-Mais pourquoi ? Quand ? Et mes copines ? la danse ?
- On les invitera pendant les vacances. Et tu auras de nouveaux copains, à ton âge, c’est facile.
Avant de m’endormir, j’ai pleuré longtemps, en serrant fort Bozzo, mon doudou confident.
Le jour J est arrivé, les cartons, le camion. Hier soir, Madame Alix et mes copines m’ont organisé
une petite fête. C’était chouette mais j’étais triste.
La nouvelle maison est belle, toute en bois. Pas loin, il y a une patinoire, Génial !. Et à côté un
gymnase. Peut être qu’il y a aussi une école de danse... Avec Bozzo au creux de mon épaule, je me
surprends à rêver à ma nouvelle vie.
6 septembre, jour de rentrée, classe de CE1/CE2 . Première récré, l’occasion de faire connaissance
avec mes nouveaux camarades. Ils me posent des tas de questions, d’où je viens, si j’ai des frères et
sœurs, si je sais skier, si je joue au hand...
- Non, mais je fais de la danse. Y a une école de danse ici ?
- Non, mais il y a un club de hand. Et puis l’hiver, on fait du ski ou du patin. Et l’été, on fait du
VTT. Tu pourras venir avec nous, si tu veux.
- J’sais pas !
Le soir, papa et maman me demandent comment s’est passée ma journée, si ma nouvelle école me
plaît, si mes camarades sont sympas.
- Pfff, il n’y a même pas d’école de danse ! Il y a juste un club de hand.
- Tu pourrais aller voir. Il y a une équipe de filles ? On ira se renseigner, si tu veux.
- Ouais, j’sais pas !
Quelques jours plus tard :
- Eh, Salut Lola ! Noé et Jeanne, les jumeaux, habitent la maison juste au dessus de chez nous. On
se retrouve tous les matins pour descendre à l’école- T’as fini ton dessin sur tes vacances? Nous on en a fait un seul, mais grand, sur la ferme de notre
grand-père. Tous les étés, on l’accompagne en estive. Ce soir, on va à l’entraînement de hand. Tu
viens avec nous ?
- Mais c’est pour les filles ?
- Oui, me dit Noé, on joue tous ensemble. Et on s’éclate. Piero est super sympa. C’est notre
moniteur. Il invente plein de jeux. On rigole trop. Et c’est aussi avec lui que le club organise les
sorties ski. Tu devrais venir, c’est trop cool. Et puis, il y a aussi Chloé, Marceau et Julia. Et cette
année, Léo a dit qu’il viendrait aussi. Tu vois, presque tous ceux de la classe sont là.
- Dac, j’en parle à ma mère à midi. Il faut quoi comme habit ?
- Ben, un short, un T-shirt et des baskets, rien d’autre.
Après l’école, j’ai englouti mon goûter, et enfilé ma tenue. Maman m’a accompagnée au gymnase,
je n’étais plus certaine de vouloir y aller. En retrouvant Jeanne, je suis un peu rassurée.
A18h, en rentrant à la maison, je suis excitée comme une puce :
- Maman, c’était trop bien. J’avais la trouille, mais en fait, c’est pas des matchs. On à joué un peu
avec le ballon, mais pas beaucoup. On a fait des relais à la course, on a sauté dans des cercles, joué
à l’épervier, sauté sur des cubes. Dis, je pourrais y retourner mardi prochain ? Et tu sais, quand il
neige, en plus, le mercredi aprem, on peut faire du ski. Tu crois que je pourrais apprendre à skier ?
- Bien-sur ! Dès que la station ouvrira, on ira tous les trois. Tu verras, c’est facile.
- Génial.
Je ne crois pas avoir manqué beaucoup de mardi soirs... Ni de samedis après midis. Parce qu’ on va
au gymnase deux fois par semaine depuis cette rentrée. Le jeu s’est organisé, le ballon a pris de plus
en plus de place dans l’entraînement. Piero nous a inscrit à un tournoi : Trois équipes. Deux matchs.
Et la trouille qui revient, comme ce premier mardi soir l’année dernière !
J’aime bien être dans la cage, mais Piero veut qu’on joue aussi sur les autres postes. Papa et maman
sont sur le bord de touche, avec les parents des jumeaux. Je n’ai pas marqué de but mais j’ai fait
deux arrêts ! Les parents nous ont encouragés et applaudis. Piero nous a félicités, même si on a
perdu les deux matchs !
Nos semaines sont rythmées par l’école, les entraînements et les matchs du samedi. On se retrouve
devant le gymnase, parfois on part jouer dans les villages voisins, l’occasion de bien rigoler dans la
voiture ! Piero a laissé sa place à Sandra. Il s’occupe toujours des « petits ». Maintenant, on joue en
moins de 11, c’est sérieux !!!! On joue la gagne.... Même si Sandra nous explique que dans la
défaite, on apprend, nous n’avons pas envie d’apprendre comme ça !
- Lola, tu te rappelles, jeudi soir, il y a la réunion de classe ? Tu sais que l’on va parler de ton entrée
en sixième.
- Oui. Avec les jumeaux on veut être internes parce qu’on veut aller au collège qui a une section
hand. Tu sais, dans la vallée !
Tu plaisantes ? Le collège du canton est à 6 km d’ici et tu pourrais rentrer tous les soirs.
- Oui, mais on devrait arrêter le hand parce qu’ ici il n’y a que des équipes de garçons. Et avec
Jeanne, on veut continuer de jouer. Et comme les jumeaux ne se séparent jamais, Noé sera aussi
interne avec nous.
- Tu sais, l’internat, c’est pas comme à la maison...
-Oui, je sais !
- Ok, on en discutera avec papa . Et les parents des jumeaux sont d’accord ? Je vais les inviter avant
la réunion pour savoir ce qu’ils en pensent.
« L’apéro discussion » a été animé. Quatre adultes face à trois enfants déterminés. On a appris à se
battre sur le terrain, mais ça a été bien plus difficile de les convaincre que d’aller gagner un match !On a réussi. Très fiers. Mais complètement terrorisés le premier soir dans le dortoir. Mais pourquoi
avoir choisi l’internat ? Cette fois encore Bozzo, dans sa chasuble aux couleurs savoyardes cousue
par maman, sera le témoin de mon angoisse.
Mais très vite, le bonheur de faire du hand tout les jours, d’avoir conquis ma place dans la cage,
d’entendre les encouragements des coachs, de retrouver mes coéquipières, nos supporters, m’ont
fait accepter les sacrifices, les renonciations ou les blessures.
Et plus tard, la fierté d’être sélectionnée pour représenter la région, d’intégrer le pôle de formation,
d’être repérée par l’entraîneur d’une équipe de Nationale, l’enthousiasme et la folie des soirs de
victoires. Une aventure de plus de 20 ans.
Au moment où le speaker annonce le duo d’arbitres de la rencontre « Jeanne et Lola » je range
discrètement Bozzo dans mon sac, vérifie que mes cheveux sont nattés bien serrés, que mon sifflet
est bien à mon cou et les cartons dans ma poche. Je fais un clin d’oeil à Jeanne et ensemble nous
avançons courageusement