Serial lover

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J'ai peu de certitudes, dans la vie. Par exemple, savoir d'où l'on vient, où l'on va, comment est préparé le Nutella, si Marc Levy est bien un écrivain ou un imposteur... Vraiment, ça, je n'en sais rien et je m'en cogne. Il y a juste une chose que j'ai toujours sue : que je tomberais un jour amoureux fou. Oui. Depuis toujours. La rencontre, celle qui illumine notre existence, je suis encore certain qu'elle est tout près. Là, quelque part, dans mon oasis de solitude. Et ce ne sont pas mes huit cent quatre-vingt-quinze rendez-vous ratés, à ce jour, qui me feront perdre espoir.
Oui, je sais, c'est énorme. Huit cent quatre-vingt-quinze. Rendez-vous compte. Huit cent quatre-vingt-quinze soirées foutues en l'air, autant d'additions réglées, de frustration, de mensonges par omission, d'érections inutiles. En termes plus fleuris, huit cent quatre-vingt-quinze bâtons merdeux.
Et ne me dites pas qu'on n'a que ce qu'on mérite. Certes, je suis exigeant en matière de femmes. Mais pas tant que ça. C'est quand même pas ma faute s'il y a toujours un détail qui cloche. Et qu'on va dîner, que je l'emmène au théâtre, qu'on se ment copieusement toute la soirée... Tout ça pour finir chez moi pour « prendre un dernier verre ». Jusqu'au bout, généralement, je garde espoir. Je m'imagine passer une nuit torride, en enlaçant ma future épouse. Mais bon, un coup ma conquête est déjà en couple, un coup elle pue des pieds, une autre fois elle m'avoue à, quoi ? minuit passé, qu'elle déteste Gérard Lenorman. On n'a pas le droit de détester Gérard. C'est un crime.
Bref, quand ça part en sucette et qu'on est déjà chez moi, je sors mon limoncello maison, et hop ! On en reste là. C'est mon petit rituel à moi. Aucune n'est jamais allée au-delà de la première gorgée.
Moi, j'aime pas ça, le limoncello. Je préfère la liqueur de châtaigne. Je réserve ce breuvage à celle qui sera l'élue.

Enfin, tout ça pour dire que je dois avoir fait un truc horrible dans une autre vie pour avoir aussi peu de chance en amour, c'est pas possible autrement.
Vous voulez une preuve ? Tenez, la dernière en date. Vous verrez, j'invente rien, ça s'est passé pas plus tard que la semaine dernière. Tout avait pourtant très bien commencé. Si, je vous assure.
Sandra, vingt-sept ans. Une sublime brune, au corps de rêve et au QI ultra-élevé. Un rêve éveillé. Comment je l'ai rencontrée ? Le plus simplement du monde. Dans la classe Business d'Air France, entre Paris et Tokyo. Elle était assise à mes côtés, la moue boudeuse, le corps moulé dans un tailleur Chanel et les seins compressés dans un Wonderbra. Et alors ? Alors j'ai engagé la conversation. Et puis j'ai passé tout le trajet à la faire rire aux éclats en étant intarissable sur la philosophie du XVIII e. Nous avons terminé le vol l'un contre l'autre, buvant une coupe de champagne, pendant que ses mains se glissaient tout doucement vers ma...
Non, je blague. Je l'ai rencontrée sur Internet, comme tout le monde. Entre nous, j'ai une tête de milliardaire oisif, moi ? J'ai le droit de rêver un peu, non ?
Cela étant, Air France ou pas, cette fois, j'avais pris toutes mes précautions. Le plus naturellement du monde, après quelques échanges cordiaux sur nos goûts respectifs, et une fouille minutieuse de sa vie par un détective privé, – qui m'a coûté une fortune –, nous avons fini par nous rencontrer.
Elle passe avec succès tous mes tests.
Celui du serveur-beau-gosse-qu'on-a-envie-de-tuer-parce-que-la-moitié-des-filles-se-pâment-devant-lui.
Celui de l'addition. J'aime pas les féministes. Celles qui veulent ne serait-ce que partager la note, je les laisse en plan direct.
Celui du maquillage voiture. Je déteste les filles qui se maquillent pendant que je conduis. Non seulement c'est dangereux, mais imaginez que je freine brusquement. Qui c'est qui nettoie le tableau de bord en ronce de noyer après, hein ? J'en ai déjà laissé deux sur le périph, pour ça.
Le test de l'haleine fraîche. Non mais c'est vrai, rien de pire qu'une fille qui pue de la gueule en sortant du restaurant. Eh bien, quoi ? Elle avait qu'à pas prendre les pâtes au pesto et puis c'est tout. Généralement, elles, je les fais même pas monter dans ma voiture.
Si elles ont remporté ces challenges, qui sont un peu le niveau 1 de mon nirvana amoureux, il leur en reste encore quelques-uns à relever après avoir passé ma porte. Parmi eux, deux sont éliminatoires. Celui du canapé. Franchement, la connasse qui ose mettre ses pieds dessus, c'est limoncello direct. Et le dernier, donc, Gérard Lenorman.
Eh bien, laissez-moi vous dire que celle-là a tout passé avec succès. Comme une championne. Il est donc minuit passé, et là, j'en suis convaincu, j'ai enfin rencontré l'amour de ma vie. Nous écoutons religieusement « Gentil dauphin triste », un des tubes de Gérard, les yeux dans les yeux. Heureux.
Je décide donc, fébrilement, d'aller chercher ma liqueur de châtaigne. C'est enfin le moment. Je tamise un peu plus la lumière. Dans quelques instants, elle sera mienne.
Je l'ai laissée, quoi ? cinq minutes. Quand je suis revenu, elle était nue, allongée sur le sofa, un verre à la main.
— J'ai ramené de la liqueur de châtaigne. Nous allons pouvoir trinquer à notre rencontre. Tu es belle dans cette pénombre, et... Attends, tu t'es déjà servi à boire ?
— Oui, mon amour, du limoncello. J'en ai trouvé dans ton vaisselier. Navrée, je n'ai pas pu t'attendre, j'aime trop ça le...
Elle n'a pas eu le temps de finir sa phrase. Elle est tombée raide morte, foudroyée par le cyanure contenu dans son verre. Notez, la dose que j'ai mise dans la bouteille, ça vous terrasse un éléphant en moins de vingt secondes, tout en préservant le goût. Alors un petit canon de même pas cinquante kilos, vous pensez bien... Enfin, toujours est-il que j'ai passé la nuit à chercher un endroit pour l'enterrer. Mon jardin va finir par être trop petit, si ça continue.
Chou blanc, donc, encore une fois. J'y arriverai jamais, ma parole.
Je suis trop romantique, je crois.

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