Mon rire tapissait l’atmosphère de cette fin d’été. J’avais 4 ans, 5 tout au plus et Maman me racontait des histoires près de la rivière qui bordait le jardin. C’était le temps de l’insouciance et des instants de bonheur simple.
Ma mère avait un don pour rendre magiques les moments de la vie les plus insignifiants. C’était comme si elle emportait en permanence avec elle une baguette magique. Ce soir-là, je m’endormai sur ses genoux, bercée par le clapotis de l’eau et rêvai que je deviendrai une patineuse accomplie pour remporter les titres qu’elle n’avait pu décrocher. Je croyais que chaque jour serait aussi parfait que celui qui se terminait.
Je n’ai jamais connu mon père. Il avait quitté ma mère bien avant ma naissance. Maman était mon oxygène. Elle avait mis fin à une carrière sportive prometteuse lorsqu’elle était tombée enceinte de moi. Je n’étais pas prévue mais avais de suite pris toute la place. Une évidence. Aucun autre choix possible.
J’aurai 6 ans en novembre, j’allais faire ma rentrée à la grande école, en primaire, en septembre. Je l’ai vu pour la première fois au bras de Maman à la sortie de l’école. Ils étaient venus me chercher ensemble et m’avaient offert un goûter de princesse, chocolat chaud et chou à la crème. Il allait habiter avec Maman et moi. Il allait épouser Maman. Je devrais l’appeler Papa. Il voulait me reconnaître pour que l’on forme une belle famille.
J’avais 8 ans lorsque ma petite sœur était née. Nous ressemblions de plus en plus à la famille modèle. Il ne manquait que le labrador.
Maman s’occupait beaucoup du bébé. J’avais l’impression que chaque pleur me volait un peu de son amour.
Papa avait décidé de passer plus de temps avec moi pour compenser. Il m’accompagnait à la patinoire pour que je m’entraîne. Lui aussi avait aussi frôlé le succès. Il avait rencontré ma mère lors d’une réunion d’anciens de la patinoire de Saint-Gervais.
Sans trop savoir ou comprendre pourquoi, je n’aimais pas ses regards sur moi pendant que je travaillais mes figures. Sa main qui se voulait rassurante sur la glace me glaçait le sang. Je percevais un danger que je ne pouvais nommer. J’en déduisais donc qu’il ne pouvait être qu’imaginaire. Je ne disais rien.
Maman était heureuse.
C’était un mardi soir, soir d’entrainement. Il m’avait suivie dans les vestiaires et n’était pas sorti tandis que je me changeai. Un malaise me comprimait la poitrine. Mon cœur battait trop fort. Nous étions rentrés en silence et, prétextant un mal de ventre, j’étais allée me coucher sans dîner. Je venais de m’endormir lorsqu’un craquement m’avait réveillée. La poignée de la porte de ma chambre grinça. La porte s’ouvrit. Une ombre. Un doigt sur ses lèvres. Sa main qui remontait lentement entre mes cuisses. Je n’osais plus respirer. Mes pleurs restaient au fond de ma gorge. Mes cris se perdaient dans le silence. Il ne fallait pas réveiller le bébé et encore moins Maman.
Il y avait eu d’autres entraînements, d’autres nuits, des déplacements pour des compétions régionales. Une complicité entre nous qui ravissait Maman.
Le bébé marchait. Maman était heureuse. Je la préservais en gardant le secret de Papa. Je faisais ma rentrée en 4ème. J’avais appris à mettre des mots sur des gestes, toujours en silence. Ma petite sœur faisait tout pour me ressembler. Elle allait à l’école et son rire résonnait dans la cour de récréation. Un jour elle avait demandé à venir danser sur la glace, comme moi. J’avais été parcouru par un frisson. Il ne fallait pas mais comment la protéger sans parler ? Une peur incontrôlable ne me quittait plus. Je me persuadais que par mon silence, je maintenais l’équilibre de la famille. Ne rien dire parce que rien ne c’était passé et rien ne se passerait tant que je serai là pour la protéger. Pour détourner son attention sur moi. Je devais faire en sorte qu’elle soit transparente à ses yeux. Alors, j’étais le plus docile possible, jamais une plainte, jamais une parole déplacée, jamais un soupir. Toujours des désirs assouvis.
L’été n’allait pas tarder à tirer sa révérence et moi à entrer au lycée, en seconde. Je contemplais le ciel étoilé par la fenêtre de ma chambre. J’entendis le bruit d’une porte qui s’ouvrait. Un chuchotement sourd. Puis les pleurs étouffés de ma petite sœur. Le secret avait changé de chambre. Ma plus grande peur prenait forme. Mon silence n’avait pas suffi pour la protéger.
Mon bonheur avait duré 6 ans. J’avais été heureuse dans cette maison jusqu’à ce goûter de princesse. Jusqu’à mes premiers patins.
Je devais changer de stratégie, quitte à faire souffrir Maman.
Le lendemain, je n’allai pas lycée. Paralysée par la peur de ce qui m’attendait, par ces mots que j’allais devoir prononcer, par ces gestes que j’allais devoir raconter, je poussai la porte du commissariat.
J’avais décidé de fuir le silence et de briser l’équilibre factice dans lequel nous vivions. J’allais délivrer ma petite sœur. J’espérais qu’il ne serait pas trop tard, qu’elle pourrait oublier cette première nuit. Je priais pour qu’il n’en ait pas eu d’autres sans que je m’en sois rendu compte. Je serai à ses côtés pour l’aider à se reconstruire. Je connaissais ses peurs et sa honte.
J’allais avoir 15 ans en novembre. Je ne serai plus jamais une victime.
Je suis une battante.
Ma mère avait un don pour rendre magiques les moments de la vie les plus insignifiants. C’était comme si elle emportait en permanence avec elle une baguette magique. Ce soir-là, je m’endormai sur ses genoux, bercée par le clapotis de l’eau et rêvai que je deviendrai une patineuse accomplie pour remporter les titres qu’elle n’avait pu décrocher. Je croyais que chaque jour serait aussi parfait que celui qui se terminait.
Je n’ai jamais connu mon père. Il avait quitté ma mère bien avant ma naissance. Maman était mon oxygène. Elle avait mis fin à une carrière sportive prometteuse lorsqu’elle était tombée enceinte de moi. Je n’étais pas prévue mais avais de suite pris toute la place. Une évidence. Aucun autre choix possible.
J’aurai 6 ans en novembre, j’allais faire ma rentrée à la grande école, en primaire, en septembre. Je l’ai vu pour la première fois au bras de Maman à la sortie de l’école. Ils étaient venus me chercher ensemble et m’avaient offert un goûter de princesse, chocolat chaud et chou à la crème. Il allait habiter avec Maman et moi. Il allait épouser Maman. Je devrais l’appeler Papa. Il voulait me reconnaître pour que l’on forme une belle famille.
J’avais 8 ans lorsque ma petite sœur était née. Nous ressemblions de plus en plus à la famille modèle. Il ne manquait que le labrador.
Maman s’occupait beaucoup du bébé. J’avais l’impression que chaque pleur me volait un peu de son amour.
Papa avait décidé de passer plus de temps avec moi pour compenser. Il m’accompagnait à la patinoire pour que je m’entraîne. Lui aussi avait aussi frôlé le succès. Il avait rencontré ma mère lors d’une réunion d’anciens de la patinoire de Saint-Gervais.
Sans trop savoir ou comprendre pourquoi, je n’aimais pas ses regards sur moi pendant que je travaillais mes figures. Sa main qui se voulait rassurante sur la glace me glaçait le sang. Je percevais un danger que je ne pouvais nommer. J’en déduisais donc qu’il ne pouvait être qu’imaginaire. Je ne disais rien.
Maman était heureuse.
C’était un mardi soir, soir d’entrainement. Il m’avait suivie dans les vestiaires et n’était pas sorti tandis que je me changeai. Un malaise me comprimait la poitrine. Mon cœur battait trop fort. Nous étions rentrés en silence et, prétextant un mal de ventre, j’étais allée me coucher sans dîner. Je venais de m’endormir lorsqu’un craquement m’avait réveillée. La poignée de la porte de ma chambre grinça. La porte s’ouvrit. Une ombre. Un doigt sur ses lèvres. Sa main qui remontait lentement entre mes cuisses. Je n’osais plus respirer. Mes pleurs restaient au fond de ma gorge. Mes cris se perdaient dans le silence. Il ne fallait pas réveiller le bébé et encore moins Maman.
Il y avait eu d’autres entraînements, d’autres nuits, des déplacements pour des compétions régionales. Une complicité entre nous qui ravissait Maman.
Le bébé marchait. Maman était heureuse. Je la préservais en gardant le secret de Papa. Je faisais ma rentrée en 4ème. J’avais appris à mettre des mots sur des gestes, toujours en silence. Ma petite sœur faisait tout pour me ressembler. Elle allait à l’école et son rire résonnait dans la cour de récréation. Un jour elle avait demandé à venir danser sur la glace, comme moi. J’avais été parcouru par un frisson. Il ne fallait pas mais comment la protéger sans parler ? Une peur incontrôlable ne me quittait plus. Je me persuadais que par mon silence, je maintenais l’équilibre de la famille. Ne rien dire parce que rien ne c’était passé et rien ne se passerait tant que je serai là pour la protéger. Pour détourner son attention sur moi. Je devais faire en sorte qu’elle soit transparente à ses yeux. Alors, j’étais le plus docile possible, jamais une plainte, jamais une parole déplacée, jamais un soupir. Toujours des désirs assouvis.
L’été n’allait pas tarder à tirer sa révérence et moi à entrer au lycée, en seconde. Je contemplais le ciel étoilé par la fenêtre de ma chambre. J’entendis le bruit d’une porte qui s’ouvrait. Un chuchotement sourd. Puis les pleurs étouffés de ma petite sœur. Le secret avait changé de chambre. Ma plus grande peur prenait forme. Mon silence n’avait pas suffi pour la protéger.
Mon bonheur avait duré 6 ans. J’avais été heureuse dans cette maison jusqu’à ce goûter de princesse. Jusqu’à mes premiers patins.
Je devais changer de stratégie, quitte à faire souffrir Maman.
Le lendemain, je n’allai pas lycée. Paralysée par la peur de ce qui m’attendait, par ces mots que j’allais devoir prononcer, par ces gestes que j’allais devoir raconter, je poussai la porte du commissariat.
J’avais décidé de fuir le silence et de briser l’équilibre factice dans lequel nous vivions. J’allais délivrer ma petite sœur. J’espérais qu’il ne serait pas trop tard, qu’elle pourrait oublier cette première nuit. Je priais pour qu’il n’en ait pas eu d’autres sans que je m’en sois rendu compte. Je serai à ses côtés pour l’aider à se reconstruire. Je connaissais ses peurs et sa honte.
J’allais avoir 15 ans en novembre. Je ne serai plus jamais une victime.
Je suis une battante.