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Seul. Désespérément seul, avec mes doutes, mes peurs et mes espoirs.
Ai-je pris la bonne décision ? Seul l'avenir le dira. En attendant, le présent est incertain, hostile, et ma famille me manque. Mon père, ma mère, je ne les ai jamais autant aimés qu'aujourd'hui. On ne se rend compte de l'importance des gens que lorsqu'on en est séparé.
Seul. Seul dans la nuit. Je suis parti, j'ai tout quitté. Je voyage dans l'obscurité pour ne pas me faire repérer, pour accroître mes chances de réussite. Mais j'ai peur. La nuit m'angoisse. Elle m'a toujours angoissé. Enfant, mon père laissait une lumière allumée pour me tranquilliser. Aujourd'hui, la lune est ma veilleuse. Elle est pleine et généreuse, elle apaise mon anxiété.
Seul. Seul au milieu de l'eau ; sur une barque que j'ai volée ; une embarcation qui n'est peut-être pas faite pour la pleine mer. J'ai ramé jusqu'à la sortie du port, puis j'ai actionné le moteur. Je ne sais même pas si le réservoir contient assez d'essence pour m'emmener à destination. J'ai des réserves en eau et en nourriture très minces : un sac de fruits secs, et une gourde d'eau potable. Je vais peut-être me déshydrater, mourir desséché. Quel comble, quel paradoxe ce serait de finir ainsi, alors que tout n'est que liquide à perte de vue. Je sais qu'il existe des réseaux, des passeurs. Certains sont philanthropes, d'autres ne recherchent que le profit. Ils sont organisés, possèdent des bateaux plus robustes, connaissent des routes maritimes sûres. Partir avec leur aide aurait augmenté ma probabilité de réussite. Mon initiative isolée est une tentative désespérée. Je dois être fou d'avoir tenté ma chance seul, sans connaissance de navigation. Au mieux suis-je inconscient. De toute façon, la question ne s'est pas posée : les passeurs demandent de l'argent. Je n'en ai pas.
Seul. Seul avec mes souvenirs de la guerre. Je n'oublierai jamais le bourdonnement des avions qui arrivaient au loin, le crépitement des mitraillettes, le vacarme des obus. Je n'oublierai jamais ces moments passés à la cave, blottis les uns contre les autres. Nous attendions. Nous priions. Nous priions pour que notre foyer soit épargné. Nous ne pouvions pas faire davantage. Nous priions pour notre salut. C'était presque égoïste. Si nous échappions aux bombes, d'autres, forcément, auraient moins de chance.
Après les affrontements, mes parents avaient songé à partir. Beaucoup s'en allaient, quittaient cette ville en ruines. Eux n'en avaient pas eu le courage. Ils se sentaient trop faibles. En revanche, ils m'avaient encouragé à tenter ma chance ailleurs. J'étais jeune, célibataire, en bonne santé. Je pouvais prétendre à un avenir meilleur, de l'autre côté. Ils penseraient à moi, à ma réussite. Mon succès leur donnerait du courage. Je les ai écoutés, je suis parti.
Seul. Seul, sans Dieu. Pendant ces épisodes difficiles, j'avais tellement prié. J'avais supplié Dieu d'arrêter les combats, de rétablir la paix, de ramener les hommes à plus de raison et d'amour. Il ne m'avait pas entendu, il ne m'avait pas écouté. Alors, j'ai arrêté de m'adresser à lui.
Comment Dieu, tout puissant, pouvait-il permettre la guerre ? Comment pouvait-il tolérer autant de barbarie, autant de souffrances ? Avait-il abandonné ses fidèles ? Dans ces moments de doute, de peur, tous se tournaient vers lui. Quelle réponse leur adressait-il ? La religion était censée unir les hommes. Elle ne faisait que les opposer. Alors oui, j'étais en colère contre Dieu. Il ne nous aidait pas. La religion était un problème, depuis longtemps, là où je vivais, et peut-être aussi là où j'allais. Je ne voulais plus avoir affaire à Dieu.
Seul. Seul avec mes espoirs ; l'espoir de trouver là-bas un monde meilleur, un monde libre. Un monde sans guerre, sans peur, sans dictateur. Un monde rempli d'opportunités. Celui que j'ai quitté n'était que ruine et chaos. Celui que j'espère sera le lieu de ma renaissance.
Soudain, les premiers rayons du soleil font leur apparition. Ils se reflètent gracieusement à la surface de l'eau. Ils viennent me caresser de leur chaleur apaisante. Ce spectacle, à la fois si banal, si fréquent, est un ravissement pour les yeux et pour le cœur.
Soudain, un cri. Ai-je rêvé ? Est-ce le fruit de mon imagination ? Je regarde l'horizon, mais c'est au ciel que je vois mon salut : une mouette. Si cet oiseau vole jusqu'à moi, c'est que la côte est proche. Mon cœur se met à battre de plus en plus fort. Je touche au but.
Là, le doute n'est plus permis. Je la vois, la côte : un mur blanc abrupte et vallonné, surmonté de vert. Je la vois cette côte anglaise que j'espérais tant. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Elle ne ressemble pas à la côte sablonneuse du Touquet, d'où je suis parti. Peu importe après tout. Mon eldorado est à portée de main : l'Angleterre me tend les bras. Je touche au but. Je rejoins l'archipel britannique. Hitler n'osera jamais attaquer l'Angleterre ; sa position d'île la protège.
Je pense à mes parents, juifs, polonais, immigrés. Ils avaient quitté Varsovie pour fuir les persécutions, fuir les discriminations. Ils s'étaient installés en France, à Amiens pour être libres et profiter d'une vie paisible, loin de l'antisémitisme. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale a éclaté et Hitler a attaqué le nord de la France. Amiens a été bombardé les 18 et 19 mai 1940, réduisant la ville à feu et à cendres.
Plus que quelques coups de rames et mon bateau va accoster en Angleterre. Je suis rempli d'espoir mais je sais que le plus dur va commencer. Je vais devoir m'intégrer. Je vais devoir faire mes preuves dans ce nouveau pays, et gagner la sympathie des habitants. J'espère que ma famille va bien. J'espère que cette guerre se terminera rapidement, que mon cas d'immigration sera isolé. Personne ne devrait être obligé de quitter son pays sans l'avoir vraiment désiré.
Ai-je pris la bonne décision ? Seul l'avenir le dira. En attendant, le présent est incertain, hostile, et ma famille me manque. Mon père, ma mère, je ne les ai jamais autant aimés qu'aujourd'hui. On ne se rend compte de l'importance des gens que lorsqu'on en est séparé.
Seul. Seul dans la nuit. Je suis parti, j'ai tout quitté. Je voyage dans l'obscurité pour ne pas me faire repérer, pour accroître mes chances de réussite. Mais j'ai peur. La nuit m'angoisse. Elle m'a toujours angoissé. Enfant, mon père laissait une lumière allumée pour me tranquilliser. Aujourd'hui, la lune est ma veilleuse. Elle est pleine et généreuse, elle apaise mon anxiété.
Seul. Seul au milieu de l'eau ; sur une barque que j'ai volée ; une embarcation qui n'est peut-être pas faite pour la pleine mer. J'ai ramé jusqu'à la sortie du port, puis j'ai actionné le moteur. Je ne sais même pas si le réservoir contient assez d'essence pour m'emmener à destination. J'ai des réserves en eau et en nourriture très minces : un sac de fruits secs, et une gourde d'eau potable. Je vais peut-être me déshydrater, mourir desséché. Quel comble, quel paradoxe ce serait de finir ainsi, alors que tout n'est que liquide à perte de vue. Je sais qu'il existe des réseaux, des passeurs. Certains sont philanthropes, d'autres ne recherchent que le profit. Ils sont organisés, possèdent des bateaux plus robustes, connaissent des routes maritimes sûres. Partir avec leur aide aurait augmenté ma probabilité de réussite. Mon initiative isolée est une tentative désespérée. Je dois être fou d'avoir tenté ma chance seul, sans connaissance de navigation. Au mieux suis-je inconscient. De toute façon, la question ne s'est pas posée : les passeurs demandent de l'argent. Je n'en ai pas.
Seul. Seul avec mes souvenirs de la guerre. Je n'oublierai jamais le bourdonnement des avions qui arrivaient au loin, le crépitement des mitraillettes, le vacarme des obus. Je n'oublierai jamais ces moments passés à la cave, blottis les uns contre les autres. Nous attendions. Nous priions. Nous priions pour que notre foyer soit épargné. Nous ne pouvions pas faire davantage. Nous priions pour notre salut. C'était presque égoïste. Si nous échappions aux bombes, d'autres, forcément, auraient moins de chance.
Après les affrontements, mes parents avaient songé à partir. Beaucoup s'en allaient, quittaient cette ville en ruines. Eux n'en avaient pas eu le courage. Ils se sentaient trop faibles. En revanche, ils m'avaient encouragé à tenter ma chance ailleurs. J'étais jeune, célibataire, en bonne santé. Je pouvais prétendre à un avenir meilleur, de l'autre côté. Ils penseraient à moi, à ma réussite. Mon succès leur donnerait du courage. Je les ai écoutés, je suis parti.
Seul. Seul, sans Dieu. Pendant ces épisodes difficiles, j'avais tellement prié. J'avais supplié Dieu d'arrêter les combats, de rétablir la paix, de ramener les hommes à plus de raison et d'amour. Il ne m'avait pas entendu, il ne m'avait pas écouté. Alors, j'ai arrêté de m'adresser à lui.
Comment Dieu, tout puissant, pouvait-il permettre la guerre ? Comment pouvait-il tolérer autant de barbarie, autant de souffrances ? Avait-il abandonné ses fidèles ? Dans ces moments de doute, de peur, tous se tournaient vers lui. Quelle réponse leur adressait-il ? La religion était censée unir les hommes. Elle ne faisait que les opposer. Alors oui, j'étais en colère contre Dieu. Il ne nous aidait pas. La religion était un problème, depuis longtemps, là où je vivais, et peut-être aussi là où j'allais. Je ne voulais plus avoir affaire à Dieu.
Seul. Seul avec mes espoirs ; l'espoir de trouver là-bas un monde meilleur, un monde libre. Un monde sans guerre, sans peur, sans dictateur. Un monde rempli d'opportunités. Celui que j'ai quitté n'était que ruine et chaos. Celui que j'espère sera le lieu de ma renaissance.
Soudain, les premiers rayons du soleil font leur apparition. Ils se reflètent gracieusement à la surface de l'eau. Ils viennent me caresser de leur chaleur apaisante. Ce spectacle, à la fois si banal, si fréquent, est un ravissement pour les yeux et pour le cœur.
Soudain, un cri. Ai-je rêvé ? Est-ce le fruit de mon imagination ? Je regarde l'horizon, mais c'est au ciel que je vois mon salut : une mouette. Si cet oiseau vole jusqu'à moi, c'est que la côte est proche. Mon cœur se met à battre de plus en plus fort. Je touche au but.
Là, le doute n'est plus permis. Je la vois, la côte : un mur blanc abrupte et vallonné, surmonté de vert. Je la vois cette côte anglaise que j'espérais tant. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Elle ne ressemble pas à la côte sablonneuse du Touquet, d'où je suis parti. Peu importe après tout. Mon eldorado est à portée de main : l'Angleterre me tend les bras. Je touche au but. Je rejoins l'archipel britannique. Hitler n'osera jamais attaquer l'Angleterre ; sa position d'île la protège.
Je pense à mes parents, juifs, polonais, immigrés. Ils avaient quitté Varsovie pour fuir les persécutions, fuir les discriminations. Ils s'étaient installés en France, à Amiens pour être libres et profiter d'une vie paisible, loin de l'antisémitisme. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale a éclaté et Hitler a attaqué le nord de la France. Amiens a été bombardé les 18 et 19 mai 1940, réduisant la ville à feu et à cendres.
Plus que quelques coups de rames et mon bateau va accoster en Angleterre. Je suis rempli d'espoir mais je sais que le plus dur va commencer. Je vais devoir m'intégrer. Je vais devoir faire mes preuves dans ce nouveau pays, et gagner la sympathie des habitants. J'espère que ma famille va bien. J'espère que cette guerre se terminera rapidement, que mon cas d'immigration sera isolé. Personne ne devrait être obligé de quitter son pays sans l'avoir vraiment désiré.
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